Christian Makarian

Trump, l’anti-Américain

Quel que soit le résultat final de l’élection présidentielle du 8 novembre prochain, et même si Hillary Clinton tirait pleinement profit des propos ahurissants de son challenger pour le battre finalement à plates coutures, le discours de Donald Trump laissera des traces. En s’affranchissant à ce degré-là de la parole juste et des valeurs qui font une société, le milliardaire de l’immobilier bafoue les fondamentaux américains.

Il foule aux pieds le principe d’une nation fondée, dès l’origine, sur l’immigration et sur l’idée d’une Amérique  » terre promise « . On sait que ce mythe fondateur a très largement vécu, mais il a pris un aspect véritablement sacré dans le roman national, comme en témoigne la fête de Thanksgiving, qui commémore chaque année une action de grâce dédiée  » aux nombreux signes de faveur de Dieu  » (George Washington, 1789). C’est un cas unique dans toutes les démocraties, et Dieu sait si le  » story-telling  » a de l’importance aux Etats-Unis, où le président prête serment sur la Bible. Qui imagine Trump la main posée sur les Ecritures ?

En réinventant ce récit des origines comme une opposition entre l’Amérique blanche et protestante, celle des Pères fondateurs, et la foule bigarrée et cosmopolite qui peuple des villes tentaculaires, Trump heurte de front une ligne de force essentielle. Son discours xénophobe choque la sensibilité religieuse d’une part importante de la nation, pour laquelle identité et foi se conjuguent.

Avec lui, le ciment de la nation se crevasse, les piliers de la tradition se fissurent

On a pris l’habitude de rappeler la vive irritation qu’il provoque parmi les femmes, les Noirs, les Hispaniques et les jeunes ; mais on ne souligne pas assez combien il hérisse les catholiques (25 % du corps électoral). En février dernier, de retour du Mexique, le pape François a carrément jugé  » qu’une personne qui veut construire des murs et non des ponts n’est pas chrétienne « , allusion cinglante au projet de séparer les territoires américain et mexicain par une muraille infranchissable. Trump a vertement répliqué et ouvert un différend sérieux. Or, toutes les études d’opinion prouvent qu’un candidat peut très difficilement se faire élire s’il dresse contre lui les catholiques (le mormon Mitt Romney en a déjà fait les frais en 2012).

L’Amérique que Trump incite à se défouler durant ses meetings n’est pas celle qui incorpore, mais celle qui rejette ; partant, elle ne se conçoit plus comme une civilisation conquérante, mais comme une citadelle assiégée. La semaine dernière, après une brève escapade diplomatique à Mexico, le tribun républicain a déclaré sans complexes :  » Nous allons construire un grand mur, élevé, impénétrable, magnifique  » (et  » le Mexique va le payer à 100 % « ). L’Amérique emmurée est un contresens total : on ne relève plus de défi, thématique pourtant récurrente du cinéma de Hollywood.

Jusqu’à présent, peu ou prou, tous les candidats conservateurs mettaient en avant l’American dream – qu’ils reprochaient justement aux démocrates d’avoir malmené. Avec Trump, c’est ce ciment qui se crevasse et les piliers posés par les Pères fondateurs qui se fissurent : le rêve américain s’évanouit, le souffle devient vitupération, la vocation  » messianique  » disparaît, le lyrisme populaire se transforme en hystérie collective, et même l’esprit patriotique conservateur, qui se forgeait contre les ennemis de la démocratie (Soviétiques, Saddam Hussein, marxistes d’Amérique latine…), se banalise en ménageant soudain les régimes autoritaires, comme celui de Vladimir Poutine. Trump divise l’Amérique. Est-il seulement un bon Américain ?

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