Donald Trump © Reuters

Trump: l’accord sur le nucléaire iranien « peut être annulé par moi à tout moment »

Le Vif

Le président américain Donald Trump a appelé vendredi le Congrès à durcir l’accord international qui vise à empêcher l’Iran de se doter de la bombe atomique, sans pour autant aller jusqu’à le « déchirer » comme il l’avait promis en campagne.

A l’issue d’un long réquisitoire contre cet accord emblématique conclu en juillet 2015, « le pire » jamais négocié par les Etats-Unis selon lui, M. Trump a annoncé que les Etats-Unis ne se retireraient pas. Mais il a précisé qu’il ne « certifierait » pas le fait que Téhéran respecte ses engagements, en dépit des assurances en ce sens de l’Agence internationale de l’énergie atomique.

Menaçant d’annuler la participation des Etats-Unis « à tout moment », il a appelé les parlementaires américains mais aussi les autres pays signataires – Russie, Chine, France, Allemagne, Royaume-Uni, à faire preuve de plus de fermeté vis-à-vis de Téhéran.

« Si nous n’arrivons pas à trouver une solution (…) il sera mis fin à l’accord », a-t-il martelé lors d’une allocution d’un peu moins de 20 minutes à la tonalité très virulente à l’encontre du régime de Téhéran qu’il a qualifié de « dictatorial ».

Avec cet accord, « nous avons obtenu de faibles inspections en échange de rien de plus que de repousser, purement à court terme et temporairement, l’avancée de l’Iran vers l’arme nucléaire. Quel est le sens d’un accord qui ne fait que retarder la capacité nucléaire pour une courte période? Ceci est inacceptable pour le président des Etats-Unis », a déclaré Donald Trump à la Maison Blanche en dévoilant sa décision sur cet accord emblématique de la présidence Obama.

L’administration souhaite en particulier supprimer les échéances de cet accord en vertu duquel les restrictions sur le programme nucléaire sont censées être levées progressivement à partir de 2025.

En ne certifiant pas cet accord, conclu en juillet 2015 par l’Iran et le Groupe des Six, Donald Trump place de facto le Congrès américain en première ligne afin d’adresser « les nombreuses profondes faiblesses de l’accord ». « Toutefois, dans l’éventualité où nous ne serions pas capables de trouver une solution en travaillant avec le Congrès et nos alliés, alors l’accord prendrait fin. Il est sous examen permanent et notre participation peut être annulée par moi, en tant que président, à tout moment », a encore déclaré Donald Trump.

Cette remise en cause partielle de l’avancée emblématique de son prédécesseur Barack Obama, ouvre une période de grande incertitude. Le président américain est très isolé sur ce dossier: Téhéran bien sûr, mais aussi tous les autres signataires de ce texte historique – Moscou, Pékin, Paris, Londres et Berlin – avaient par avance mis en garde contre un retour en arrière aux conséquences imprévisibles.

Les USA « plus seuls que jamais »

Les Etats-Unis « sont plus seuls que jamais dans leurs complots contre le peuple iranien », a estimé le président iranien Hassan Rohani en réaction à la nouvelle « stratégie » américaine. « Aujourd’hui les Etats-Unis sont plus seuls que jamais face à l’accord nucléaire et plus seuls que jamais dans leurs complots contre le peuple iranien », a déclaré M. Rohani dans une intervention télévisée.

Trump n’a « pas » le pouvoir de mettre fin à l’accord

La chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, a souligné que le président américain n’avait « pas » le pouvoir de mettre un terme à l’accord sur le nucléaire iranien. « Le président des Etats-Unis a beaucoup de pouvoirs, pas celui-là », a-t-elle déclaré quelques minutes après le discours de M. Trump.

« Cet accord n’est pas un accord bilatéral, ce n’est pas un traité international », a-t-elle expliqué. « A ma connaissance, aucun pays au monde ne peut mettre fin seul à une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies qui a été adoptée, et adoptée à l’unanimité », a-t-elle poursuivi.

« Nous ne pouvons pas nous permettre en tant que communauté internationale, –et l’Europe à coup sûr– de démanteler un accord qui fonctionne et tient ses promesses », a-t-elle encore affirmé.

Paris, Londres et Berlin restent « engagés » dans l’accord

La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni se sont dits vendredi soir « préoccupés par les implications » de la décision du président américain. « Nous, chefs d’État et de gouvernement de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni, prenons note de la décision prise par le Président Trump de ne pas recertifier, devant le Congrès, le respect par l’Iran » de l’accord et « nous sommes préoccupés par les implications qui pourraient en résulter », ont indiqué les trois pays dans un communiqué commun.

Les trois pays soulignent être « fermement attachés » à cet accord de 2015 par lequel l’Iran s’était engagé à ne pas développer d’arme nucléaire en échange d’une levée progressive des sanctions économiques des grandes puissances.

« Nous encourageons l’Administration et le Congrès américains à prendre en compte les implications que leur décision aurait pour la sécurité des Etats-Unis et de leurs alliés, avant de prendre toute mesure susceptible de porter atteinte » à l’accord, par exemple d’imposer de nouveau à l’Iran des sanctions déjà levées, poursuivent les trois pays européens.

Ils ajoutent en revanche partager « des préoccupations américaines sur « le programme de missiles balistiques de l’Iran et à ses activités dans la région » et se disent prêts à prendre « de nouvelles mesures adéquates pour traiter ces questions, en étroite coopération avec les États-Unis et tous les partenaires concernés.

« Nous attendons de l’Iran qu’il s’engage dans un dialogue constructif pour cesser les actions de déstabilisation et oeuvrer en vue de solutions négociées », conclut le communiqué.

Moscou dénonce la stratégie de Trump

Le ministère russe des Affaires étrangères a dénoncé la stratégie annoncée par le président Trump, la qualifiant de « rhétorique agressive et menaçante », et soulignant que l’accord avec Téhéran sur le nucléaire restait intact.

Le ministère a estimé dans un communiqué que la décision de M. Trump « n’allait pas avoir d’impact direct sur la mise en oeuvre » du texte, mais était « un élément du débat intérieur » aux Etats-Unis. Il a « souligné qu’il était inacceptable d’utiliser une rhétorique agressive et menaçante » et que « utiliser de telles méthodes pour résoudre des problèmes qui touchent aux intérêts sécuritaires fondamentaux d’autres pays ne peut qu’échouer ».

L’accord « a déjà contribué à renforcer la paix et la sécurité internationales », assure le communiqué de Moscou. « L’Iran tient fidèlement ses engagements ». « Nous voulons espérer que le Congrès (américain) ne prendra aucune action qui entraînerait de facto une rupture de l’accord », a ajouté le ministre adjoint des Affaires étrangères Sergei Ryabkov à l’agence Interfax.

Cette décision « incite à la prolifération » nucléaire

Le prix Nobel de la paix 2017, la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN), a estimé que la décision du président américain allait favoriser la prolifération et usage d’armes nucléaires.

La décision « incite à la prolifération, rend plus difficile la conclusion d’autres accords pour limiter la menace nucléaire et accroît le risque mondial d’utilisation (d’armement) nucléaire », a indiqué l’ICAN dans un communiqué.

« En tant que Nobel de la paix 2017, l’ICAN critique vivement cette décision », indique-t-il.

Citée dans le communiqué, la directrice de l’ICAN, Beatrice Fihn, dénonce la « tentative de déstabilisation de l’accord iranien par le président Trump » alors que « l’AIEA a certifié à maintes reprises le fait que l’Iran respecte (les) conditions » de l’accord. C' »est un rappel brutal de l’immense danger nucléaire auquel le monde est confronté actuellement et le besoin urgent de tous les Etats d’interdire et éliminer ces armes », souligne-t-elle.

« Avec les menaces croissantes de guerre nucléaire, le président américain déclenche de nouveaux conflits plutôt que de réduire le risque de guerre nucléaire », juge l’ICAN.

A l’inverse le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu a immédiatement félicité le président pour sa « décision courageuse ».

M. Trump a également annoncé des sanctions contre certains membres des Gardiens de la révolution, l’armée d’élite iranienne.

Les Gardiens de la révolution « ont détourné de vastes parts de l’économie iranienne et saisi les dotations religieuses pour financer la guerre et le terrorisme à l’étranger », a-t-il accusé, sans toutefois allé jusqu’à les désigner comme un « groupe terroriste ».

Une « violation » des engagements américains

Cette démarche s’apparente à une « violation » des engagements américains, ont déclaré vendredi des négociateurs américains du texte de 2015. « L’approche qu’il demande au Congrès d’adopter constituerait une violation de l’accord, car cela revient à tenter de renégocier unilatéralement l’accord », a estimé Ben Rhodes, qui fut conseiller adjoint à la Sécurité nationale de l’ex-président démocrate Barack Obama.

« Si les Etats-Unis lancent une action parlementaire, ou autre, pour tenter de changer les termes de l’accord, il s’agit d’une violation », a-t-il insisté. « Nos alliés et partenaires ont dit clairement » qu’il « ne doit y avoir aucune violation de l’accord ».

« Tout ce qui va dans le sens de nouvelles conditions » ajoutées à l’accord sera considéré « comme une violation unilatérale de l’accord lui-même », a aussi prévenu Wendy Sherman, principale négociatrice américaine sous l’administration Obama.

Selon elle, « même si le Congrès ne rétablit pas les sanctions », « le seul fait que le président » ait « décidé de le décertifier plonge l’accord dans une sorte de flou perpétuel ». Et cela va « affaiblir » les Etats-Unis et les « isoler », ajoute-t-elle.

Wendy Sherman et Ben Rhodes s’exprimaient lors d’une conférence téléphonique organisée par le groupe de pression Diplomacy Works, « la diplomatie ça marche », créé par John Kerry, l’ancien secrétaire d’Etat de Barack Obama, et des membres de son équipe notamment pour défendre l’accord iranien.

Place au Congrès

Que vont faire les élus américains ? « C’est notre inquiétude », reconnaît un diplomate occidental, pressant les sénateurs de trouver un « compromis pour ne pas tuer l’accord ».

La majorité républicaine ne semblait pas prête à réimposer des sanctions et donc endosser la responsabilité de saborder cet accord soutenu par les autres grandes puissances mondiales.

Une solution, concoctée par deux sénateurs républicains en coordination étroite avec la Maison Blanche et le département d’Etat, consisterait à voter une loi créant un nouveau seuil pour le redéclenchement des sanctions contre l’Iran à l’avenir. Une sorte de mise à jour, unilatérale, du « JCPOA », comme l’accord est nommé aux Etats-Unis, selon son acronyme.

Les élus espèrent aussi rendre permanentes les limites imposées sur le développement nucléaire iranien.

« Nous proposons une voie qui comblera les lacunes de l’accord nucléaire tout en maintenant l’administration dans l’accord », a expliqué Bob Corker, président de la commission des Affaires étrangères du Sénat.

Mais rien n’indique que Téhéran acceptera de nouvelles contraintes sans broncher. « Si les Etats-Unis prennent une position hostile à l’égard d’un accord international », « ils ne s’opposeront pas seulement à l’Iran mais au monde entier », avait assuré le président iranien Hassan Rohani, avant même le discours de Donald Trump.

La Chine avai, ell, appelé Washington à préserver cet accord, « important (…) pour la non prolifération nucléaire ainsi que la paix et la stabilité de la région ».

Une « non-certification » pourrait « sérieusement aggraver la situation » et affecter « la prévisibilité, la sécurité, la stabilité et la non-prolifération dans le monde entier », avait prévenu pour sa part la Russie.

Si Téhéran et Washington ont rompu leurs relations diplomatiques en 1980, au lendemain de la révolution islamique de 1979, la fin de l’ère Obama avait marqué le début d’une évolution. Le président démocrate avait jugé que l’accord donnait « une chance d’aller dans une nouvelle direction ».

Mais depuis son installation à la Maison Blanche en janvier, Donald Trump a donné un net coup de barre. Il n’a eu de cesse de durcir encore le ton face à Téhéran, pour le plaisir des monarchies sunnites du Golfe qui redoutent l’influence de leur grand rival chiite.

‘Doctrine du retrait’

Et le président américain semble déterminé à gommer une distinction faite par son prédécesseur: négocier sur le nucléaire d’un côté, dénoncer les activités « déstabilisatrices » de l’autre (soutien au régime Assad en Syrie, au Hezbollah au Liban, ou encore aux Houthis au Yémen).

« L’inquiétante politique étrangère de l’Iran est précisément la raison pour laquelle l’accord était nécessaire », souligne Wendy Sherman.

Nombre d’élus et diplomates redoutent que l’annonce de Donald Trump n’affaiblisse la parole et la crédibilité des Etats-Unis dans les négociations à venir sur la scène internationale.

« La politique étrangère de Trump a trouvé un thème: la doctrine du retrait », estime Richard Haass, président du centre de recherche Council on Foreign Relations (CFR).

Et l’ancien diplomate d’énumérer la longue liste des accords que les Etats-Unis ont quitté – ou menacé de quitter – au cours des derniers mois: partenariat transpacifique (TPP), accord de Paris sur le climat, accord de libre-échange nord-américain (Aléna). Et, depuis, jeudi, l’Unesco, organisation onusienne que la Maison Blanche accuse d’être anti-israélienne.

D’importants intérêts économiques en jeu

Economiquement parlant, les grandes puissances signataires de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran ont toutes d’importants intérêts économiques dans ce pays, au-delà des enjeux géopolitiques et sécuritaires.

L’accord de 2015 met sous le boisseau le programme nucléaire de Téhéran en échange d’une levée des sanctions internationales qui ont asphyxié l’économie iranienne pendant une décennie.

Entré en vigueur en janvier 2016, le texte a rouvert les portes d’un marché de 80 millions de personnes à des entreprises européennes, chinoises et russes. Et même si tout cela reste très fragile et si nombre d’investisseurs hésitent à s’engager en Iran, plusieurs grosses sociétés ont déjà engrangé de juteux contrats.

EUROPE

Des trois pays européens signataires, l’Allemagne et la France en ont été jusqu’à présent les principaux bénéficiaires. Mais l’accord a aussi permis à d’autres d’entrer sur ce marché, comme l’Italie.

L’avionneur européen Airbus a quant à lui signé avec l’Iran des accords pour l’achat de 100 appareils.

– Allemagne

Ce pays était avant les sanctions le principal partenaire commercial de l’Iran, où 30% des infrastructures industrielles sont allemandes.

Après la levée des sanctions, les exportations allemandes vers l’Iran ont augmenté de 26% en 2016, et même de 40% sur un an au premier trimestre 2017, selon la Fédération allemande de l’industrie (BDI).

Le groupe Siemens s’est relancé en Iran en mars 2016, en s’associant à l’Iranien Mapna. Daimler a de son côté signé dès janvier 2016 des protocoles d’accord avec deux groupes iraniens pour produire et commercialiser des camions Mercedes-Benz.

– France

Les échanges, qui s’étaient effondrés avec les sanctions, ont rebondi de manière spectaculaire, progressant de 235% en 2016, en raison en particulier d’importations de pétrole.

Le constructeur d’automobiles PSA, qui avait dû quitter l’Iran en 2012 sous la pression, est revenu avec la signature en 2016 de deux accords de coentreprise prévoyant l’investissement de 700 millions d’euros sur cinq ans.

Son concurrent Renault, qui était resté dans ce pays et y dispose d’une capacité de production de 200.000 voitures par an, a signé un accord pour en produire 300.000 par an via une coentreprise.

Total a, de son côté, été la première compagnie pétrolière occidentale à revenir en Iran. Ce groupe a signé début juillet un accord gazier de 4,8 milliards de dollars, à la tête d’un consortium international avec le Chinois CNPCI.

– Italie

Les échanges entre les deux pays, qui s’étaient effondrés après les sanctions, sont repartis en nette hausse en 2016, au point que l’Italie a été au premier trimestre 2007 le premier partenaire commercial de l’Iran dans l’Union européenne.

En 2016, Rome et Téhéran ont signé des protocoles d’accord dans le tourisme, les énergies renouvelables, les chemins de fer.

RUSSIE

Moscou et Téhéran entretiennent des relations politiques et économiques étroites.

Dans le domaine nucléaire, en avril 2016, la Russie a officiellement achevé le projet de construction du premier bloc de la centrale de Bouchehr. Le projet Bouchehr 2, qui prévoit la construction par les Russes du deuxième et du troisième blocs, a été lancé peu après.

En mars 2017, RZD International, qui fait partie de la société russe des chemins de fer RZD, a signé un contrat de 1,2 milliard d’euros avec l’Iran pour l’électrification d’un tronçon ferroviaire.

En juin 2016, le géant gazier russe Gazprom a signé un accord avec la société iranienne NIOC pour l’exploitation commune du gisement de gaz iranien Farzad.

CHINE

La Chine, pays importateur de gaz et de pétrole, a des intérêts économiques importants avec l’Iran, sixième producteur mondial d' »or noir »..

En janvier 2016, à l’occasion de la visite du président Xi jinping en Iran, les deux pays ont signé un protocole d’entente sur l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire.

En février, des entreprises chinoises ont entamé la construction de la ligne de train à grande vitesse Téhéran-Mashhad.

En octobre 2017, Arish Kordi, le PDG du groupe iranien Tavanir, a annoncé une coopération avec la Chine pour rénover les infrastructures électriques iraniennes.

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