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Trump-Kim: les questions en suspens

Le Vif

Donald Trump et Kim Jong Un ont eu mardi un tête-à-tête historique qui a abouti à la signature d’une déclaration commune sans percée majeure sur la question cruciale de l’arsenal nucléaire de la Corée du Nord.

Cette journée en tout point extraordinaire a vu le président de la première puissance mondiale afficher une forme de complicité avec l’héritier de la dynastie des Kim, qui règne d’une main de fer sur la Corée du Nord depuis plus de 60 ans.

Le locataire de la Maison Blanche, qui revendique haut et fort son approche iconoclaste de la diplomatie, a assuré que le processus de dénucléarisation pourrait commencer « très rapidement », après des décennies de tensions autour des ambitions atomiques de Pyongyang.

Mais la formulation de la déclaration commune reste très vague, en particulier en termes de calendrier, et s’en remet à des négociations ultérieures pour sa mise en oeuvre.

Le texte reprend de précédents engagements du régime nord-coréen, jamais mis en oeuvre, sans préciser que la dénucléarisation doit être « vérifiable et irréversible », comme le réclamaient avec force les Etats-Unis avant le sommet de Singapour.

« Kim Jong Un a réaffirmé son engagement ferme et inébranlable en faveur d’une dénucléarisation complète de la péninsule coréenne », est-il écrit.

Le Pentagone pris au dépourvu sur les manoeuvres

Donald Trump a par contre pris le Pentagone au dépourvu mardi à l’issue de son sommet avec Kim Jon Un, en annonçant qu’il allait mettre fin aux manoeuvres conjointes américano-coréennes parce qu’il les juge trop provocantes et trop chères.

« Nous allons arrêter les manoeuvres militaires, ce qui va nous faire économiser beaucoup d’argent, sauf si nous constatons que les futures négociations ne se passent pas comme elles le devraient », a déclaré le président américain au cours d’une conférence de presse à Singapour, à l’issue de sa rencontre historique avec le dirigeant nord-coréen.

M. Trump m’a pas dit quand ces manoeuvres seraient supprimées et cette promesse, qui modifierait totalement la posture militaire américaine dans la région, ne figure pas dans la déclaration commune signée par les deux dirigeants, mais elle a visiblement surpris l’armée américaine.

Le commandement des Forces américaines en Corée du Sud (USFK), « n’a reçu aucune instruction sur la mise en oeuvre ou l’arrêt des manoeuvres, y compris l’exercice Ulchi Freedom Guardian » prévu à la fin de l’été, a indiqué un porte-parole de l’USFK dans un communiqué.

« Nous maintiendrons notre posture militaire tant que nous n’aurons pas reçu de nouvelles instructions du ministère de la Défense et/ou du commandement Indo-Pacifique (IndoPacom) », précise le communiqué.

– Réponse embarrassée –

Quelque 17.500 militaires américains ont participé l’an dernier aux manoeuvres conjointes américano-sud-coréennes Ulchi Freedom Guardian, qui se tiennent tous les ans fin août-début septembre.

Ces manoeuvres destinées à renforcer la préparation des troupes à une éventuelle invasion nord-coréenne, regroupent des soldats de toutes les armes (aviation, marine, armée de terre) venus, outre les Etats-Unis et la Corée du Sud, de plusieurs pays alliés comme l’Australie, le Canada, la Grande-Bretagne, la France ou la Nouvelle-Zélande.

Au Pentagone, où le mot d’ordre est que l’armée américaine est « prête à se battre ce soir » s’il le faut, les responsables militaires avaient du mal à expliquer ce qui pourrait représenter un changement de posture militaire majeur et risquer de diminuer les capacités de riposte occidentales à une éventuelle invasion nord-coréenne.

« Le ministère de la Défense continue de travailler avec la Maison Blanche, les agences gouvernementales et nos alliés et partenaires pour définir la voie à suivre après le sommet », a indiqué un porte-parole du Pentagone, Chris Sherwood. « Nous fournirons des informations complémentaires lorsqu’elles seront disponibles ».

Un autre porte-parole, le colonel Rob Manning, est resté tout aussi vague. « Nous nous alignerons sur le président », a-t-il dit, tout en rappelant que la préparation des troupes restait « primordiale ».

Aucun responsable du Pentagone n’a été en mesure d’évaluer le coût des manoeuvres en Corée du Sud ou les économies que leur suppression pourrait permettre.

– Concession « troublante » –

M. Trump a aussi redit son souhait de retirer, le moment venu, les soldats américains déployés en Corée du Sud, tout en assurant que cela ne faisait pas partie des négociations avec Pyongyang.

Pour Richard Haass, le président du centre de réflexion Council on Foreign Relations, « la déclaration commune de Singapour est essentiellement de simples aspirations: pas de définition de la dénucléarisation, pas de calendrier, pas de détails sur la vérification ».

« Le plus troublant, c’est qu’en échange, les Etats-Unis ont abandonné quelque chose de tangible, les manoeuvres américano-coréennes », a-t-il ajouté sur Twitter.

En début d’année, Séoul et Washington avaient reporté leurs exercices militaires conjoints annuels Key Resolve et Foal Eagle, pour cause de jeux Olympiques d’hiver au Sud.

Mais malgré le dégel diplomatique avec Pyongyang, entamé pendant les JO, les manoeuvres à grande échelle avaient repris aussitôt après la fin des Jeux paralympiques. Foal Eagle est un exercice de terrain qui rassemble environ 11.500 soldats américains et 290.000 militaires sud-coréens.

Key Resolve est un exercice de commandement à base de simulations sur ordinateur.

– Poignées de main appuyées –

Au cours d’une longue conférence de presse particulièrement décousue, Donald Trump, qui a expliqué ne pas avoir fermé l’oeil « pendant 25 heures », a en particulier évoqué le potentiel touristique et immobilier de la Corée du Nord qui dispose, a-t-il tenu à souligner, de « très belles plages ».

Il a martelé que les sanctions contre la Corée du Nord resteraient en vigueur tant que la « menace » des armes atomiques ne serait pas levée et réaffirmé qu’un départ des troupes américaines basées en Corée du Sud n’était pas, pour l’heure, à l’ordre du jour.

Analystes et historiens rappellent à l’unisson que le régime de Pyongyang est passé maître dans l’art des promesses non tenues. En 1994 puis en 2005, des accords avaient été conclus mais aucun d’entre eux n’a jamais été réellement appliqué.

La rencontre, la première entre un président américain en exercice et un leader nord-coréen, a été marquée par plusieurs poignées de main appuyées, des images inimaginables il y a encore quelques mois lorsque les deux hommes échangeaient menaces et invectives.

Kim Jong Un a estimé avoir « tourné la page du passé » après avoir surmonté de « nombreux obstacles » pour arriver à cette rencontre, « bon prélude à la paix ».

Donald Trump a quant à lui salué la « relation très spéciale » établie avec celui qui règne sans partage sur la Corée du Nord et est en particulier soupçonné d’avoir ordonné l’assassinat de son frère l’an dernier dans un aéroport en Malaisie.

Tout sourire, le président américain s’est montré particulièrement élogieux à l’égard de Kim Jong Un, « très talentueux » et « très bon négociateur », lui prodiguant des superlatifs d’ordinaire réservés à ses alliés.

« Nous nous rencontrerons de nouveau », a lancé Donald Trump qui s’est dit prêt à se rendre, « le moment venu », à Pyongyang, et à inviter l’héritier de la dynastie des Kim à la Maison Blanche.

« C’est une énorme victoire pour Kim Jong Un, qui a fait un véritable coup avec son face-à-face avec le président », relève Michael Kovrig, de l’International Crisis Group (ICG) à Washington, soulignant que son père comme son grand-père « en avaient rêvé ».

« Pour les Etats-Unis comme pour la communauté internationale, c’est un point de départ positif pour des négociations qui devraient être longues et difficiles », ajoute-t-il.

La Chine, le principal partenaire de la Corée du Nord, a salué le début d’une « nouvelle histoire ». Le Japon a de son côté été plus mesuré, se réjouissant seulement d’un « premier pas vers un règlement d’ensemble ».

Nombre de pays ont salué l’enclenchement d’un processus diplomatique, certes embryonnaire, mais qui éloigne la perspective d’un conflit. L’Union européenne a loué une « étape capitale et nécessaire » vers une dénucléarisation de la péninsule. La Russie a parlé d’un événement « positif ».

MM. Trump et Kim se sont entretenus pendant près de cinq heures, d’abord une quarantaine de minutes en tête-à-tête, puis au cours d’une réunion de travail elle-même suivie d’un déjeuner.

Au menu, savant mélange de mets occidentaux et asiatiques : cocktail de crevettes, porc croustillant sauce aigre-douce et tarte tropézienne.

– « Garanties de sécurité » –

Kim Jong Un, qui n’avait jusqu’à ses récents déplacements en Chine, jamais effectué la moindre visite officielle à l’étranger, est apparu très décontracté depuis son arrivée à Singapour.

Lundi soir, le dirigeant nord-coréen, à la tête de l’un des pays les plus fermés du monde, s’est offert une spectaculaire sortie nocturne, visitant, visiblement ravi, les hauts lieux touristiques de la ville.

L’arsenal nucléaire nord-coréen a valu à Pyongyang une impressionnante série de sanctions de l’ONU au fil des ans.

Pour convaincre la Corée du Nord d’y renoncer alors que le régime des Kim y a toujours vu une forme d’assurance-vie, Donald Trump s’est formellement et personnellement engagé dans le document commun à apporter des « garanties de sécurité ». Elles seront « uniques » et « différentes » de celles proposées jusqu’ici, a promis Mike Pompeo.

Le président américain a quitté Singagour en fin d’après-midi, avant Kim Jong Un qui devait pour sa part quitter ce pays dans la soirée.

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