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Tristane Banon : « Pourquoi je porte plainte contre DSK »

Tout au long de l’affaire du Sofitel, elle était restée silencieuse. Aujourd’hui, alors que, à New York, le dossier connaît des rebondissements spectaculaires, la jeune romancière sort de l’ombre et annonce, le 4 juillet, qu’elle dépose plainte contre DSK pour tentative de viol. Pourquoi maintenant, pourquoi huit ans après? Elle s’explique dans un entretien exclusif à L’Express.

Depuis le 14 mai et l’affaire du Sofitel, vous vous taisez et votre avocat laisse planer le doute sur votre intention de porter plainte. Alors qu’à New York le dossier DSK semble tourner en faveur de l’ex-patron du FMI, vous décidez enfin de le faire, pour tentative de viol. Pourquoi?
Je n’en peux plus d’entendre dire que je suis une menteuse du fait que je ne dépose pas plainte. Depuis huit ans, je porte cette histoire seule, j’entends les rumeurs, les mensonges à mon sujet. Depuis le 14 mai, on décide de ce que veut dire mon silence, on interprète chaque mot de mon avocat sans même l’écouter. On n’a pas non plus compris que je ne vienne pas soutenir Nafissatou Diallo sur les plateaux télé. Je n’ai pas voulu commenter car je ne sais rien de son cas. Si elle a menti sur certains sujets, ça ne veut pas forcément dire qu’elle a menti sur le viol. Mais, pour moi, c’était devenu insupportable. Et puis, aujourd’hui, de voir Strauss-Kahn libre, dîner dans un restaurant de luxe entre amis, ça me rend malade. Je sais bien que la moitié des gens me croira, l’autre non. Il n’y a pas de bonne solution, seulement une qui fait que je pourrai enfin me regarder dans la glace. Dans la façon dont j’ai vécu mon histoire depuis huit ans, c’est Dominique Strauss-Kahn qui a tenu les rênes de ma vie. Il a des problèmes au FMI? Au Sofitel? On ressort l’histoire de la Banon… Pour une fois, je voudrais être maîtresse de ce qui m’arrive. Je voudrais que l’on m’entende, parce que j’ai peut-être enfin une chance d’être écoutée.

A quel moment avez-vous pris votre décision?
Depuis le 15 mai, on y travaille, mon avocat et moi. On a pris la décision à la mi-juin, avant le ¬dernier rebondissement.

En apprenant les doutes sur la crédibilité de la femme de chambre, vous n’avez pas été tentée de faire machine arrière?
A aucun moment, puisque depuis le début, mon avocat l’a dit et répété, je ne veux pas que mon destin soit lié à celui de Nafissatou Diallo. Quoi que Dominique Strauss-Kahn lui ait fait ou pas, ça ne change rien à ce qu’il m’a fait. Si les choses ne se sont pas passées là-bas comme elles nous étaient présentées, il me faudra donc prouver davantage qu’il m’a fait du mal à moi. Sinon, je vais encore me faire traiter d’affabulatrice. Je suis donc encore plus déterminée. Si je veux un jour mettre un terme à cet enfer de huit ans, il faut que ce soit jugé.

Vous parlez aujourd’hui d’une chose grave: une tentative de viol. Comment se fait-il que vous n’ayez pas porté plainte avant, durant ces huit années? C’est, au fond, ce que l’on n’a jamais compris.
Pour toute femme dans ce cas, c’est très dur. On vous demande de raconter minute par minute ce qu’il s’est passé, alors que vous, vous n’avez qu’une envie: oublier minute par minute ce qu’il s’est passé. Et c’est encore plus dur quand vous savez à l’avance que c’est voué à l’échec. Je ne supporte plus d’entendre les gens répéter à l’infini: ah, si elle avait porté plainte, elle serait plus crédible! Mettez-vous à ma place. Il y a huit ans, quand j’évoquais l’idée d’une plainte, tout le monde me faisait comprendre que cela n’aboutirait jamais. Dans ces affaires, c’est parole contre parole. Que valait celle d’une jeune stagiaire en journalisme préparant son premier livre et qu’on allait soupçonner de se faire de la publicité? Que valait ma parole face à celle de Strauss-Kahn, l’époux d’Anne Sinclair, même s’il n’était pas encore le patron du FMI? Rien! Il avait toutes les chances de son côté, moi aucune. Et quand on pense que, de toute façon, ça ne vous fera pas rembobiner le film et tout effacer, on finit par se dire à quoi bon…

Vous avez raconté l’agression que vous déclarez avoir subie sur un ton badin dans une émission de Thierry Ardisson en 2007. Vu la gravité de ce que vous décriviez, cela paraissait ahurissant.
Il faut bien voir le contexte. Ce jour-là, Ardisson me lance sur le sujet – contrairement à ce qu’on a dit, ce n’est pas moi qui ai voulu en parler. Le bruit courait dans le milieu parisien depuis des années… Ce jour-là, donc, je me retrouve un peu prise au piège. On me sert du champagne, ma parole est un peu déliée, et je me dis: dans une émission comme ça, assez joyeuse, il faut avoir l’air de quelqu’un qui a pris du recul et qui s’est reconstruit. Donc, je n’entre pas dans les détails glauques. Il y avait là plusieurs journalistes politiques, à qui j’avais envie, en fait, de dire: allez-y, enquêtez! D’autres femmes auraient raconté ça les larmes aux yeux… Ce n’est pas mon genre.

Soyons clairs: ce que vous avez raconté chez Ardisson fait plutôt penser à une agression sexuelle, laquelle serait aujourd’hui prescrite. Quels sont vos éléments pour parler d’une tentative de viol?
Si on veut chercher la description approchant ce qu’il s’est passé, c’est dans Trapéziste, un roman autobiographique paru en 2006… Dans son livre sur DSK, Michel Taubmann m’attaque au prétexte que dans le chapitre censuré de mon premier livre, Erreurs avouées, qui relate mon entretien avec Strauss-Kahn en 2003, il n’y avait pas trace d’agression. De fait, je n’allais pas porter plainte dans ce livre puisque j’avais décidé de ne pas le faire dans la vraie vie! Ce n’était pas le propos. Ce qui s’est passé, il faut aller le chercher dans ce roman, Trapéziste, que j’ai écrit pour me libérer… La jeune Flore qui y raconte ses aventures dans le milieu politico-littéraire, qui se fait avoir, c’est moi. La jeune femme qui raconte, au chapitre XIII, son rendez-vous avec un politique dans un appartement vide, et qui écrit: « Je me débats, tape, hurle, il aime les cris, ce mec est un malade », c’est moi, et « il », c’est Strauss-Kahn.

Tout y est?
Non, je ne parle pas des détails sordides, de ses doigts dans ma bouche, de ses mains dans ma culotte après m’avoir fait sauter le jean et le soutien-gorge, sous mon col roulé noir… Quand je suis rentrée dans cet appartement, je me suis sentie tout de suite mal à l’aise. Il était quasi vide, blanc, poutres apparentes, une machine à café, une table ronde, avec, à droite de la partie salon, une bibliothèque vide, et, tout au fond, une chambre avec un lit. On a commencé à parler un peu, il m’a proposé un café, j’ai sorti mon dictaphone, il a voulu qu’on aille sur le canapé, puis que je lui tienne la main pour répondre, « sinon je n’y arriverai pas », a-t-il dit. J’ai voulu m’en aller. Il a arrêté le dictaphone, m’a attrapé la main puis le bras, je lui ai demandé de me lâcher, et c’est de là qu’est partie la bagarre. Il m’a tirée vers lui, on est tombés par terre et on s’est battus au sol, pendant plusieurs minutes… C’est de la drague, un homme qui fait ce qu’il veut avec votre corps, vous ceinture par-derrière, vous pelote les seins, se frotte contre vous, pendant que vous sentez tout? Je pèse 40 kilos toute mouillée et il s’est montré violent. Quand j’ai compris qu’il voulait vraiment me violer, je me suis mise à lui donner des coups de pied avec mes bottines, j’étais terrorisée et je lui ai dit: « Vous n’allez pas me violer? » Et puis j’ai réussi à me dégager, j’ai dévalé les escaliers, je me suis retrouvée dans ma voiture, j’ai appelé ma mère car je n’arrivais même pas à conduire tellement je tremblais.

Combien de temps cette rencontre a-t-elle duré?
Plus d’une demi-heure, entre le moment où je suis sortie de ma voiture et celui où j’y suis rentrée.

Comment pouvez-vous en être sûre, alors que vous dites en être sortie tétanisée?
A cause du parcmètre. J’avais mis trente minutes et j’ai eu un PV.

Mais pourquoi n’avoir pris que trente minutes pour aller interviewer un politique de ce rang?
Parce qu’il ne s’agissait que d’un complément d’information. Durant ma première interview avec lui, il n’avait fait que de la langue de bois, alors il m’avait fixé ce deuxième rendez-vous, en février 2003. Je pensais qu’il referait la même chose, et j’avais 23 ans, je ne savais pas encore bien estimer les choses.

Où cela s’est-il passé? C’était entre Montparnasse et l’Assemblée nationale, dans une rue proche du boulevard des Invalides; il m’a dit que c’était l’appartement d’un ami. Dominique Strauss-Kahn, lui, sait où ça s’est passé et j’aimerais bien qu’il dise où se serait déroulé notre deuxième entretien ailleurs que dans cet appartement vide.

Comment se fait-il que vous ne soyez pas plus précise sur le lieu? Nous en avons parlé avec mon avocat, ces informations seront communiquées en leur temps aux autorités compétentes.

Quelles ont été les répercussions de cet événement sur votre vie personnelle?
J’en suis restée traumatisée. Plus jamais je n’ai eu de relations normales avec des hommes. Ça a été rien, puis tout, puis j’ai peur, tout le temps. Pour moi, ils étaient tous devenus des obsédés qui pouvaient me faire du mal. Donc, à un moment, il fallait que j’aie le sentiment que c’était moi qui maîtrisais, en ne m’attachant pas, en passant de l’un à l’autre. Strauss-Kahn a considéré qu’il pouvait faire ce qu’il voulait avec mon corps, sans me demander mon avis. Et depuis, les hommes qui m’ont aimée m’ont dit: « On a l’impression que tu es détachée de ton corps. » En effet, c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour passer dans ma tête à autre chose. Il s’est servi de mon corps, et ce n’est pas moi.

Et sur le plan professionnel? A plusieurs reprises, je me suis retrouvée blacklistée, sans comprendre. Je travaillais dans un endroit et, du jour au lendemain, tout se passait mal. Un exemple: j’étais directrice de collection au Cherche Midi depuis l’été 2009. Tout se passait bien jusqu’au mois de septembre 2010, où tout d’un coup le patron, Philippe Héraclès, me dit que je travaille mal, etc. Je n’ai pas compris. Et il y a peu de temps, sur Internet, j’ai lu une interview de lui révélant qu’il avait un accord de principe avec les collaborateurs de DSK: quand celui-ci annoncerait sa candidature, le Cherche Midi publierait son livre de campagne. Je trouve la coïncidence étonnante. Nous avons rendez-vous aux prud’hommes le 25 octobre pour requalification de contrat.

On vous soupçonne de vouloir vous faire de la publicité. Dans le contexte actuel, encore plus…
Absurde! En 2003, à l’époque des faits, tout va bien pour moi: stagiaire à Paris Match, je signe chez un éditeur parisien… Ensuite, tout s’est cassé, tout… Comprenez qu’à aucun moment je n’ai eu la maîtrise des choses. Que s’est-il passé? Au début, je ne veux en parler à personne d’autre qu’à ma mère. Oublier. Mais très vite, un proche, un homme de télévision connu, me sentant très mal, me fait cracher le morceau. Pensant bien faire, c’est lui qui en informe des journalistes. Je les vois, mais je ne veux pas qu’on sache que j’ai parlé. J’ai trop peur. Tous me disent que ça les arrangerait que je porte plainte pour leur article, mais ils me le déconseillent en même temps. Parce que parole contre parole, avec quelqu’un de si connu…

Dès le début, votre mère, élue socialiste et amie de Dominique Strauss-Kahn, vous a aussi dissuadée de porter plainte. Elle dit le regretter aujourd’hui…
Elle savait que je me ferais laminer. Cela étant, je pense sincèrement que si tout le monde m’avait conseillé de porter plainte et seule ma mère m’avait dit le contraire, j’y aurais plus réfléchi. Aujourd’hui, depuis que ma mère a affirmé qu’elle regrettait de m’avoir « empêchée » de porter plainte, elle a été lâchée au PS.

Qui savait, selon vous, au PS?
Dans l’entourage de Laurent Fabius, beaucoup étaient au courant. François Hollande, lui, connaissait l’histoire. A la foire de Brive, en 2008, au moment de l’affaire Piroska Nagy, il est venu me voir, me disant qu’il pensait beaucoup à moi. Il m’a appelée une fois, en 2003, après les faits. Très inquiet, François Hollande m’a dit qu’il avait parlé de tout ça avec ma mère. Il espérait que je suive le conseil qu’il lui avait donné, à savoir de porter plainte. Récemment, son bras droit, qui était son directeur de cabinet à l’époque, Stéphane Le Foll, a confirmé que François Hollande « avait appelé Tristane Banon » et que « c’était lui, en direct, qui gérait ».

Pourtant, sur France Inter, le 23 mai dernier, François Hollande a affirmé n’avoir eu aucune connaissance de ces faits.
Il ment. Pour moi, François Hollande était quelqu’un de bien. Je n’aurais jamais pensé ça de lui, et l’entendre nier a été un élément déterminant dans ma décision de porter plainte.

Depuis le Sofitel, quelqu’un du PS vous a-t-il appelée?
Non.

Et à droite? Non plus.

Comment vivez-vous, ces temps-ci?
Mal. Je ne peux pas m’empêcher de regarder la télé. Je ne vais tout de même pas aller m’enterrer au fond de l’Amazonie pour ne pas entendre les commentaires à mon sujet. On fait venir sur les plateaux des avocats, des chroniqueurs, et tous ces gens se retrouvent autour d’une table pour dire ce qu’ils pensent des cas Diallo et Banon. Et je regarde, je subis. Et je ne me reconnais pas.

Où vivez-vous?
Je me suis réfugiée en dehors de Paris avec mon chien Flaubert. Je vis de rien parce que je ne peux plus travailler. Je ne dors quasiment pas et j’écris ce que je ne peux pas dire depuis le 15 mai.

Dans son livre, Michel Taubmann fait réagir Dominique Strauss-Kahn, qui s’exprime sur vous pour la première fois et dément formellement. Il parle d’une scène « imaginaire » (lire l’encadré ci-dessus).
Qu’il dise que la scène est « imaginaire » ne me surprend pas… C’est sa défense. Mais quand il dit: « Vous me voyez, moi, jetant une femme à terre en lui faisant violence? », oui, moi je le vois très bien!

Il connaissait vos relations avec sa fille Camille?
Evidemment, j’étais proche d’elle. Je suis la filleule de sa deuxième femme et, à l’époque, il était l’ami de ma mère. D’ailleurs, pendant la rencontre, au moment où ça tournait mal, je lui ai dit: « Je suis proche de Camille, j’ai son âge… », il m’a répliqué: « Qu’est-ce que Camille vient faire là-dedans? »

Certains vous décrivent comme une fille peu équilibrée, une aguicheuse qui a multiplié les aventures avec les gens célèbres et voudrait se venger des hommes… Qu’en dites-vous?
Je vis mal ce genre de médisances, car comme toutes les médisances, elles ont un noyau de vérité et sont fausses à la fois. Dans le milieu littéraire que je découvrais, vous trouverez incontestablement quelques hommes avec qui j’ai eu des histoires sans lendemain ou pas, mais de là à faire de moi une prédatrice sexuelle… Quant à se venger… Michel Taubmann, dans son livre, me prête ce propos que j’aurais tenu au conseiller de Strauss-Kahn Ramzi Khiroun: « Je me vengerai de Dominique Strauss-Kahn! » Je l’aurais appelé pour le lui dire, écrit Taubmann. Or je n’ai jamais appelé cet homme, je ne connais pas sa voix et, sérieusement, vous me voyez appeler un homme si influent, à 23 ans, pour le menacer? C’est vrai que je n’ai pas eu une enfance très drôle: ma mère était une femme d’affaires peu passionnée par les gazouillis des enfants. J’ai été élevée par une nounou qui me battait. Je n’ai pas connu mon père et ne sais pas s’il est encore vivant. A côté, je n’avais aucun souci d’argent, une très bonne éducation dans les beaux quartiers. En conclure que mon contexte familial fait de moi une déséquilibrée… Aujourd’hui, si je porte plainte, ce n’est pas pour me venger de DSK, mais pour me relever. Mon seul moyen d’avancer, de ne pas m’écrouler complètement, est que la justice reconnaisse que c’est moi, la victime.

Avez-vous revu Strauss-Kahn? Je l’ai croisé deux ou trois fois dans une brasserie. Une fois, il s’est arrêté: « Ah! comment vous allez? » C’est tout.

Avez-vous peur des répercussions de votre plainte?
Evidemment que je crains des représailles, l’entourage de DSK qui va vouloir m’abattre parce que je serai peut-être sa plus grosse épine dans le pied. Je crains les gens qui le voyaient comme le héros qui allait sauver la France et qui se sont remis à y croire. Je reçois beaucoup de messages de soutien, mais aussi d’insultes, d’une violence inimaginable.

Si Dominique Strauss-Kahn est disculpé à New York, comment réagirez-vous?
J’en déduirai que la justice a décidé qu’il est innocent là-bas, mais moi, je ne souhaite qu’une chose, qu’il revienne en France avec sa présomption d’innocence pour que l’on aille devant un tribunal. Je sais bien que dans ce genre d’affaire, où c’est parole contre parole, sans même parler de gens si puissants, les présumés coupables sont souvent relâchés. Mais moi, je sais que je dis la vérité.

Propos recueillis par Claire Chartier et Delphine Saubaber

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