Philippe Maystadt

« Toutes nos crises contemporaines sont des crises du lien »

Philippe Maystadt Ex-président de la BEI

Les différentes crises actuelles, écologique, celle des inégalités, de l’Europe ou de la démocratie pourraient être expliquées par le fait qu’elles sont des crises du lien.

En lisant mon journal, je suis tombé sur cette phrase d’un philosophe, Abdennour Bidar. Ces quelques mots n’ont l’air de rien mais, quand on y réfléchit, ils peuvent expliquer beaucoup de choses. Il y a des liens positifs qui s’effilochent ou qui cassent ; il y a des liens négatifs qui enserrent ou qui étranglent. La crise écologique ? C’est une rupture du lien avec la nature. Nous épuisons les ressources naturelles, nous polluons l’air et l’eau, et nous émettons des quantités énormes de gaz à effet de serre qui risquent de provoquer une catastrophe écologique – et humaine – sans précédent.

La crise des inégalités ? C’est le resserrement du lien autour de la richesse, le résultat d’un système qui concentre la richesse sur un nombre réduit de détenteurs (85 personnes possèdent autant que 3,5 milliards d’autres). Le taux de rendement du capital étant fortement et durablement supérieur au taux de croissance de l’économie, les inégalités s’accroissent et la richesse se concentre (1). C’est le lien mortel du capitalisme dérégulé qui, s’il produit plus de richesse que d’autres systèmes, creuse les inégalités, provoque des frustrations et exacerbe les tensions sociales.

La société ne changera pas simplement en additionnant des initiatives individuelles.

La crise sociale ? C’est non seulement la conséquence de l’augmentation des inégalités ; mais aussi le résultat de l’affaiblissement du lien que peut constituer dans une société une classe moyenne forte et numériquement dominante. Dans de nombreux pays, on constate une réduction de la classe moyenne vers le haut – quelques-uns deviennent superriches – et surtout vers le bas – une proportion plus élevée de ménages se trouve en dessous du revenu moyen et une partie significative se rapproche du seuil de pauvreté (2).

La crise de l’Europe ? Elle résulte largement de l’affaiblissement du lien qui unissait les pays fondateurs dans une  » communauté de destin  » et créait, entre eux, une véritable solidarité. Ce lien s’est considérablement distendu à la suite de l’élargissement à des pays pour lesquels l’idée même d’une communauté de destin est totalement étrangère.

La crise de la démocratie ? Elle est due pour une bonne part à l’effilochement du lien entre la classe politique et les citoyens. De Trump à Le Pen, nombreux sont les populistes qui surfent sur cette rupture pour tenir des discours antisystème et prétendre incarner le peuple contre l’élite.

Face à cette situation, il n’y a qu’une réponse possible : refaire les liens rompus et desserrer ceux qui étranglent. D’abord en mettant en oeuvre à notre niveau ce qui est possible ; le film Demain montre que les initiatives peuvent être nombreuses et diverses. Mais la société ne changera pas simplement en additionnant des initiatives individuelles. Il faudra aussi des décisions politiques au niveau européen et si possible mondial : refaire le lien avec la nature en fixant un prix minimum du carbone pour accélérer la transition énergétique ; desserrer le lien autour de la richesse par des mécanismes de redistribution ; renforcer les classes moyennes en allégeant la fiscalité sur le travail ; tendre la main aux plus fragiles en facilitant l’accès à des systèmes performants de santé et d’éducation ; négocier l’organisation d’une Europe-coeur plus solidaire et plus démocratique… Utopie ? Ou seule voie d’avenir ?

(1) Le capital au XXIe siècle, par Thomas Piketty, Seuil, 970 p.

(2) La spirale du déclassement, par Louis Chauvel, Seuil, 213 p.

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