© HATIM KAGHAT POUR LE VIF/L'EXPRESS

« Toute religion vécue à la lettre, dans le dogme, est potentiellement violente »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Psychothérapeute célèbre depuis son best-seller Cessez d’être gentil, soyez vrai ! , Thomas d’Ansembourg regrette que la société actuelle engendre l’autodestruction, dont le terrorisme. Il plaide pour « opérer un changement complet », de la démocratie à l’école. Une question de survie.

Le 22 mars 2016, des terroristes frappent Bruxelles. Quel est votre état d’esprit ?

Un moment de sidération, d’hébétude. Le terrorisme est terrible, partout, bien sûr, mais comme je vais plusieurs fois par mois à l’aéroport, dans le métro, je me suis senti encore plus directement concerné par les événements. L’horreur absolue…

Vous êtes-vous dit que notre société est malade, au bord de l’explosion ?

Nous assistons à une accélération de phénomènes qui indiquent combien le système est gangrené et engendre l’autodestruction. Le fil du questionnement que nous avons eu avec l’écrivain David Van Reybrouck dans notre livre La Paix, ça s’apprend, c’est celui-là : comment avons-nous généré une société qui apporte un tel mal-être explosif ?

Est-ce le résultat d’une frustration ?

Oui, le sentiment d’être rejeté, de ne pas faire partie du jeu ; ce qui engendre un esprit de revanche. Nous devons opérer un changement de société complet et retrouver des mécanismes qui évitent ce sentiment d’exclusion.

N’est-ce pas excuser l’inexcusable que d’affirmer que  » le terrorisme est le résultat d’une exclusion sociale  » ?

J’ai souvent entendu ça. Comprendre, ce n’est pas justifier, c’est porter son intelligence pour chercher la cause première. J’ai pu m’occuper de jeunes de la rue pendant dix ans et constater que le gamin frappé par son père tous les jours se manifeste souvent dans la société par des comportements violents. Il se retrouve en prison, alors que son message, terrible, est :  » Aimez-moi, donnez-moi une place, dites-moi que je vaux la peine… « . Il ne faut pas s’étonner que ce jeune soit une bombe à retardement. Si quelqu’un lui dit :  » Tu es un frère, on a une mission pour toi « , il l’embarque… Il y a tel un ressort armé de frustrations, de manques affectifs, de quête de sens.

Le nouveau culte de notre société déconfessionnalisée, n’est-ce pas le supermarché qui crée de la frustration ?

Les attentats du 22 mars 2016 : un
Les attentats du 22 mars 2016 : un « esprit de revanche » engendré par un sentiment d’exclusion.© FRANÇOIS LENOIR/REUTERS

Absolument. Notre société prétend prendre soin de nos besoins alors qu’elle ne comble que nos envies, par nature changeantes. Cela crée la frustration constante de ne jamais être nourri, de ne jamais arriver à une satiété intérieure qui, à mes yeux, ne peut être trouvée que par un travail d’un tout autre ordre, plutôt psycho-spirituel, de pacification, de contentement, d’acceptation de ce qui est, de gratitude. Cela correspond à mon élan : j’ai grandi dans une religion catholique très codée et quitté ce bocal pour un océan de la vie qui m’inspire énormément plus. Je rencontre beaucoup de gens proches du bouddhisme, du zen ou du taoïsme… Ces pratiques de connaissance de soi et de maîtrise spirituelle sont plutôt décriées dans nos sociétés comme ressortant d’une tendance  » bisounours « . Alors que, mon dieu, c’est vraiment citoyen. Il est urgent que l’on abandonne ce scepticisme qui ne sert à rien.

Notre société fait face à l’influence grandissante d’un islam radical salafiste ou wahhabite. Une confrontation dangereuse ?

Oui. Toute religion vécue à la lettre, dans le dogme, est potentiellement violente. On l’a bien vu dans la pratique catholique dans nos régions qui a produit des massacres. Par contre, on n’a jamais vu un mystique violent. Ceux qui sont dans une contemplation plus immédiate d’un absolu ou de dieu – peu importe les mots… – sont ouverts, bienveillants. Le soufisme, branche mystique de l’islam, est une magnifique voie d’amour.

La paix, écrivez-vous, est une discipline…

Comme la guerre, oui.

Or, aujourd’hui, on apprend davantage la guerre.

C’est ça ! C’est pour cela que nous estimons, avec David Van Reybrouck, qu’il faut un ministre de la Paix, avec des formations, des budgets, de la recherche dans les neurosciences et les pratiques de pacification. Un de mes regrets est que l’on n’ait pas profité de la suppression du service militaire pour créer un service civil. Cela aurait été l’occasion de développer des notions comme celles-là.

Grâce à l’Europe, nous vivons en paix depuis septante ans. Ne considère-t-on pas cela comme acquis ?

Rien n’est acquis, c’est un trésor qui mériterait que chacun l’honore et soit soucieux de l’entretenir. En Syrie, tout était tranquille, mais aujourd’hui, c’est la dévastataion. La paix est si fragile….

Votre constat n’est-il pas aussi celui d’un échec de l’école ?

Nous avons besoin d’une nouvelle vision pour éduquer les enfants aux enjeux de demain, pas à ceux d’hier »

Notre système est obsolète. Nous avons besoin d’une nouvelle vision pour éduquer les enfants aux enjeux de demain, pas à ceux d’hier. L’école n’a pas changé, alors que la société s’est transformée : dans les classes, tout le monde est assis, il y a quelqu’un qui sait et d’autres qui ne savent pas. On n’éveille que le cerveau logico-mathématique. Tout le reste – intuition, émotion, relationnel… – est absent. Comme thérapeute, je ne cesse d’insister sur l’importance de ne négliger aucune partie de soi. Tant de tensions naissent de ça… Souvent, les gens sont en dépression parce qu’ils sont déchirés. Le changement doit survenir à tous les niveaux.

N’est-ce pas un peu la dynamique des réseaux sociaux ?

L’action-réaction ne laisse plus de capacité de discernement. Voyez aussi la façon dont nos hommes politiques nous donnent des modèles de négociation, c’est tragique. Du bac à sable ! C’est agressif, cinglant, cela manque de courtoisie, de tact et de réflexion. Ils ne laissent pas l’autre aller au bout de sa phrase qu’ils prétendent déjà avoir raison. Quel modèle !

Revenons aux attentats et au radicalisme. Le sentiment général est que ces radicaux malmènent notre paix et veulent imposer un modèle rétrograde. Comment réagir à ces ressentis légitimes ?

La seule façon de transformer cela est d’accepter avec courage et humilité – deux vertus qui ne sont pas trop d’actualité – de se remettre chacun en question en arrêtant de croire que c’est un phénomène extérieur. La plupart des jeunes embarqués dans ce djihadisme viennent de chez nous. Qu’est-ce qui fait que l’on a engendré une telle monstruosité ? En quoi, dans notre attitude quotidienne, créons-nous du rejet, de la culpabilisation, du déni ? Ce sont des attitudes fréquentes, même dans les bonnes familles –  » Tu n’y arriveras jamais comme ça  » – ou dans les classes –  » C’est encore notre petite Claudine qui a zéro, comme toujours… « . On bousille l’estime de soi !

On ne valorise pas assez ?

Nous sommes encore trop pétris de rapports de force, une vieille habitude qui se manifeste par la domination, la soumission, l’agression, la manipulation, le harcèlement… Nous nous sommes enroulés dans un  » je, me, moi  » souvent égoïste et avide face à un  » tu, te, toi  » perçu comme hostile ou menaçant. On a créé de la séparation et on a oublié le  » nous « . C’est bien cela qui manque à ces gamins qui partent en Syrie, à qui des allumés disent  » Tu es un frère, viens chez nous ! « .

Notre cadre démocratique ne propose-t-il plus un socle de valeurs suffisant ?

Nous sommes dans un processus de transformation. Quand on cherche vraiment qui on est, dans un travail thérapeutique, on passe par un espace de vide qui n’est pas très confortable, un peu angoissant. On quitte ce que l’on connaît, mais on ne sait pas encore vers quoi on va. Tout ce processus d’abandon, de lâcher prise, fait partie de la capacité à se rouvrir à quelque chose de neuf. Il me semble que l’on est dans quelque chose de cet ordre-là au niveau de la société. On démantèle un vieux système qui s’écroule. Le système pyramidal, calqué sur l’armée, disparaît. Il considérait l’individu comme un objet et ne faisait pas appel à sa créativité. C’est impossible aujourd’hui. Le nouveau modèle d’entreprise libérée fait au contraire participer tout le monde.

C’est le modèle de participation citoyenne que David Van Reybrouck prône pour la démocratie…

Tout à fait. Il fait appel à l’intelligence collective.

Par contre, les institutions officielles…

… sont en retard. C’est comme si tout était bloqué, alors que nous vivons un changement de civilisation aussi important qu’entre le Moyen Age et la Renaissance. Forcément, il y a un climat mortifère de celui qui s’en va, qui n’aime pas mourir, avec des retours intégristes aux racines, à la lettre du texte, parce que la nouveauté fait trop peur. C’est une convulsion.

Faut-il avoir confiance en ce renouveau ?

C’est mon message. Je suis confiant. Je rencontre tellement de jeunes qui sont dans des projets partagés, créatifs, proches de la terre et qui ne sont plus dans la logique de ma génération, c’est-à-dire faire carrière, gagner beaucoup de fric pour avoir une piscine. Leur vraie joie est dans l’échange, la solidarité, les réseaux… Le nombre de jeunes qui adoptent la méditation pour être posé, centré, inspiré, c’est magnifique !

Bio Express

17 décembre 1957 : Naissance à Uccle.

1994 : Formateur certifié en communication non violente.

1995 : Lance des ateliers de compréhension et d’expression psychologiques et émotionnelles.

2001 : Parution de Cessez d’être gentil, soyez vrai ! (éd. de l’Homme).

2008 :Du Je au Nous. L’Intériorité citoyenne (éd. de l’Homme).

2016 :La paix, ça s’apprend, coécrit avec David Van Reybrouck (Actes Sud).

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