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Tourisme collaboratif : sous le soleil, différemment

Voyager autrement. Plus de all in, d’excursions bidon ou de restos attrape-touristes. Airbnb a ouvert la voie à une série de sites Web qui misent sur le tourisme collaboratif et la recherche de l’authenticité. Mais leur nombre d’utilisateurs progresse plus rapidement que leur chiffre d’affaires.

Elle était russe, résidait à Miami, bling-bling et grosse villa. Lui, Paul Bossu, vit dans un appartement bruxellois, pense que le capitalisme a une date de péremption et, même à 42 ans, préfère les douches communes des auberges de jeunesse aux buffets all inclusive. S’ils s’étaient croisés en vacances par hasard, ils ne se seraient pas jeté un regard. Via NightSwapping, ils ont dormi sous le même toit. Il l’a même embarquée à une soirée dans une cave délabrée. « Elle n’en revenait pas ! Il n’y a qu’avec ce genre de plan qu’on fait de telles rencontres improbables. »

Avant, il était couchsurfer. Son canapé voyait défiler les voyageurs, mais lui ne dénichait jamais un hébergeur. « Les filles trouvent facilement. Les mecs, pas évident. » Alors, il a testé NightSwapping. En accueillant des touristes chez lui, il gagne des nuits qu’il pourra ensuite dépenser chez d’autres. Pas d’échange d’argent. Sauf pour la plateforme française créée fin 2012 qui, elle, perçoit une commission de mise en relation et vend aussi des nuits (de 7 à 49 euros) à ceux qui n’ont pas de crédit pour débuter ; 200 000 membres revendiqués, un million espéré d’ici 2018. « On veut devenir concurrent d’Airbnb », clame son CEO, Serge Duriavig. Ou la dernière déclinaison du tourisme collaboratif.

Produits dérivés

Airbnb et ses logements chez l’habitant ont retourné l’industrie hôtelière : 60 millions d’utilisateurs en huit ans ! Le site américain a surtout encouragé une flopée de produits dérivés. Location de son jardin pour camper (Gamping, Owlcamp), échange de mobil homes (JeLoueMonCampingCar) de bateaux (Click&Boat, Boaterfly), de vélo ou de planche de surf (Spinlister)… Mais aussi repas chez l’habitant (VoulezVousDîner, VizEat…), guide touristique local (Goodspot, Vayable…), conciergerie (BNBsitter, EasyWelcome), réservation en direct via de petites agences (Tripconnexion)…

Autant de variations sur un même thème : une plateforme Web + des personnes. Soit qui veulent gagner (un peu) plus en donnant (un peu) d’elles-mêmes. Soit qui veulent dépenser (un peu) moins. Ou (un peu) plus, parce que l’authenticité n’a pas de prix. « Dans les années 1950-1960, on voyageait beaucoup en chambre d’hôtes, se souvient Jean-Michel Petit, patron de VizEat. Puis les tour- opérateurs se sont imposés. Aujourd’hui, paradoxalement, Internet permet d’en revenir à des expériences plus humaines. »

« Peut-être est-ce lié à la crise. Les gens en ont ras-le-bol des monopoles, des grosses industries », suppose David Vuylsteke, fondateur du site belge Piggybee, qui propose aux voyageurs de jouer les livreurs en (r)amenant un colis dans leurs valises. « Airbnb ou Uber ont ouvert l’esprit des gens et beaucoup de nos utilisateurs viennent de ces sphères-là. C’est le bon moment pour se lancer. »

L’idée de génie ne suffit pas toujours. Les Français de Weeleo pensaient avoir touché le gros lot avec leur concept d’échange de devises entre touristes, sans passer par les commissions des bureaux de change. Large couverture médiatique, levée de fonds de 700 000 euros, objectif de 1,8 million d’utilisateurs en 2016… Tués dans l’oeuf pour cause de non-conformité à la législation.

Le plus souvent, c’est le business model qui coince. « Un des plus gros défis, c’est d’être bénéficiaire, pointe Cindy Marechal, porte-parole de Startups du voyage, sorte de fédération française de ce secteur de niche. Sur nos sept membres, seuls deux le sont pour l’instant. » Beaucoup optent pour un prélèvement de x % sur la transaction. D’autres préfèrent une commission de « mise en relation ». Tous sont contraints d’atteindre rapidement une masse critique. « Notre enjeu, c’est le nombre », appuie Joseph Léopold, cofondateur de Gamping, qui, après une phase gratuite, s’octroie désormais des frais de 3 euros (ou 15 % du montant au-delà de 20 euros) par réservation. Le prix moyen de la nuitée se négociant à 7,5 euros, il en faudra un paquet, des jardins et des campeurs…

Erreur de jugement

Du coup, l’internationalisation devient rapidement une obligation. Et, comme ils ont souvent la mauvaise idée de se copier, les concurrents sont parfois contraints de se racheter l’un l’autre. Lancé en 2014, le français VizEat a par exemple déjà englouti deux rivaux, Cookening et LiveMyFood. « Pour aller plus vite », justifie Jean-Michel Petit.

Objectif : croissance fulgurante. Comme Airbnb. Qui, rien qu’en Belgique, est passé de 70 000 utilisateurs en 2013 à… 450 000 en 2015, selon Sarah Roy, porte-parole de la firme. Personne n’avait rien vu venir. En 2015, l’horeca bruxellois estimait, dans Trends-Tendances, que seuls les jeunes étaient séduits et que, finalement, c’était une bonne chose pour « attirer différents publics ». Aujourd’hui, son président, Yvan Roque, doit bien constater qu’ils partagent une même clientèle. « Si ces sites ne participent pas aussi à la taxation, l’industrie hôtelière va disparaître à moyen terme. » « Ce n’est pas parce qu’il s’agit d’une nouvelle économie qu’elle ne doit pas être encadrée », plaide Patrick Bontinck, directeur de Visit Brussels. Qui ajoute qu’environ 1 300 lits Airbnb sont occupés quotidiennement, soit près de 10 % de la performance des hôtels (14 000 lits).

Faute de pouvoir toucher à la fiscalité (prérogative fédérale), le gouvernement bruxellois a instauré une nouvelle réglementation, obligeant les hôtes à se déclarer et à respecter une série de normes (éclairage, aération, ameublement…). La Wallonie, bien que moins impactée, s’apprête à l’imiter via une révision de son code du tourisme, « qui devrait être votée d’ici la fin d’année », selon le ministre René Collin (CDH).

Airbnb fera peut-être la moue. Les autres s’en fichent, occupés qu’ils sont à contourner les embarras de législation. « Aucun règlement n’aura d’impact sur notre business model, car ce n’est pas de l’argent que les gens s’échangent », se réjouit Serge Duriavig, CEO de NightSwapping. « D’un côté, on prend un peu le travail d’autres, concède Paul Bossu, le voyageur alternatif. En même temps, ceux dont le tourisme collaboratif menace l’emploi pourront toujours tenter d’arrondir leurs fins de mois sur Airbnb et compagnie… »

Six sites pour voyager autrement

Cherchez l’erreur : les touristes en ont marre du touristique. Dans la foulée d’Airbnb, de nombreux sites se démènent pour leur offrir de l’authenticité. Et empocher (souvent) leur commission au passage.

Gamping paradis

Il avait oublié ses clés. Et s’en était aperçu devant sa porte d’entrée, en rentrant d’un road trip en Italie. Alors Joseph Léopold avait planté sa tente dans son jardin. « C’était sympa : je me sentais en sécurité, il y avait une prise d’électricité, de l’eau, le wifi, un potager… » Le paradis, pour les adeptes du camping sauvage.

Gamping (avec un « g » pour garden) était né. « On a lancé le site en avril 2013, juste pour voir si ça fonctionnait. Et la sauce a pris ». Aujourd’hui, plus de 8.000 emplacements sont répertoriés sur cette plateforme de location de jardins privés. Essentiellement en France, mais aussi en Belgique, ainsi que dans 40 autres pays. « Pour les hôtes, c’est un moyen de faire de nouvelles rencontres. On a par exemple des agriculteurs, des retraités, des personnes qui ne peuvent pas voyager… Mais s’il n’y avait pas de contribution financière, ils ne le feraient pas ».

Les bailleurs de terrains ne gagnent toutefois pas gros. « Peut-être 400 euros par an ». Les voyageurs, par contre, économisent pas mal, avec un tarif moyen de 7 euros la nuit. « Les deux premières années, on ne prenait pas de commission, mais depuis 2015, on rajoute 3 euros au prix de location ou 15% au-delà de 20 euros », précise Joseph Léopold.

La startup française espère lever des fonds d’ici la fin de l’année pour se développer. « Pour structurer une équipe plus grande et plus internationale. Notre enjeu, c’est le nombre. Il faut atteindre une masse critique ». Les fondateurs ne parviennent pas encore à se rémunérer. Mais ils ont déjà été copiés, notamment par le site Owlcamp. La course aux jardins peut commencer.

Une tête de veau chez Jean David ?

Un brunch à New-York chez Danushka, une tête de veau à Paris chez Jean David, un risotto à Lisbonne chez Susana et Gil, un cholent à Budapest chez Barnabé… Chez qui mangerez-vous lors de vos prochaines vacances ? « Le premier réseau social au monde, ce n’est ni Facebook, ni Twitter, c’est la table !, lance Jean-Michel Petit, cofondateur de VizEat. Notre site permet aux voyageurs d’avoir des expériences culinaires avec des locaux ».

Comme celle qu’il avait eue au bord du lac Titicaca au Pérou. Ce repas partagé avec des Indiens lui avait donné le déclic : le voyageur rêve d’expériences et de rencontres authentiques. La nourriture peut les lui offrir. « On s’est lancé en juillet 2014 avec 50 hôtes, des amis à nous. Aujourd’hui, on en compte 20.000 dans 105 pays ».

D’autres plateformes, comme VoulezVousDiner, Bookalocal, Mealsharing, Eatwith, Plateculture ou Withlocals, explorent le même créneau. VizEat a elle-même déjà racheté deux concurrents, Cookening et Livemyfood, afin de « grandir plus vite ». Effet de mode ? « Phénomène sociétal », répond plutôt Jean-Michel Petit. « Internet permet d’en revenir à des expériences à taille plus humaine ». Mais pas moins coûteuses. 51 euros chez Danushka, 40 euros chez Jean David, 20 euros chez Susana et Gil, 32 euros chez Barnabé… Mais quand on aime l’authenticité, on ne compte apparemment pas.

Globe-facteur

On vit dans un monde rempli d’injustices. Un Américain paye moins cher ses Converse. Un Coréen paie moins cher son Samsung. Un Allemand paye moins cher ses Pampers.

Mais on vit dans un monde pratique. Se faire ramener une paire de basket (ou un gsm, ou des langes) par un Américain (ou un Coréen, ou un Allemand) n’a jamais été aussi facile.

Pour David Vuylsteke, c’était un pot de crème d’Afrique du Sud. Et si un voyageur le réapprovisionnant ? Piggybee, c’était parti ! Cette plateforme belge met en relation ceux qui ont besoin d’envoyer (ou recevoir) quelque chose avec ceux qui ont une place dans leur valise (en échange d’un pourboire).

« Parmi nos 5.000 utilisateurs, beaucoup ne le font pas seulement pour l’argent, mais aussi pour les valeurs de partage, de solidarité, d’entraide… » David Vuylsteke non plus n’a pas lancé Piggybee par appât du gain. Depuis 2012, il développe le site bénévolement, en attendant de trouver un business model adapté.

La concurrence (Worldcraze, Roadie…) ne lui facilite pas la tâche. « C’est sûr, ce serait plus simple si j’étais en Californie ! » Ou à Altanta, où la startup américaine Roadie a levé 10 millions de dollars auprès d’UPS. Alors que Piggybee rêve justement de devenir le nouvel UPS. Un monde injuste, vraiment…

Selfie postal

Les cartes postales, on sait quand on les écrit. Pas quand elles arrivent. Alors on n’en écrit plus. Puis les plages éclatantes, les filles en string et les blagues à deux balles, c’est ringard. Désormais, on préfère les selfies.

À moins que le selfie (on n’importe quelle autre photo maison) ne devienne une carte postale, a imaginé la start-up française Fizzer. Un coup de personnalisation en ligne, quelques filtres, une signature du bout du doigt sur l’écran et l’enveloppe atterrira dans la boîte aux lettres du destinataire. Moyennant paiement, évidemment (2,39 € pièce). Cela ne révolutionnera pas votre voyage, mais cela fera toujours plaisir à votre tata Jacqueline.

Loger sans payer

On connaissait déjà l’échange de maisons (Trocmaison, Guesttoguest…) et le séjour chez l’habitant (Airbnb, Coachsurfing…) Serge Duriavig, fondateur de Nightswapping, a mixé les deux concepts pour en extraire une variante : l’échange de nuitées. En accueillant un touriste chez lui durant X jours, un propriétaire accumule X crédits pour aller séjourner chez d’autres. Pas d’échange d’argent, donc. Sauf pour ceux qui débutent (ou qui ne peuvent se permettre d’héberger) : il leur est possible d’acheter des nuits, entre 7 et 49 euros. Un algorithme en calcule la valeur, selon le standing du bien. Mais pas un cent n’atterrit dans les poches des propriétaires. C’est le site qui récolte la monnaie, ainsi que les frais de « mise en relation » de 9,90 euros.

« On en revient aux fondamentaux, estime Serge Duriavig. Nos utilisateurs recherchent de l’authenticité, de la proximité… On remarque que beaucoup redécouvrent des villages, des provinces moins touristiques ». La plateforme (qui doit composer avec un autre concurrent français, Trampolinn) revendique 200.000 membres et entend bien être le nouvel Airbnb. Elle s’en donne les moyens : créée en 2012, elle a déjà levé deux fois deux millions d’euros.

Vis ma ville

Nicole connaît les vieux quartiers namurois comme sa poche. Jérôme aime faire découvrir le patrimoine industriel carolo. Catherine emmène ses visiteurs dans les passages secrets bruxellois. Être guide touristique n’est pas leur métier, mais leur passion. Qu’ils exercent gratuitement, même s’il n’est pas interdit de les remercier avec un pourboire. Ils sont comme ça, les Greeters. Prêts à donner de leur temps pour partager l’amour de leur ville. Et ils n’ont pas attendu Internet : la première « association » fut fondée en 1992 à New York. Elle a depuis essaimé dans plus de 100 villes à travers le monde. De Buenos Aires à Tokyo, en passant par Saint-Christophe-des-Bardes ou Cluj-Napoca (pour info, c’est en France et en Roumanie).

Mais depuis l’émergence du tourisme collaboratif sur le web, de nombreuses plateformes tentent le même concept, cette fois en version payante. Ou comment découvrir le chocolat belge avec Marion à Bruxelles (pour 48 dollars), déguster des vins français avec Annalisa à Paris (pour 55 euros), créer une mosaïque style Gaudi avec Marta à Barcelone (pour 48 euros)… Les sites pullulent (Vayable, Guidehop, Rendezvouscheznous, Trip4real, Tournative…) mais tous ne survivent pas (Goodspot, Guidelikeyou, Sidetour…) N’a pas la longévité d’un greeter qui veut.

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