© Capture d'écran Youtube

Touche pas au roi Hanouna

Le Vif

En France, son émission a pulvérisé les audiences de D8, au point de rendre la chaîne dépendante de l’animateur de Touche pas à mon poste. Jusqu’où montera ce bateleur hors norme, accro au direct et dénué du moindre tabou ? Derrière l’éternel ado se cache un homme de télévision toujours plus puissant que les politiques courtisent sans scrupules.

Un hochement de tête et un large sourire pour seuls sésames. Et des gardes républicains qui s’effacent : ce 20 novembre 2015, Cyril Hanouna franchit d’un pas alerte les grilles de l’Elysée, comme d’autres poussent celles d’un square. Puis il s’engouffre tout schuss dans la salle des fêtes où piétine le Tout-Paris. Ce jour-là, François Hollande enrubanne deux des barons d’Arnaud Lagardère, le journaliste Jean-Pierre Elkabbach et le conseiller de l’industriel, Ramzi Khiroun : un tandem qu’entourent des capitaines d’industrie et le gratin des médias et de la politique, au premier rang duquel le Premier ministre Manuel Valls.

Les huissiers du palais ont jeté un regard amusé sur ce feu follet glissant sur les tapis d’Aubusson tel un drone en rase-mottes : aussi à l’aise sous les ors de l’Elysée que sur un plateau de télé. Cyril Hanouna ne se déplace pas, il lévite. L’homme ne marche pas, il plane. Les conseillers du chef de l’Etat l’ont vu ainsi passer de groupe en groupe. Saluer d’abord François Pinault, embrasser ensuite Vincent Bolloré, étreindre dans la foulée Arnaud Lagardère et tenir enfin le coude d’un Premier ministre hilare. On a même vu le visage de François Hollande s’illuminer aux bons mots de celui que l’on n’attendait pas en pareils lieu et circonstances…

L’animateur le plus populaire de France, celui qu’une armée de « ménagères », qu’une légion de 18-35 ans plébiscitent sur D 8 et, en Belgique, sur Plug RTL, serait donc plus qu’un bateleur passé maître dans l’art du talk-show ? Autre chose qu’un saltimbanque qui fait se gondoler la France avec Touche pas à mon poste ! : 1,8 million de téléspectateurs en moyenne chaque jour (plus de deux fois l’audience du Grand Journal de Canal + ; en Belgique, l’émission rassemble quotidiennement quelque 81 000 téléspectateurs) ?

Un animateur « qui a mis dix ans à être connu du jour au lendemain », selon Gérard Louvin

TPMP, programme en forme de jamboree, qui affole l’audimat et dont Hanouna a fait son miel et son beurre, est devenu en deux petites saisons une marque bien installée et l’une des « cash machines » du PAF. Quant à son animateur, il est le pontife jalousé d’une profession qui lui baise l’anneau. Le pape du PAF a du pif… et son double au musée Grévin !

Preuve que cet homme de télévision de 41 ans, né à Paris d’un père médecin et d’une mère commerçante, est devenu un phénomène ? Les réactions qu’il déclenche. Le personnage est « clivant », comme on dit dans les instituts de sondage. Prononcer le nom d’Hanouna, c’est déployer un arc-en-ciel allant des compliments les plus définitifs aux critiques les moins amènes : étrillé en couverture de Charlie Hebdo, le 10 février, sous la forme d’un moustique porteur d’un virus pire que Zika (« Hanouna, le virus qui rend con »), il réplique par une vidéo d’autodérision !

Ses pairs, eux, ne se moquent pas, ils saluent, presque unanimes, la ténacité et le métier d’un animateur « qui a mis dix ans à être connu du jour au lendemain », comme le résume le druide de la profession, Gérard Louvin. Une chose est sûre : ce « performer », roi de l’impro, est aujourd’hui le seul en France à animer toutes ses émissions en direct, qu’il s’agisse de télévision ou de radio (il est chaque après-midi sur Europe 1), contrairement à ses confrères pourtant plus madrés, de Thierry Ardisson à Laurent Ruquier, en passant par Michel Drucker, Arthur ou Patrick Sébastien, dont les programmes cousus main sont tous enregistrés, voire améliorés au montage.

Le roi Hanouna donne audience dans ses studios de Boulogne-Billancourt, à l’ouest de Paris, au milieu d’une fourmilière de techniciens, assistantes, maquilleurs et chroniqueurs : un aperçu de la PME Hanouna. Jamais au repos, toujours en mouvement, il plante son regard loin par-dessus votre épaule, guettant le grain de sable qui pourrait coincer sa machine. Puis il se jette dans un fauteuil majestueux, qui n’a plus rien du canapé familial où il se vautrait devant la télé il y a encore onze ans, attendant désespérément le coup de fil qui ne venait pas. C’est au début des années 2000, en effet, que l’on entrevoit pour la première fois son visage à la télévision, sur Comédie, chaîne thématique du groupe Canal +, pour quelques sketchs… qui désespèrent ses parents. Papa aurait voulu voir un caducée sur le pare-brise de la voiture de son fils, qui préférait y coller les vignettes autocollantes de ses animateurs préférés. De ses études (furtives) de comptabilité, Cyril Hanouna a conservé le goût des chiffres : l’intéressé maîtrise comme personne dans le PAF l’algèbre de Médiamétrie, l’institut d’analyses d’audience, dont il décortique chaque jour les courbes. Les grands argentiers du groupe Canal +, maison mère de D 8, sont obligés d’en convenir : « Hanouna- dépendante », cette chaîne de la télévision numérique terrestre a vu son chiffre d’affaires publicitaire dépasser celui du canal crypté l’an passé. TPMP a même brûlé la politesse à TF 1 sur la fameuse cible des « ménagères », ce coeur nucléaire des publicitaires.

Cyril Hanouna ne doit son ascension qu’à un seul homme : Vincent Bolloré. C’est avec des yeux arrondis comme des soucoupes volantes qu’il se remémore les premiers mots de l’industriel : «  »Ne lâche rien, car je crois en toi ! », m’a-t-il lancé un jour dans son bureau. Depuis cette date, Vincent ne m’a jamais quitté des yeux », dit-il. Mais si l’animateur est devenu un intime de l’homme fort de Vivendi, il est d’abord l’ami de Yannick Bolloré, le fils de l’entrepreneur. C’est dans les soutes de Direct 8 que les deux hommes ont fait leurs classes puis gagné leurs galons. Le plus sérieux est devenu patron d’Havas et le saltimbanque a signé l’an dernier avec Banijay, la société de production de Stéphane Courbit, l’un des contrats les plus vertigineux qu’un animateur ait passé depuis vingt ans : 250 millions d’euros sur cinq ans. Fidélité au clan Bolloré ? Stéphane Hasbanian, l’avocat de l’animateur et son premier confident, assure n’avoir eu aucune difficulté à convaincre Cyril Hanouna de repousser des offres « mirobolantes », notamment de TF 1. « Cyril est non seulement très équilibré, bien entouré, insensible aux honneurs, mais extrêmement réglo », dit-il. « J’ai rarement vu quelqu’un d’aussi fidèle et qui aime à ce point son métier », confie de son côté Stéphane Courbit, qui l’a vu ferrailler avec les dirigeants de D 8 sur la longueur des écrans de pub de la chaîne… Ou sur la qualité d’un épisode de Commissaire Maigret, diffusé sur cette même antenne !

Hanouna lit tout, scanne tout, épluche tout : la presse, comme Internet. Et il n’oublie rien

Bolloré-Hanouna-Courbit ? Trois complices jamais loin les uns des autres. L’industriel et l’animateur vont faire ainsi leur entrée au capital de Banijay, la société du troisième : un groupe de production au chiffre d’affaires de 1,1 milliard d’euros cette année. Une somme qui donne le tournis, comme les centaines de milliers d’internautes qui suivent Cyril Hanouna sur Snapchat, Facebook ou Twitter, « fan zones » qu’il surveille du matin au soir et qui sont pour lui autant d’instituts de sondage. Sur le qui-vive, Hanouna lit tout, scanne tout, épluche tout : la presse, comme Internet. Et il n’oublie rien. Ses proches confessent que ce garçon, plutôt bonne pâte, a gravé dans son disque dur les noms de ceux qui lui ont fait défaut. « Cash », il décroche son téléphone au premier coup de sang. Il a ainsi passé un coup de fil incendiaire au PDG de RTL, Christopher Baldelli, lui confiant, sans la moindre précaution de langage, tout le mal qu’il pensait des « conneries » que raconterait à son sujet l’une des figures de sa station, Laurent Ruquier. Hanouna est doté de la combativité de ceux qui sont sortis du désert, de la mémoire des ambitieux et d’une certaine dose de parano propre à cet univers.

Le 3 février dernier, tout le monde attend Cyril Hanouna à la « soirée des animateurs du groupe Canal », où l’état-major au grand complet s’est donné rendez-vous, Vincent Bolloré en tête. En vain : « J’avais besoin de me coucher tôt », prétexte celui qui revendique une hygiène de vie spartiate. Ni tabac ni alcool, mais des séances de tennis soutenues avec ses copains Richard Gasquet et Gaël Monfils. Le week-end, ce sont les potes d’enfance, un cercle d’amis étrangers au métier, qui prennent le relais chez lui pour des jeux dignes d’une cour d’école : des après-midi potaches dont il tire parfois des concepts d’émissions. Ses tiroirs en sont pleins : entre deux recadrages de son écurie de chroniqueurs, qu’il tient bride courte, Hanouna compile les projets, notamment pour cette chaîne laboratoire qu’est D 8, dont il est de facto le « taulier ». Des versions libanaise, italienne et espagnole de TPMP, une palette de jeux bientôt à l’antenne de D 8, dont un avatar politique de Touche pas à mon poste !, à l’horizon de l’élection présentielle de 2017, un premier long-métrage sur l’univers de la télévision (avec deux autres de ses complices, Gad Elmaleh et Kev Adams)… C’est d’évidence un empire que bâtit patiemment le roi Hanouna ! Lui dit qu’il ne construit rien, surtout pas un groupe, encore moins un patrimoine. S’il se voit un jour en haut de quelque chose, c’est d’une chaîne de télévision, confesse-t-il : « C’est mon rêve le plus cher, mon ambition la plus forte. » Hanouna président ! Quelques semaines avant de déambuler sous les lambris de l’Elysée, ce soir de novembre, et d’y distribuer les poignées de main comme s’il était en campagne électorale, Cyril Hanouna avait annoncé à l’antenne qu’il voterait, à la prochaine présidentielle, pour celui qui le battrait au ping-pong. Quelle ne fut pas sa surprise en découvrant dans la soirée sur son portable les messages de François Hollande et de Nicolas Sarkozy, relevant tous deux le défi. Deux SMS comme des faire-part dictés par des communicants. Le gamin Hanouna, lui, persiste à n’y voir qu’un échange potache…

Renaud Revel

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