Eliot A. Cohen. © SDP

 » TÔT OU TARD, TRUMP SE FÂCHERA AVEC POUTINE « 

Ex-conseiller de Condoleezza Rice sous George W. Bush, le conservateur Eliot A. Cohen est un expert renommé des questions militaires et stratégiques. A Washington, cet anti-Trump assumé ne cache pas son inquiétude.

Comment jugez-vous la composition du gouvernement de Donald Trump ?

Il n’est pas  » hors norme  » selon les critères du Parti républicain, même s’il compte un peu plus de millionnaires et de militaires que d’habitude. Ce qui l’est, en revanche, c’est l’équipe de la Maison-Blanche, à commencer par le général Michael T. Flynn au poste clé de conseiller à la sécurité nationale (National Security Advisor). C’est un homme en colère, qui n’a pas la maturité indispensable et dont la vision de l’islam manque singulièrement de nuance. De plus, il est bien trop à l’aise avec l’idée de participer à des débats sur le plateau de la chaîne de télévision publique russe RT, où il s’est rendu régulièrement depuis sa retraite, en 2014. Enfin, le conseiller à la sécurité nationale est censé avoir une  » vision  » de la conduite des affaires du monde, à la manière de Henry Kissinger sous Nixon ou de Zbigniew Brzezinski sous Carter. Je ne pense pas que cela soit le point fort de Flynn. Quant à Donald Trump, je maintiens que son tempérament le rend inapte à la fonction.

Et le général James Mattis, nouveau secrétaire à la Défense ?

Il est un homme prudent, mesuré, réfléchi, qui comprend la nécessité de préserver nos alliances militaires. C’est assurément un dur, mais pas une tête brûlée. Pour diriger le Pentagone, c’est un bon choix. Et s’il s’entend avec le secrétaire d’Etat (ministre des Affaires étrangères) Rex Tillerson, qui est un autre poids lourd, ces deux-là formeront un attelage puissant.

Les liens d’affaires noués par la Trump Organization risquent-ils d’affaiblir les Etats-Unis ?

De plusieurs manières. Pour commencer, tous les immeubles qui, à travers le monde, portent le nom  » Trump  » en lettres d’or sont vulnérables à des manifestations antiaméricaines et à des attaques terroristes. D’autre part, certaines relations d’affaires seront tentées de monnayer leur accès privilégié, supposé ou réel, à la Maison-Blanche. Ce qui soulève la question des conflits d’intérêts. Enfin, la grande question demeure : y a-t-il eu de l’argent russe dans les  » deals  » immobiliers du président ? Personne n’en sait rien car les comptes de Trump ont toujours été assez opaques. Ce qui, en soi, constitue un autre problème.

Le Parti républicain partage-t-il le penchant prorusse du président ?

Pas du tout. Chez les républicains comme chez les démocrates, les prorusses sont très rares. A l’image du sénateur John McCain, la grande majorité des élus du Congrès mesure bien la nécessité de préserver nos alliances militaires, à commencer par l’Otan. Cela n’empêchera pas Donald Trump de continuer à prononcer des déclarations inquiétantes pour les Européens. Mais, un jour, tôt ou tard, Poutine voudra le doubler. Alors, Trump se fâchera avec lui. Il décrétera que le maître du Kremlin est un  » bad guy « , un méchant.

Déconseilleriez-vous à vos amis du Parti républicain de travailler pour la nouvelle administration ?

S’il s’agit d’un  » job  » à la Maison-Blanche, certainement. Souvent, les gens imaginent pouvoir influencer le président  » de l’intérieur « . En réalité, c’est le contraire qui se produit. C’est généralement les présidents qui déteignent sur leur entourage.

ENTRETIEN : AXEL GYLDÉN

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