Le récent scandale impliquant Tomomi Inada a coûté 10 points de popularité au chef du gouvernement. © K. NOGI/AFP

Tomomi Inada, la « pétroleuse nationaliste-révisionniste » du Japon

Le Vif

Nationaliste révisionniste, la ministre de la Défense de l’archipel se voyait déjà succéder à Shinzo Abe. Mais ses provocations pourraient remettre en question ses ambitions dévorantes.

Le regard est déterminé, limite provocateur. Engoncée dans une veste de coton gris, les mains posées sur le pupitre de bois clair et faisant face à la commission budgétaire de la Chambre basse, le 14 mars, la ministre japonaise de la Défense, Tomomi Inada, bafouille des excuses. Elle a  » oublié  » avoir travaillé comme avocate de Moritomo Gakuen, une société gestionnaire d’écoles dans lesquelles l’enseignement est fondé sur les méthodes nationalistes d’avant-guerre. L’entreprise est au coeur d’un scandale qui menace jusqu’au Premier ministre, Shinzo Abe, et son épouse, Akie.

L’affaire enfle depuis les premières révélations, en février dernier. Tomomi Inada a commencé par nier tout lien avec la structure en question. La presse ayant retrouvé des comptes rendus d’audience, elle a ensuite invoqué un trou de mémoire. L’explication n’a guère convaincu, mais elle tient lieu désormais de version officielle. Tomomi Inada reste donc à son poste. Pour l’instant, car le scandale a déjà coûté 10 points de popularité au chef de gouvernement et les coursives du Parlement nippon bruissent de rumeurs. Remaniement ? Législatives anticipées ?  » Inada a perdu la confiance d’Abe « , veut croire l’opposition.

Le coup est rude pour le chef du gouvernement, père politique de Mme Inada, elle-même vitrine féminine de la mouvance incarnée par son mentor. L’un et l’autre partagent une ligne idéologique conservatrice et très ferme. Surtout, Abe l’imaginait déjà lui succéder à la tête du gouvernement japonais. Le symbole aurait été fort pour celui qui promeut les  » womenomics « , une politique visant à faciliter l’accession des femmes à des postes à responsabilité, dans les entreprises comme dans la fonction publique. Avec Tomomi Inada, âgée de 58 ans, le Premier ministre pouvait inscrire le Japon dans une tendance mondiale marquée par l’arrivée au pouvoir de femmes d’autorité, comme Theresa May au Royaume-Uni.

Entre les deux personnalités, tout a commencé en 2005. A l’époque, l’avocate défend les descendants de deux officiers de l’armée impériale, Toshiaki Mukai et Tsuyoshi Noda, exécutés après la guerre pour avoir participé à un concours morbide : celui du plus grand nombre de Chinois décapités au sabre. Les plaignants contestent les faits, qui remontent à 1937, et veulent réhabiliter leurs ancêtres.

Nationaliste fervent, Shinzo Abe est intrigué par cette avocate, qui s’est emparée avec passion des dossiers liés au noir passé nippon depuis qu’elle a visionné un documentaire sur le Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient. Celui-ci, à l’image de celui de Nuremberg, en Europe, a jugé, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les criminels de guerre japonais.  » J’ai été choquée de découvrir que le contenu des manuels d’histoire ne reflète qu’un seul point de vue « , explique Tomomi Inada.

Née en 1959 à Echizen, dans le centre de l’archipel, elle est marquée par l’empreinte de son père, Yasuo Tsunakihara, décédé en 2016.  » Elle est mon unique enfant, déclarait-il en 2010. Je rêvais d’avoir un fils et, d’une certaine manière, je l’ai élevée comme un garçon.  » Ancien professeur de lycée, il a toujours milité dans la mouvance nationaliste.

La jeune Tomomi n’en fera pourtant qu’à sa tête. Son père veut l’envoyer dans une université de Kyoto ? Elle préfère la faculté de droit de Waseda, à Tokyo. C’est là qu’elle rencontre Ryuji Inada, qu’elle épouse sans demander l’avis paternel. Le couple s’installe à Osaka et y élève ses deux enfants.

Convaincue de s’engager en politique par Shinzo Abe, la débutante est élue en 2005 à Fukui, son département natal, sous l’étiquette du Parti libéral démocrate (PLD, au pouvoir). Au Parlement, elle donne vite sa pleine mesure dans la surenchère révisionniste et nie, par exemple, le massacre de Nankin (Chine) par l’armée impériale japonaise, en 1937.

Membre de l’influente organisation ultranationaliste Nippon Kaigi ( » la conférence du Japon « ), comme Shinzo Abe, elle semble décidée à  » reconstruire la patrie « , son slogan électoral en 2005, et défend les visites au très controversé sanctuaire Yasukuni, lieu réputé sacré, mélange de spiritualité et de nationalisme, où l’on honore héros, mais aussi criminels de guerre. Elle milite également pour la révision de la Constitution, pierre angulaire du pacifisme japonais, et pour l’adoption de l’arme nucléaire. C’est, dit-on,  » la Sarah Palin japonaise « .

Sa mise fait parfois jaser. Comme Lady Gaga, elle est fan de Somarta, la marque de la styliste japonaise Tamae Hirokawa, et possède une vingtaine de paires de lunettes différentes – sa circonscription fut un important centre de production de cet accessoire.

A son retour au pouvoir, en 2012, Shinzo Abe la nomme ministre de la Réforme administrative puis, deux ans plus tard, à la tête du conseil de recherche politique du PLD.  » Elle apporte de l’espoir « , explique le Premier ministre à ceux qui s’étonnent de cette fulgurante progression.

En août 2016, la décision de lui confier le portefeuille de la Défense fait grincer les dents au sein du PLD, où beaucoup déplorent son manque d’intérêt pour ce sujet. Elle s’en moque, n’en fait toujours qu’à sa tête – et finit par aller trop loin. Elle s’est notamment rendue à Yasukuni au lendemain de l’hommage rendu par le Premier ministre Abe, le 27 décembre, aux victimes de l’attaque de Pearl Harbor (Etats-Unis), lieu de l’attaque japonaise du 7 décembre 1941. Cette provocation a suscité la colère de Séoul, de Pékin… et de Shinzo Abe.

Depuis quelques mois, elle semble déstabilisée par l’affaire Moritomo Gakuen, entre autres éclaboussures. Initialement, dans une Asie marquée par la montée en puissance militaire de la Chine et les provocations de la Corée du Nord, la promotion de Tomomi Inada à la Défense avait pour but de démontrer, dans l’esprit d’Abe, que Tokyo n’entendait plus faire profil bas. Or, tranche un membre du PLD, sa nomination à un poste clé  » a mis en lumière ses limites « .

De notre correspondant Philippe Mesmer.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire