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Théories du complot: « Nous vivons une période faste »

Eva Schram
Eva Schram Correspondante en Amérique du Nord pour Knack.be et LeVif.be

Aux États-Unis, les théories du complot semblent plus populaires que jamais. « Depuis la fin de la Guerre froide, les gens ne savent plus comment le monde est organisé, et les complots leur permettent de se raccrocher à quelque chose », déclare l’expert Michael Barkun.

« Je ne sais pas si l’Amérique est plus vulnérable aux théories du complot, déclare Barkun. En Europe aussi, il y en pas mal. Et leur popularité connaît des hauts et des bas. Mais nous vivons sans nul doute une période faste. »

C’est l’avis de Michael Barkun, professeur émérite à l’Université de Syracuse aux États-Unis et expert en matière de théories du complot et de l’extrême droite aux États-Unis. Il y a consacré le livre Culture of Conspiracy, connu comme le l’ouvrage de référence le plus fouillé sur les théories du complot. De Roswell à l’attentat contre JFK en passant par le 11 septembre : il contient toutes les théories tenues « secrètes ».

Comment expliquez-vous la popularité croissante des théories du complot?

Michael Barkun: Il n’y a pas de réponse exhaustive, mais la fin de la Guerre froide a été un facteur important. Du coup, beaucoup de certitudes ont disparu pour beaucoup de gens.

À cette époque, le monde était partagé entre les bons et les mauvais. Tout était simple et bien ordonné. Mais tout à coup, cet ordre simpliste a disparu et le monde est devenu compliqué et incohérent. Nous avons commencé à parler de pays dont on n’avait jamais entendu parler, tels que la Bosnie et l’Afghanistan, et de problèmes dont on ne savait rien. Les gens sont devenus avides d’explications et les ont trouvées dans un courant qui parlait d’organisations secrètes qui essaient d’imposer un nouvel ordre mondial.

À côté de ça, internet s’est également révélé très important. C’est une plateforme qui permet de diffuser très rapidement les idées. Cela permet aux subcultures de sortir de la marge. Une affaire comme la Pizzagate (NDLR: une théorie du complot selon laquelle il y aurait un réseau de pédophilie autour de John Podesta, l’ancien directeur de campagne d’Hillary Clinton)n’aurait jamais atteint les médias mainstream, mais a très rapidement été diffusée par internet. L’internet a nivelé le terrain de jeu. Il n’y a plus de gardiens.

À cet égard, que pensez-vous du gouvernement américain actuel qui refuse d’inviter les médias mainstream et invite un média tel que Breitbart ?

Cela correspond à la façon dont il menait sa campagne. Il utilisait déjà des idées de la marge pour les informations mainstream. Ce n’était jamais arrivé. Il a été le premier personnage public à douter ouvertement du lieu de naissance du président Obama, bien avant que ce dernier se présente. Et lors de la campagne, il a même suggéré brièvement que le juge Scalia de la Cour suprême aurait été assassiné. Cette thèse correspondait à la théorie qu’il aurait été étouffé avec un oreiller. Aussi ne suis-je pas étonné du tout qu’il poursuive sa politique médiatique dans ce sens.

Dans les médias de droite, on parle de plus en plus d’un deep state, où certains acteurs de l’état contrecarrent secrètement le gouvernement actuel. Selon vous, est-ce également une théorie du complot ?

C’est très souvent le cas. D’ailleurs à gauche du spectre politique, on a souvent parlé aussi de deep state. Il y a des gens de gauche qui n’acceptent pas le rapport consacré aux attentats du 11 septembre. Parfois, ils disaient aussi que le 11 septembre était une attaque planifiée du deep state. On a dit la même chose sur l’assassinat de Kennedy et toute une série d’autres événements tragiques.

Existe-t-il une corrélation entre la foi en théories du complot et l’extrême droite ?

Il est vrai que beaucoup de gens d’extrême droite croient aux théories du complot, mais il n’y a pas forcément de corrélation. En général, on peut dire que si quelqu’un adopte une idéologie extrême, surtout si elle est issue d’une polarisation entre le bien et le mal, il est plus souvent enclin à adopter une théorie du complot. Si vous croyez que votre opposant est une force presque satanique, cela vous pousse vers ces théories.

Est-il possible de contrecarrer ces croyances ?

Cela dépend de la solidité de cette foi. S’il ne s’agit que d’un intérêt modéré, il y a moyen de convaincre quelqu’un. Mais si c’est une foi solide, si quelqu’un possède un système fermé d’idées sur un sujet, les faits n’importent pas.

Vous dites qu’en ce moment nous vivons une période faste. Quand la popularité des théories du complot diminuera-t-elle ?

C’est difficile à dire. En regardant le passé, on peut constater que ce genre de périodes ne dure pas éternellement. L’intérêt pour les complots diminuera. Je ne peux pas dire quand, mais ce sera le cas.

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