Des victimes de la fusillade de San Bernardino © AFP

Terroriste avec baby-sitter : récit de l’étrange fusillade de San Bernardino

Rudi Rotthier
Rudi Rotthier Journaliste Knack.be

Les jeunes mariés ont demandé à la mère du mari de garder leur fille de six mois. Ensuite l’homme s’est rendu à une réunion dans le cadre d’une formation. Il revient plus tard avec sa femme pour faire un massacre. Quatorze personnes sont mortes. Récit d’une attaque pas comme les autres.

Les auteurs de la fusillade de San Bernardino, maintenant officiellement considérée comme une attaque terroriste, menaient une vie sans histoire. Lui, Syed Rizwan Farook, le terroriste de 28 ans, est né à Chicago, mais a grandi en Californie. Il était citoyen américain, avait fait des études supérieures et travaillait depuis 5 ans en tant qu’inspecteur de la santé publique pour laquelle il était en charge de vérifier l’hygiène dans les restaurants. C’était un travail bien payé puisqu’il touchait 65.000 euros (70.000 dollars) par an. Il ne parlait jamais ou presque religion dans le cadre de ses fonctions, même si on savait qu’il était musulman pratiquant. Il préférait parler de sa passion pour la restauration d’ancêtres.

Il travaillait en équipe avec un juif dévot de 52 ans, Nicholas Thalasinos, avec qui il avait régulièrement des discussions animées notamment sur Israël et sur le côté non pacifique de l’islam. Farook argumentait encore il y a peu que l’islam n’était pas une religion violente. Malgré des divergences d’opinions marquées, il semble pourtant, selon la femme de Thalasinos, que les deux collègues s’entendaient bien. Cela n’a pas empêché que Nicholas Thalasinos soit le premier à mourir sous les balles de son collègue. Des balles qui n’ont épargné personne puisque parmi les victimes on retrouve aussi des musulmans, dont un qui fréquentait la même mosquée que Farook.

Farook a rencontré sa compagne en ligne. Tashfeen Malik, 29 ans et de nationalité pakistanaise. Elle a suivi des études de pharmacienne et vivait avec ses parents, en Arabie Saoudite. Farook va la rejoindre dans son pays pour l’épouser. Ce n’est pas la première fois qu’il s’y rend puisqu’il avait déjà effectué le pèlerinage à la Mecque. Ils se marient à la Mecque. Milieu de l’année dernière, Malik le rejoint sans problème aux USA avec un visa de fiancée.

Syed Farook se décrivait comme croyant, mais moderne. Sa future femme porte le voile, disait-il. En réalité sa femme faisait plus que mettre un voile. Elle était complètement couverte. Au point qu’aucun homme de la famille de Farook n’a vu son visage. Cela n’empêche pourtant pas le couple de vivre le rêve américain avec maison en banlieue , voiture et enfant.

Ses collègues, ceux qui sont encore en vie, le décrivent comme calme, taiseux, qui aidait volontiers et formait les nouveaux collègues. Il n’a été absent longtemps que deux fois. La première fois pour son mariage et ensuite pour son congé de paternité. Malik est décrite dans les mêmes termes que son mari, soit réservée, modeste et sympathique. Elle ne sortait guère, même si on cherche aujourd’hui à savoir si elle s’entraînait au tir.

Mercredi matin, Farook demande à sa mère, qui vit dans une chambre au dernier étage de leur maison, si elle veut bien garder la petite. La mère sera interrogée durant 7 heures par la police et déclare qu’elle ne savait rien de l’attaque puisqu’elle était restée dans sa chambre. Farook lui aurait juste dit que sa femme devait être amenée d’urgence à l’hôpital.

Malik et Farook se rendent alors à bord d’une voiture louée vers les services sociaux de San Bernardino, où se tenait la réunion bi-annuelle du comité des fêtes. Cette réunion combine formation et repas de fête. Plus de 75 personnes y étaient attendues. Farook est un peu en avance, il s’assoit seul à une table. D’autres le rejoignent rapidement comme son ancien collègue Patrick Baccari. « Prêt à s’ennuyer ? » lui demande Baccari en pensant aux interminables discours que ponctue l’évènement. Cette blague récurrente prend ici une autre tournure puisque Farook lui répond tout sourire « qu’il est prêt ». Après plus ou moins une heure, Farook disparaît. Les versions divergent à partir de ce moment. Selon les premières sources, il y a eu une dispute et Farook semble furieux quand il quitte la salle. Bacari, lui, dit qu’à un moment il n’était « juste plus là ». Son absence est remarquée puisqu’ils sont plusieurs à se demander « Ou est Syed? ». Bacari survivra à l’attaque parce qu’il se trouvait aux toilettes juste à ce moment-là.

A 11 heures, lors de la pause, deux personnes masquées et habillées de noir surgissent dans le centre de conférence où des bagels et de la tarte avaient été disposés. L’attaque ne va durer que 4 minutes, mais ils vont avoir le temps de tirer entre 65 et 75 balles et placer une bombe avec commande à distance (selon certaines sources la bombe avait été dissimulée dans une voiture pour enfant). L’idée, pense-t-on, était de la déclencher à l’arrivée des secours ou de la police. Cette bombe n’explosera jamais. Une des balles a en effet déclenché le système antiincendie et l’eau a probablement touché le mécanisme de mise à feu de la bombe. Ou alors les terroristes étaient trop loin lorsqu’ils ont tenté d’activer le système de mise à feu.

Les policiers vont être mis sur la piste des deux personnes masquées par des témoins qui disent avoir reconnu la voix d’un de leurs collègues Farook. Malgré l’incrédulité de certains, les autorités envoient tout de même une équipe au domicile de Farook, à 13 kilomètres de San Bernardino. Sur place, l’équipe voit arriver la voiture du couple. S’engage alors une course poursuite où Malik tire sur la police. Leur course éperdue s’arrête à trois kilomètres du lieu de l’attaque sous une pluie de balles.

On retrouve 1600 balles non utilisées dans la voiture et 4.500 à leur domicile. On y découvre également 12 bombes artisanales dont Al Qaida fournit le mode d’emploi. Tout cet arsenal aurait coûté 15.000 euros. Les armes étaient légales, mais avaient été transformées pour les rendre plus létales. Ils avaient aussi essayé de détruire leurs traces numériques en détruisant leurs ordinateurs.

Peu avant les premiers coups de feu, Malik, selon CNN en The New York Times, poste sur Facebook un message dans lequel elle prône son allégeance au boss de L’EIAbu Bakr al-Baghdadi. C’est fréquent avant une attaque. Ce qui l’est moins c’est que celui-ci a été propagé sous un pseudonyme. Le post a depuis été supprimé par Facebook.

Pour l’instant, les conclusions sont qu’il y avait des indications de radicalisation et que ces attaques ont plus que probablement été inspirées par une source étrangère. Sous-entendu inspiré par l’EI mais pas organisé par l’EI. Il semble que le couple avait planifié au minimum une seconde attaque. La fusillade de mercredi n’aurait été qu’une mise en jambe avant une cible plus importante. La première ne servant qu’à créer un impact au sein de la population américaine. Et cette partie-là de la mission est accomplie puisque cette attaque a servi à augmenter encore d’un cran la peur aux États-Unis.

Un pays qui ne comprend pas comment une jeune mère d’un bébé de six mois et un homme avec une bonne situation et une passion pour les vieilles voitures peuvent commettre froidement un tel carnage. C’est donc l’incrédulité qui domine avec comme corollaire l’insidieuse question :  » Que peut-on faire contre ça ? » Problème : le FBI n’en a aucune idée. Le président, malgré son dernier discours très télégénique depuis la Maison Blanche, non plus.

En attendant, les musulmans américains sont sous pression. On les insulte en rue, surtout les femmes voilées. Des mosquées sont taguées. L’Imam de la mosquée de Farook a été emmené manu militari pour être interrogé. Il se dit surpris et choqué par un tel traitement. Les non-musulmans trouvent qu’il n’y a rien de plus normal à ça.

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