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« Tant que la crise durera, les Allemands plébisciteront Angela Merkel »

Le Vif

L’usure du pouvoir, elle ne connaît pas. Sa popularité est intacte. Angela Merkel est quasiment assurée d’être réélue chancelière de l’Allemagne ce dimanche, à l’issue des élections législatives. Le journaliste allemand Ralph Bollmann décrypte le « phénomène Merkel ».

A quelques jours des élections législatives en Allemagne, dimanche 22 septembre, le parti chrétien-démocrate (CDU) d’Angela Merkel arrive toujours largement en tête dans les intentions de vote (38% selon un sondage de l’institut Insa pour Bild paru hier). Sauf surprise, la chancelière est assurée de rempiler pour un troisième mandat, alors que tous les dirigeants européens en poste depuis la crise ont subi des revers électoraux. Dans Les Allemands – Angela Merkel et nous ( Die Deutsche – Angela Merkel und wir, Klett-Cotta), un ouvrage publié cet été, le journaliste allemand Ralph Bollmann, correspondant pour le Frankfurter Allgemeinen Sonntagszeitung, décrypte le « phénomène Merkel ». Interview.

En introduction de votre livre, vous citez une phrase prononcée par Angela Merkel en juillet 2012 :  » On va passer pour une nation de guignols « . La chancelière réagissait à la condamnation de la circoncision pour motifs religieux par le tribunal de Cologne en juin 2012. Selon vous, cette phrase reflète-t-elle ce que Merkel pense des Allemands?
D’une certaine façon, oui. Cette phrase illustre selon moi la complexité des relations entre les Allemands et Angela Merkel : jamais une chancelière n’a été aussi populaire, alors qu’elle -même porte un jugement ambigu sur son peuple. Comme Allemande de l’Est, elle a vécu la chute du mur de Berlin et le changement de toutes les choses. C’est pour cela qu’elle considère que les Allemands – notamment ceux de l’Ouest- sont trop angoissés, gâtés, réfractaires au changement et ayant la mémoire du passé courte. C’est d’ailleurs ce qu’elle pense aussi en partie des Européens de l’Ouest en général.

Comment une femme, protestante, venue de l’Est, a pu s’imposer à la tête du très conservateur parti chrétien-démocrate, dominé par les hommes, et par la suite à la tête de la première économie d’Europe de l’Ouest?

C’est la combinaison de plusieurs facteurs. Tout d’abord, le fait d’être une citoyenne de l’ex-RDA, une chercheuse en physique, d’avoir vécu l’écroulement du système soviétique, lui ont permis de poser une jugement froid et distant sur le système politique de l’Ouest, d’en analyser les rouages. Elle a très vite compris les règles du calcul politique et n’a pas hésité, en 1999, à profiter du scandale des caisses noires de la CDU pour renverser son mentor politique, Helmut Kohl [l’ex-chancelier allemand de 1982 à 1998 est le premier à avoir repéré son talent après la chute du mur de Berlin, ndlr]. Ensuite, elle a toujours été sous-estimée, à tort, par ses adversaires au sein du parti.

Tous les dirigeants européens en poste depuis la crise ont été sanctionnés dans les urnes. Angela Merkel, elle, est en route pour un troisième mandat. Comment expliquer cette longévité politique? Il est vrai que la mathématique politique ne joue pas en faveur d’Angela Merkel. Les chanceliers allemands ne dépassent généralement pas deux mandats électoraux. Ce fut le cas pour Helmut Schmidt [1974-1982] et Gerhard Schröder [1998-2005]. Helmut Kohl n’aurait jamais été réélu pour un troisième mandat en 1990 s’il n’y avait pas eu la réunification. Sur le plan européen, tous les dirigeants ont subi les revers de la crise économique européenne. Sauf pour Angela Merkel : la crise de l’euro a été ce que la réunification fut pour Kohl : l’occasion de gagner une aura historique et d’imposer son style de gouvernance. Elle fait figure, tant en Allemagne qu’à l’international, de gestionnaire de la crise de la zone euro. Les manifestations de violence en Grèce contre la chancelière sont un atout pour Merkel : aux yeux des Allemands, c’est la preuve qu’elle a su imposer en Europe des réformes douloureuses mais nécessaires. Et pour les pro-Européens, elle est la femme qui a sauvé l’euro. Tant que la crise durera, les Allemands plébisciteront Angela Merkel.

Comment expliquer que sa popularité soit au zénith: tous les Allemands sont-ils conservateurs ou Merkel est-elle au-dessus des partis? Les Allemands sont, depuis la réunification, structurellement majoritairement de gauche. Si le SPD ne parvient pas à prendre le pouvoir, c’est parce qu’il refuse de s’allier avec le parti de gauche radicale Die Linke. Mais il est vrai qu’Angela Merkel se place au-dessus des querelles partisanes. Sa force, sa capacité de comprendre les mouvements majoritaires de la société allemande et d’y adapter sa politique, au risque de sortir des schémas de pensée considérés comme démocrates-chrétiens: abolition du service militaire, sortie du nucléaire, introduction d’un salaire minimum, etc. Elle a également démontré qu’elle est capable de gouverner avec des forces politiques différentes – les sociaux-démocrates et les libéraux -, qu’elle est force de consensus.

Comment définiriez-vous son style de gouvernance?
Le pragmatisme. La pratique politique d’Angela Merkel s’appuie sur les thèses du philosophe Karl Popper, qu’elle a lu quand elle était physicienne en RDA. Elle repose sur les principes de l’essai et de l’erreur. Elle ne fait jamais deux fois le même erreur. Elle applique une politique des petits pas, et tient pour acquis que le futur n’est jamais prévisible.

Pourquoi la relation entre elle et François Hollande est-elle si froide?
C’est vrai que du point de vue du style politique et de la personnalité, on aurait pu imaginer qu’elle s’entendrait mieux avec François Hollande qu’avec Nicolas Sarkozy. Il faut toutefois rappeler que ses relations avec votre ancien président n’ont pas été bonnes au début. Je pense que ses relations avec François Hollande vont se réchauffer une fois qu’elle aura été réélue.

Quelle est sa plus grande qualité? Son principal défaut?
C’est la même chose: ses plus grands avantages peuvent se transformer en désavantages. Elle est pragmatique, flexible, sobre. Mais elle n’est pas capable de mobiliser ses adhérents. Elle est prudente, mais pas anxieuse. Elles est modeste et efficace. Mais avec sa campagne électorale de « Reine Soleil », elle risque de perdre les pédales.

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