Tsai Ing-wen © Reuters

Taïwan : raz-de-marée de la candidate moins favorable à la Chine

Le Vif

La candidate de l’opposition à Taïwan, Tsai Ing-wen, a enregistré samedi une victoire électorale écrasante pour devenir la première femme présidente de l’île, le parti au pouvoir du Kuomintang favorable au rapprochement avec Pékin ayant concédé sa défaite. Portrait.

« Je suis désolé… Nous avons perdu. Le KMT a subi une défaite électorale. Nous n’avons pas travaillé assez dur et nous avons déçu les attentes des électeurs », a déclaré Eric Chu, candidat du Kuomintang, au siège du parti alors que le comptage se poursuivait, plus de trois heures après la clôture du scrutin.

D’après les chiffres communiqués en direct par la télévision, la victoire de Mme Tsai prenait la forme d’un raz-de-marée, avec quelque 60% des voix contre 30% à M. Chu, dont le parti enregistre une défaite historique. En votant massivement pour le Parti démocratique progressiste (PDP) de Mme Tsai, le principal parti d’opposition, les Taïwanais ont clairement exprimé leur souhait de tourner le dos à des années de rapprochement avec la Chine. Le KMT a mené depuis depuis huit ans une politique inédite de réchauffement avec Pékin sous l’égide de Ma Jing-jeou.

Mme Tsai, une ancienne universitaire de 59 ans, a vraisemblablement bénéficié du malaise croissant suscité par les relations bilatérales avec Pékin et de la frustration d’une partie des 18 millions d’électeurs face à la stagnation économique.

Les destins de la Chine et de Taïwan sont séparés depuis la fin de la guerre civile et la proclamation par Mao Tsé-toung de la République populaire de Chine (RPC) en 1949. Les nationalistes du KMT s’étaient alors réfugiés sur l’île. Pékin maintient qu’elle fait toujours partie de son territoire et peut être récupérée le cas échéant par la force. Sous la présidence de Chen Shui-bian, partisan de l’indépendance, les relations avec la Chine s’étaient dégradées de part et d’autre du détroit de Formose.

Samedi soir, la foule commençait à se rassembler à Taipei au quartier général du PDP, beaucoup plus méfiant envers Pékin. « La Chine n’a pas le droit de revendiquer Taïwan et c’est ce que nous voulons dire au monde », a lancé Angela Shi, une électrice venue spécialement de San Francisco où elle habite pour voter.

Le dégel des relations avec Pékin avait culminé fin novembre avec le premier sommet depuis la séparation de la Chine continentale et de l’île de Taïwan il y a plus de 60 ans. Malgré la signature d’accords commerciaux et un boom touristique à Taïwan, nombre d’habitants estiment qu’en étant devenue dépendante économiquement de Pékin, l’île a perdu de son identité et de sa souveraineté.

Beaucoup estiment aussi être les laissés-pour-compte d’une politique qui n’a profité qu’aux grandes entreprises. Mais c’est le sort de Chou Tzu-yu, chanteuse taïwanaise de variété K-pop de 16 ans, qui a dominé les débats samedi: les principaux candidats sont montés au créneau pour la défendre après qu’elle eut été contrainte de présenter ses excuses pour avoir agité un drapeau taïwanais et déplu à certains internautes chinois.

Le territoire vit sa propre destinée depuis 1949, lorsque les nationalistes du KMT s’y étaient réfugiés après avoir été vaincus par les communistes. Après la mort de Chiang Kai-shek en 1975, Taïwan s’est démocratisée peu à peu. La Chine considère toujours Taïwan comme une partie intégrante de son territoire qu’elle peut reprendre par la force le cas échéant.

Mise en garde de Pékin

La candidate a expliqué que Taipei devait mettre fin à la dépendance économique envers Pékin et qu’elle écouterait l’opinion publique en ce qui concerne les relations bilatérales.

Signe de son pragmatisme, elle a pris soin de souligner que le « statu quo » serait maintenu, mettant beaucoup d’eau dans le vin du discours traditionnellement indépendantiste du PDP.

Un consensus tacite conclu en 1992 entre Pékin et Taipei veut qu’il n’y ait qu' »une seule Chine » et laisse à chaque partie le loisir d’interpréter cela comme elle l’entend. Il s’agit de tranquilliser Pékin, mais aussi les Etats-Unis, principal allié de Taipei, qui craignent pour la stabilité de la région. Mme Tsai sait que la grande majorité des électeurs veulent aussi la paix alors que le PDP n’a jamais reconnu ce consensus. La Chine a d’ores et déjà averti qu’elle ne traiterait pas avec un dirigeant qui ne reconnaîtrait pas que Taïwan fait partie d' »une seule Chine ».

La plupart des experts estiment inévitable une certaine dégradation des relations. Mais ils pensent qu’un retour éventuel de bâton ne sera pas immédiat, car s’aliéner Taïwan irait à l’encontre du but ultime de Pékin, la réunification. « Les relations vont être plus compliquées, moins prévisibles. Elles vont se détériorer, mais l’intérêt de Pékin c’est de maintenir Taïwan dans la dépendance économique », estime Jean-Pierre Cabestan, de l’Université baptiste de Hong Kong. Avec sa victoire, Mme Tsai va offrir à son parti sa deuxième présidence depuis les deux mandats de Chen Shui-bian (2000-2008).

Le PDP espèrait bien aussi surfer sur l’insatisfaction des Taïwanais pour en outre remporter, et pour la première fois, la majorité des 113 sièges au Parlement monocaméral aux législatives qui se déroulaient le même jour.

Tsai Ing-Wen, une intellectuelle discrète et respectée

Tsai Ing-Wen est une intellectuelle respectée entrée tardivement en politique, qui professe une certaine admiration pour Margaret Thatcher. Ancienne professeur d’université connue pour sa discrétion, Mme Tsai a elle opté pour une stratégie de prudence vis-à-vis du grand voisin chinois, après avoir échoué à la présidentielle de 2012, une défaite qui avait été largement attribuée à sa défiance envers Pékin. Cette fois-ci, a-t-elle martelé durant la campagne électorale, c’est le « statu quo » qui doit prévaloir dans les relations bilatérales. Mme Tsai est issue d’une famille aisée du comté méridional de Pingtung. Elle a étudié le droit à l’Université nationale de Taïwan avant de poursuivre ses études aux Etats-Unis, à l’université de Cornell où elle a obtenu un master’s et à la London School of Economics où elle a décroché un doctorat. De retour à Taïwan, elle a enseigné le droit avant de devenir conseillère du gouvernement pour le commerce international et les relations avec la Chine. De son séjour en Grande-Bretagne dans les années 1980, Mme Tsai a conservé une certaine admiration pour la force de caractère de la Dame de fer, Margaret Thatcher, l’ancien Premier ministre britannique. En 2000, elle a occupé son premier poste gouvernemental d’importance, comme dirigeante du Conseil des affaires continentales, la plus haute instance taïwanaise chargée de la politique chinoise, et fut nommée Premier ministre adjoint en 2006. Elle n’est devenue membre du PDP qu’en 2004, accédant à la présidence du mouvement en 2008, aux heures les plus sombres de ce parti. Englué dans une série d’affaires de corruption, le PDP avait perdu la présidentielle au profit du candidat du KMT, Ma Ying-jeou, lequel engagera une politique de rapprochement avec Pékin.

Mme Tsai est une intellectuelle respectée, connue pour ses talents de négociatrice. Elle n’aime pas la publicité, à la différence de nombre de ses collègues du PDP qui ont la réputation d’être agressifs, parfois même roublards.

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