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Syrie: un an de révolte écrasée dans le sang

Un an après le début de la contestation, le bilan est lourd en Syrie: plus de 8 000 morts, 200 000 déplacés à l’intérieur du pays, 30 000 réfugiés; un régime qui souffle sur les braises communautaires pour maintenir son emprise sur le pays.

Rassemblement à Damas à l’appel d’une page Facebook

Le 15 mars 2011, les Syriens ont manifesté pour la première fois leur désir d’en finir avec plus de 40 ans de régime autoritaire. Un rassemblement était organisé à Damas, à l’appel d’une page Facebook intitulée « la révolution syrienne contre Bachar al-Assad 2011 ». Quelques dizaines de Syriens, encouragés par les soulèvements populaires dans la région, bravent l’interdiction de manifester et descendent, pacifiquement, dans la rue pour demander des réformes. Les jours suivants, des rassemblements ont lieu à Baniyas, dans le sud-ouest, mais surtout à Deraa, près de la frontière jordanienne. Le régime policier, dans lequel les services de sécurité priment sur le gouvernement et le parlement, réagit avec les seules méthodes qu’il connaît: la répression et la violence.

Deraa, premier foyer de la contestation

A Deraa, l’étincelle part de l’arrestation et la torture d’enfants accusés d’avoir peint des graffitis antirégime. Les manifestations de la population exaspérée par ces arrestations sont durement réprimées, faisant, une centaine de morts, selon des militants des droits de l’Homme.

Torture en prison

De rares témoins rapportent l’usage de la torture dans les prisons, qui regorgent d’opposants. Et le 1er juin, l’association Human Rights Watch dénonce des « crimes contre l’Humanité ». L’une des victimes de la torture, Hamza al Khatib un adolescent de 13 ans, devient le symbole national de la révolte.

La contestation s’étend à d’autres villes de la Syrie. Les manifestations ont lieu le vendredi, jour férié, après la prière hebdomadaire: c’est « le seul rassemblement public possible pour la majorité de la population, à ne pas tomber sous le coup de la loi sur l’état d’urgence », explique un universitaire connaisseur de la Syrie .

Le régime dénonce une « conspiration »

Le 30 mars, Bachar el-Assad prend la parole à la télévision et dénonce une « conspiration » contre son pays. L’aile dure du régime et une partie de la famille El-Assad, qui a fait main basse sur le pays, veut garder le contrôle du pays.

Si le Président syrien annonce la levée de l’Etat d’urgence en avril, les arrestations d’opposants se poursuivent. Le 25 avril Deraa est assiégée et pilonnée. L’armée intervient aussi à Homs, à Al Rastan dans le centre du pays et à Tafas, dans la province de Deraa, en mai, à Hama, Jisr el-Choghour, Idleb… Tout en envoyant l’armée dans plusieurs villes du pays, le président syrien multiplie les promesses, sans aucun effet concret, d’ouvrir « un dialogue national ».

Le spectre des divisions ethniques et religieuses

Rapidement, le pouvoir active son arme favorite, la division ethnique et religieuse. Il s’autoproclame unique garant de l’unité nationale de ce pays de 23 millions d’habitants, en grande majorité sunnite, alors que son régime est issu de la minorité alaouite, une branche du chiisme. Il s’efforce de présenter les violences en cours « comme un affrontement entre ‘laïcs’ (musulmans ou chrétiens) et opposants ‘radicaux islamistes' » issus de la communauté sunnite.

Réfugiés en Turquie, au Liban et en Jordanie

Le ratissage meurtrier opéré dans la province d’Idleb en juin provoque la fuite de centaines de réfugiés dans la Turquie voisine qui hausse le ton, accusant Damas d' »atrocités ». D’autres réfugiés quittent le pays vers le Liban et la Jordanie à mesure que croît la répression. L’ONU chiffre aujourd’hui à quelque 200 000 le nombre de déplacés à l’intérieur du pays, et à environ 35 000 le nombre de réfugiés: 12 000 au Liban et 7000 en Jordanie. La Turquie a accueilli près de 23 000 personnes depuis avril 2011. Ils seraient environ 15 000 aujourd’hui, mais le redoublement récent de la répression fait craindre à Ankara un afflux important, « jusqu’à 500 000 » personnes, selon le président du Croissant rouge turc.

L’information au compte-goutte

Les journalistes ne sont pas autorisés à entrer dans le pays et les informations proviennent de vidéos postées sur Internet par des Syriens qui prennent des risques considérables pour tenter de faire connaître la situation sur place. Le régime a presque totalement fermé la porte aux médias étrangers. Plusieurs d’entre eux paieront de leur vie leur tentative de faire connaitre le sort de la population syrienne.

La communauté internationale paralysée

Les pays étrangers tardent à réagir à la situation en Syrie. Les pays occidentaux sont embarrassés par ce pays situé en plein au coeur d’une région en crise. Pas question d’envisager, comme en Libye, une intervention militaire. Reste donc le renforcement des sanctions et la perspective de saisir la justice internationale. L’option diplomatique est paralysée par le soutien sans faille que la Russie et la Chine apportent au régime syrien. Ces deux pays ont bloqué à deux reprises des résolutions de l’ONU condamnant la répression. Dans le même temps, les monarchies du Golfe qui sont les plus offensives dans leur opposition au régime, cherchent d’abord à renverser le régime allié de l’Iran

La militarisation de la rébellion

Peu à peu, la violence toujours plus extrême du régime, entraîne une militarisation d’une partie de l’opposition. Le régime en profite pour rejeter toute distinction entre manifestants et opposants armés qu’il qualifie de « terroristes ». À partir de l’été, des dizaines de soldats révulsés par la répression, désertent. C’est à la frontière avec la Turquie que quelques officiers déserteurs créent l’Armée syrienne libre (ASL) qui grossit à mesure que de nouveaux soldats quittent l’armée de Bachar el-Assad. Mais seulement équipée d’armes légères, elle ne peut résister face aux chars et à l’artillerie des 300 000 soldats de l’armée syrienne, qui reprennent, souvent après des semaines de siège et de bombardements, les villes de Rastan et Idleb et le quartier de Baba Amr à Homs.

La fragilité de l’opposition

Peinant à combler le fossé entre ceux qui luttent de l’intérieur contre le régime (principalement les Comités locaux de Coordination) et les militants en exil, l’opposition souffre du pourrissement de la situation. Le « Conseil national syrien » formé à Istanbul en octobre, regroupe les plus importants partis de l’opposition et inclut des islamistes, des libéraux, des nationalistes, ainsi que des partis kurdes et assyriens. Mais fragilisée, elle a encore été affaiblie mercredi par la démission de trois personnalités qui évoquaient des « divergences » et l' »inefficacité » de cette principale coalition de l’opposition.

Le régime mise sur une guerre d’usure

Malgré quelques défections de dignitaires, comme celle du vice-ministre du Pétrole et celle de quatre généraux la semaine passée, le régime tient encore: il « mise sur une guerre d’usure. Il doit maintenir pour sa base la fiction de victoires militaires, même s’il sait que les combats ne vont pas se terminer rapidement », estime Peter Harling, spécialiste de la Syrie. Le régime « pense que la communauté internationale va réaliser au bout d’un moment qu’il ne peut pas être renversé, que la pression va retomber et qu’ils renoueront le dialogue. Pourtant, « la Syrie a atteint une sorte de point de non-retour. Longtemps tétanisée par le règne totalitaire du Baas, conclut le chercheur, elle est désormais « en mouvement ».

LeVif.be avec L’Express

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