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Syrie: quels sont les scénarios de sortie de crise?

Les efforts de Ligue arabe et de la Turquie parviendront-ils à débloquer la situation en Syrie ? Depuis le veto russe et chinois à une résolution de l’ONU condamnant la répression, la marge de manoeuvre de la communauté internationale se réduit chaque jour un peu plus. Passage en revue des alternatives possibles.

« Nous devons agir maintenant », car chaque jour qui passe accroît le risque de guerre civile. C’est ce qu’a déclaré la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton au sujet de la Syrie, après le rejet au Conseil de sécurité, sur veto chinois et russe, d’un projet de résolution condamnant la répression sanglante. Marc Lynch, spécialiste du Proche-Orient à la George Washington University lui donne raison: « Les perspectives déjà minces pour un ‘atterrissage en douceur’ en Syrie, sont proches de zéro », selon l’analyste. Après l’échec d’une solution négociée via l’ONU, les options face à cette crise se réduisent en effet comme peau de chagrin.

L’ONU et la Ligue arabe affaiblies

La Russie, qui refuse catégoriquement toute idée de changement de régime depuis le début de la crise en Syrie, pourrait bien avoir oeuvré dans le sens opposé en usant de son droit de veto : « La fin de l’option de l’ONU va maintenant rendre l’objectif d’un changement de régime à Damas plus explicite », souligne Marc Lynch, sur son blog sur Foreign Policy. Il remarque également que le passage de relais de la présidence de la Ligue arabe du Qatar à l’Irak en mars va ralentir l’activisme de cette organisation régionale. Non seulement l’Irak dirigé par le chiite Nouri Al Maliki est un allié de l’Iran et de la Syrie, mais il est lui même empêtré dans une situation désastreuse après l’occupation américaine et la guerre civile qui en a résulté. Pas sûr que l’annonce, ce jeudi, d’un retour des observateurs de la Ligue arabe en Syrie parviendra à inverser la tendance.

L’option hasardeuse d’une intervention militaire

Parfois évoquée par certains « faucons libéraux », une intervention militaire semble exclue par la plupart des observateurs. Une telle intervention serait non seulement risquée, mais surtout inutile, étant donné la nature des violences en Syrie. Des « frappes aériennes et une no-fly zone ne peuvent pas faire pencher la balance dans une guerre qui se déroule dans des zones urbaines denses », explique Marc Lynch sur son blog. Il rappelle que dans des conditions bien plus favorables, il a fallu six mois à la coalition occidentale pour faire tomber le régime libyen. Aucun des acteurs internationaux n’est d’ailleurs prêt à s’engager dans une telle aventure. De même, l’imposition d’une « zone de sécurité » ou de « couloirs humanitaires » évoqués en novembre dernier « reste impraticables », selon le chercheur. Sans compter qu’une intervention dans ce pays charnière du Proche-Orient ouvrirait la boîte de Pandore d’une conflagration régionale.

Armer les rebelles ?

La porte-parole du département d’Etat, Victoria Nuland, obligée de reconnaître que « l’étendue de ce que nous allons pouvoir faire n’est pas évidente », a pour le moment écarté une aide militaire à l’opposition: « nous ne pensons pas que ce soit la bonne solution de faire entrer davantage d’armes en Syrie », a-t-elle indiqué. Elle répondait à l’appel du sénateur républicain John McCain en ce sens. Mais, a-t-elle souligné, « nous n’écartons aucune option ».
Le Conseil national syrien (CNS) et l’Armée syrienne libre (ASL), qui réclament à cor et à cri une aide extérieure se sont donc retournés vers les hommes d’affaires syriens et arabes à qui ils demandent de financer les opérations menées par les rebelles contre le régime de Bachar el-Assad, selon un communiqué commun diffusé mardi. Les monarchies du Golfe, qui ont été très actives en Libye pourraient être tentées de fournir, plus ou moins discrètement, de l’armement aux rebelles syriens. Mais leurs intentions ne sont pas dénuées d’arrières pensées. Alors que les pays (sunnites) du Golfe ont au mieux fermé les yeux sur les revendications démocratiques dans leurs propres pays, au pire aidé à écraser les demandes de réforme comme à Bahreïn, il est difficile de croire que leur volonté d’intervenir sur l’échiquier syrien ne soit pas surtout guidée par le souhait de déstabiliser ce qui constitue pour eux une des pièces maitresses de l’arc chiite (Iran, Irak, Syrie et Hezbollah libanais) dans la « nouvelle guerre froide » qui se joue au Proche-Orient. Surtout, personne n’est en mesure de dire si armer l’opposition réduira le bain de sang syrien en précipitant la chute du régime ou au contraire l’augmentera en provoquant une guerre civile.

Reste l’option humanitaire. La Maison Blanche a affirmé mardi « réfléchir à la possibilité » de fournir une aide humanitaire aux Syriens, sans d’ailleurs expliquer comment une telle assistance serait possible. De même, les Emirats arabes unis ont annoncé l’envoi « d’une aide humanitaire urgente » aux déplacés Syriens dans les pays voisins.

La crainte du syndrome libanais

La Syrie, contrairement à la Tunisie ou même à l’Egypte, repose sur une mosaïque ethnique complexe que le régime a instrumentalisée: une majorité sunnite qui a le plus souffert de la répression, face à un régime dont l’essentiel de l’appareil répressif est composé de membres de la minorité alaouite (10% de la population) et qui, « à grand renfort de désinformation et, souvent, de manipulations », comme l’expliquait à L’Express le politologue François Burgat, a joué sur les craintes de l’ensemble des minorités religieuses (chrétiens, druzes). Nombre d’observateurs craignent qu’une militarisation croissante de l’opposition ne mène la Syrie au schéma de la guerre du Liban: une conflagration régionale où les « parrains » étrangers instrumentaliseraient les différentes factions formées sur des bases religieuses ou ethniques: puissances occidentales, monarchies arabes du Golfe, Turquie, Iran, et Israël… un cocktail explosif, sachant que le Liban compte 4 millions d’habitants et la Syrie 22. Les tragiques passifs libanais, mais aussi irakien et afghan ne peuvent que contribuer à alimenter la méfiance.

Renforcer les sanctions économiques

Tandis que Peter Harling de l’International Crisis group évoquait l’option de l’envoi d’observateurs arabes, occidentaux, russes et chinois, Marc Lynch suggère « d’intensifier l’isolement international de la Syrie, de brandir la menace d’une inculpation par la CPI, de maintenir des sanctions ciblées, et d’aider l’opposition à s’unir. L’Union européenne discute d’ailleurs ces jours-ci d’un nouveau renforcement de ses sanctions contre le régime syrien et envisage notamment de s’en prendre aux transactions de la banque centrale et aux ventes d’or et de métaux précieux. Mais si les sanctions, mais aussi le chaos ont effectivement contribué à détériorer l’économie, c’est surtout la population qui en fait les frais, les cadres du régime, comme toujours en ce cas, trouvent toujours les moyens de les contourner.

Constat d’impuissance

Reste à espérer que le pouvoir finira par se fissurer de l’intérieur. L’armée pourrait alors lâcher Bachar el-Assad, et opèrer « un ravalement de façade à l’Egyptienne, mis en oeuvre par des officiers de haut rang de toutes confessions, qui présideraient à une période de transition vers un régime pluraliste », comme l’évoquait le politologue François Burgat. Mais cela pourrait prendre des mois, voire des années, selon Fabrice Balanche, chercheur au Gremmo. L’annonce par la Turquie, mercredi, de l’organisation d’une conférence internationale avec les acteurs régionaux et internationaux connaîtra-t-elle plus de succès que la démarche onusienne pour la résolution de cette crise avant qu’elle ne se tranforme en guerre civile?

Catherine Gouëset

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