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Syrie: que cachent les propos du vice-président Farouk el-Chareh?

Le Vif

Dans un entretien accordé à un quotidien libanais, Farouk al-Chareh use pour la première fois d’une liberté de ton inhabituelle au sein des cercles du régime de Bachar el-Assad. Explications.

Comment interpréter les déclarations de Farouk al-Chareh? Dans un entretien accordé à un quotidien libanais pro-régime syrien, al-Akhbar, Farouk al-Chareh reconnaît, lundi, qu’aucun des belligérants ne peut l’emporter militairement et explique que des désaccords existent au sommet de l’Etat sur la résolution de la crise en Syrie. Cette interview est surprenante à plus d’un titre.

Une divergence inédite

C’est la première fois qu’un haut dirigeant syrien fait état d’une telle liberté de parole. Farouk el-Chareh affiche ses divergences avec le président Bachar el-Assad, et se prononce pour une solution négociée à la crise. Bachar el-Assad « ne cache pas sa volonté d’aboutir militairement jusqu’à la victoire finale et (il croit qu’) après, le dialogue politique sera réellement possible », explique le Vice-président qui se dit favorable à une solution de compromis. Evoquant les réformes, il explique qu’il avait vu en Bachar el-Assad « une chance pour le changement et l’évolution de la Syrie »… et laisse entendre en creux que celle-ci n’a pas eu lieu. Il reconnait aussi que les manifestants des débuts ont laissé la place aux militants armés. Il va ainsi à contresens du régime qui a toujours imputé la contestation à des terroristes. Dans un pays autocratique comme la Syrie, il ne peut s’exprimer ainsi sans l’accord du régime et sans bénéficier d’appuis importants.

Qui est Farouk al-Chareh ?

Agé de 73 ans, Farouk al-Chareh a été pendant 22 ans le chef de la diplomatie syrienne. De confession sunnite, contrairement à l’essentiel de l’appareil d’Etat syrien recruté dans la minorité alaouite (10% de la population), la communauté de Bachar el Assad, Chareh est originaire du Hauran, la région de Deraa. C’est là qu’a commencé la contestation au printemps 2011. « Une partie des anciennes élites sunnites du Baas, le parti au pouvoir, est originaire de cette région », explique Ziad Majed, politologue libanais, spécialiste de la Syrie.
Depuis le début de la répression contre les manifestants, Farouk el-Chareh a quasiment disparu du devant de la scène, hormis lors des funérailles d’Assef Chawkat, le vice-ministre de la défense, tué le 18 juillet 2012 lors de l’attentat contre la sécurité nationale à Damas.
Chareh ne voit le président Bachar el-Assad que « de temps en temps » selon ses dires, ce qui pour un vice-président laisse effectivement transparaître sa mise à l’écart. « Sa faible visibilité a d’ailleurs régulièrement donné lieu à des rumeurs », souligne Ziad Majed. « On a à plusieurs reprises évoqué une défection ou une assignation à résidence… ». Ainsi, dans l’interview au quotidien libanais, son interlocuteur évoque « sa résidence et ses mouvements qui font l’objet de précautions en matière de sécurité », même s’il précise que ces précautions sont les mêmes que celles d’autres responsables.
Mais ce retrait est aussi un atout. « Il ne fait pas partie de l’appareil militaire ou sécuritaire et n’a donc pas de sang sur les mains, tout au moins pas directement », complète Ziad Majed. « C’est un personnage que certains considèrent rassurant pour les minorités. En tant que diplomate, Il est familier des chancelleries occidentales mais aussi arabes, russe et iranienne », ajoute-t-il. A ce titre, « il s’est toujours gardé, à la différence des autres dirigeants syriens, d’insulter les chefs d’Etat de la région ou de les accuser de complot », fait valoir le politologue. On a d’ailleurs, par le passé « évoqué à plusieurs reprises la possibilité de faire appel à lui dans un scénario de transition à la yéménite », le président yéménite Ali Abdallah Saleh ayant cédé la place à son vice-président.

Le choix de la publication

Le quotidien Al Akhbar est dirigé par Ibrahim al-Amin, un ancien communiste libanais aujourd’hui proche du Hezbollah. La publication de cette interview coïncide avec des déclarations du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui a annoncé dimanche que l’opposition n’est pas « en mesure de l’emporter militairement » et a appelé à une solution politique à la crise. Le Hezbollah étant sous la protection de l’Iran, d’aucuns voient dans ces déclarations l’influence de Téhéran.

Un parrainage iranien?

« La solution doit être syrienne mais passer par un règlement historique incluant les principaux pays de la région et les Etats membres du Conseil de sécurité », précise Chareh. Il envisage un règlement qui garantisse « en premier lieu l’arrêt de toutes les formes de violence et la formation d’un gouvernement d’union nationale avec de larges pouvoirs ». « Cette déclaration évoque la conférence de l’opposition organisée à Damas sous parrainage des Russes, en coordination étroite avec les Iraniens », explique Peter Harling, de l’International Crisis Group. Téhéran a présenté lundi les détails d’un « plan de sortie » de crise en six points, comprenant « l’arrêt des violences » et un « dialogue national » entre le régime et l’opposition en vue de former un « gouvernement de transition. « Il s’agit, semble-t-il, de forcer le régime à amorcer un virage de sa logique sécuritaire vers une démarche politique », précise Peter Harling.

« Chareh souhaite depuis longtemps une solution négociée, mais n’a jamais eu le soutien nécessaire, analyse Peter Harling. Les résistances sont fortes au sein du régime, notamment de la part de ceux qui sont allés le plus loin dans la logique sécuritaire et paieront le prix d’un retour à l’option politique ». S’agit-il d’une opération parrainée par les Iraniens? On peut noter que dans cet entretien, Chareh loue la « sagesse » du guide de la République islamique Ali Khamenei. Le vice-président a pour le moins obtenu suffisamment de soutien de la part des alliés du régime pour pouvoir s’exprimer publiquement.

A ce stade, il est difficile de savoir si les parrains étrangers préparent sérieusement une sortie négociée de la crise syrienne. Mais pour ce qui est de l’entourage de Bachar el-Assad, après près de deux ans d’une répression aussi brutale, on peut douter qu’il n’envisage sérieusement une transition politique. « Le clan au pouvoir cherche probablement, une fois encore, à gagner du temps », pense Ziad Majed. « Il suit les conseils de Moscou et Téhéran, de plus en plus inquiets de la grande avancée des brigades de l’Armée Libre sur le terrain. Mais je ne crois pas qu’il puisse admettre qu’il doive un jour céder la main ».

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