Des djihadistes belges en Syrie. © twitter.com/aldeemeh

Syrie : « On ne peut pas proclamer le califat sans réfléchir »

Montasser AlDe'emeh
Montasser AlDe'emeh   Montasser AlDe'emeh étudie la radicalisation islamique, le jihad international et les combattants belges en Syrie. (Université Radboud de Nimègue)  

Spécialiste du djihad, le reporter Montasser AlDe’emeh s’est rendu sur le front syrien en compagnie des combattants belges et néerlandais afin de tenter de démêler leurs motivations. En exclusivité pour LeVif.be, il livre dans son journal ses entretiens avec ces jeunes radicalisés et leurs leaders. De leur rêve d’un grand califat aux réalités du quotidien, le journal permet de découvrir les dessous de l’un des conflits les plus tragiques de notre époque.

Dans la voiture avec un djihadiste belge. En route, je vois des bâtiments détruits. Les rebelles se déplacent en mobylette. « Ici le carburant ne coûte que 30 cents le litre. En Belgique, on ne peut pas s’imaginer une vie sans payer d’impôts. Nous ne payons pas d’impôts ou de frais d’assurance. Dans un état islamique ou un califat, il ne faut pas payer d’impôts. Sais-tu que nous donnons notre vie à Dieu pour que nos frères et soeurs opprimés en Occident puissent vivre dans un état islamique. La plupart des gens ici ne croient plus à l’aide de l’Occident. Nous sommes étroitement liés aux djihadistes néerlandais. C’est devenu une espèce de mini-Europe. Nous nous rendons visite et communiquons en néerlandais ».

Le djihadiste belge s’arrête à une station-service. Je demande à l’ouvrier ce qu’il pense de la situation en Syrie. « Maintenant c’est mieux. Nous avons confiance en Dieu et avec son aide nous allons pouvoir briser le croissant chiite dans notre pays. Évidemment qualité de vie était meilleure avant. Mais la nourriture et le luxe viennent en second lieu. Notre foi vient en premier ». Il a également un avis sur les djihadistes étrangers en Syrie. « Ceux que j’ai connus étaient bons. Je ne peux pas vous raconter grand-chose sur les autres combattants. Je ne les connais pas ».

Nous poursuivons notre chemin. « En termes occidentaux, la population syrienne s’est complètement radicalisée en quelques années » explique le djihadiste belge. L’Anversois rit souvent. Peut-être que l’humour est une bouée de sauvetage dans la mer agitée de la Syrie…

Arrivé en ville, je décide d’entrer seul dans un petit magasin. Le vendeur me raconte que le pays est devenu moins sûr depuis l’insurrection. « Tout le monde me déçoit. Autant le régime que l’armée syrienne libre. Globalement, la situation est devenue insupportable ». Je l’interromps pour lui demander son avis sur les djihadistes étrangers. « Ce que je sais, c’est qu’eux au moins ils combattent sincèrement et donnent leur vie pour la satisfaction de Dieu » répond-il.

Je m’adresse à un homme âgé venu acheter ses légumes. Je lui demande s’il est content de la situation actuelle en Syrie. Il a un rire sarcastique et me regarde profondément dans les yeux. « La situation est très mauvaise » me répond-il sur un ton amer. « La vie sociale est mauvaise. La saleté dans les rues. Les déchets. Le chômage colossal. Il n’y a pas de sécurité dans le pays. Une bombe peut tomber à tout moment. Le régime est injuste, mais est-ce mieux maintenant? Quelle misère! » Je lui demande son avis sur la proclamation d’un califat. « L’islam est une croyance magnifique. Ce n’est pas une croyance d’injustice. Nous ne voulons importuner personne. J’ai des amis chrétiens avec qui je suis lié depuis plus de cinquante ans. On ne peut pas proclamer le califat sans réfléchir. Il faut tenir compte de plusieurs conditions ». Je lui demande s’il approuve que des Belges viennent en Syrie pour se battre. « Ce sont des garçons courageux, mais quelle est la valeur ajoutée de leur venue « , se demande l’homme? Les Muhadjir (immigrants) sont bons. Ils ont quitté l’Occident riche et tentent de lutter ici contre l’injustice, mais ils ne peuvent pas faire grand-chose. Nous avons besoin de l’intervention d’armées nationales. En fait, nous n’avons pas besoin d’individus ».

Dans la voiture je demande à un djihadiste belge pourquoi il a choisi le djihad armé. « Tu pourrais simplement aider dans les camps de réfugiés » lui dis-je. « Je suis favorable à l’aide humanitaire. L’envoi de colis alimentaires est toujours une initiative fantastique, mais nous voulons traiter la cause, et non la conséquence. Vous pouvez continuer à envoyer des secours à la population de Gaza. Vous aiderez à court terme, mais pas à long terme. Les musulmans doivent résister. D’ailleurs, le Front al-Nosra aide également la population. Il installe de nouvelles canalisations et distribue des produits de secours. J’ai également déjà apporté ma contribution ».

Montasser AlDe’emeh

A propos de l’auteur

Montasser AlDe’emeh est chercheur à la KuLeuven et à l’Université d’Anvers. Il étudie la radicalisation islamique et le jihad international. Dans ce cadre, il suit un petit groupe de djihadistes belges partis combattre en Syrie. Dans ces billets, Montasser ne fait que rapporter les déclarations de certains djihadistes ainsi que les opinions de Syriens sur place. Il n’est donc pas ici question de soutenir un quelconque mouvement radical, mais bien d’obtenir des éléments d’information afin de comprendre les motivations de ces jeunes Belges. Cette série de billets quotidiens sera complétée par un article d’analyses de Montasser AlDe’emeh en fin de semaine.

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