La reprise de Fallouja en juin dernier avec l'aide des milices chiites comme celle de tous les territoires anciennement sous la coupe de Daech posent le problème fondamental d'un projet national irakien incluant les sunnites. © ALI MUHAMMED/GETTY IMAGES

Syrie : les Turcs et les Russes ont aussi d’autres intérêts que combattre Daech

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Après la Russie, la Turquie s’engage sur le terrain syrien. L’une et l’autre avec des intérêts particuliers éloignés du combat contre l’Etat islamique. Elles profitent ainsi de l’inconsistance occidentale, à peine sauvée par des succès en Irak.

Il y aura bientôt un an que la Russie s’est engagée militairement en Syrie. Cette implication a modifié le cours du conflit. En sera-t-il de même avec l’intervention de la Turquie concrétisée le 24 août dernier par la reprise expresse de Djarabulus, localité du Nord syrien qui était aux mains de l’Etat islamique et, surtout, convoitée par l’alliance à dominante kurde des Forces démocratiques syriennes (FDS) ? La démarche est théoriquement de moindre envergure que l’engagement russe mais partage avec lui la défense d’intérêts particuliers susceptible d’ajouter de la confusion à un panorama irako-syrien passablement complexe. Revue de la nouvelle donne en Syrie et en Irak à l’aune des développements marquants de l’été.

Que recherche la Turquie ?

Plus la Russie s’engage, plus elle s’expose à s’enliser dans le bourbier syrien

Pour Ankara, l’alerte au franchissement de la  » ligne rouge  » survient le 12 août quand les Forces démocratiques syriennes reprennent à Daech la ville de Manbij (100 000 habitants avant la guerre) située à l’ouest de l’Euphrate. Cette conquête ouvre la voie au projet des Kurdes de Syrie d’établir une continuité territoriale des cantons qu’ils contrôlent dans le nord de la Syrie : Afrin (ouest), Kobané (centre) et la Djézireh (est). Les Unités de protection du peuple (YPG), bras armé du principal parti des Kurdes de Syrie, le PYD, sont la composante principale des FDS aux côtés de groupes rebelles arabes. Pour le pouvoir turc, lui-même confronté à une rébellion kurde incarnée par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, parti frère du PYD), la menace est inacceptable. Une bande côtière le long de sa frontière méridionale avec la Syrie contrôlée par les Kurdes constituerait un sanctuaire potentiel pour le PKK et un défi supplémentaire pour Ankara. Le président Recep Tayyip Erdogan ne s’en cache même pas : en faisant intervenir son armée en territoire syrien, c’est davantage les Kurdes que les djihadistes de l’Etat islamique qu’il veut combattre. Et il entend bien contenir, au minimum, leur zone d’influence en Syrie à l’est de l’Euphrate.

Qu’espère la Russie ?

La bataille d’Alep, dont le martyre est désormais symbolisé par le regard vitreux du petit Omran, est l’illustration emblématique de la complexité du conflit syrien. S’y affrontent d’un côté l’armée du régime syrien, ses supplétifs libanais et iraniens et la Russie ; de l’autre, les rebelles syriens  » modérés  » soutenus par les pays occidentaux et contraints, vu leur faiblesse, de s’allier aux plus puissants groupes islamistes aidés par les Etats du Golfe et dominés par le Front Fatah al-Cham (ex-Front al-Nosra) qui, le 28 juillet dernier, a pris ses distances, plus sur la forme que sur le fond, avec Al-Qaeda dont il était issu. Cette coalition a réussi, début août, à percer le siège que les forces pro-Bachar al-Assad avaient établi autour des quartiers est d’Alep à la mi-juillet. En représailles, les Russes ont bombardé le bastion rebelle au départ – c’était une première – d’un aéroport situé au nord-ouest de l’Iran, apte à accueillir des Tupolev-22 M3, qui peuvent transporter jusqu’à 22 tonnes de bombes, contrairement à la base russe de Hmeimim, près de Lattaquié.

Cette coopération renforcée entre Moscou et Téhéran n’a pas été renouvelée depuis lors. Mais elle situe l’ampleur de l’engagement de la Russie dans le conflit et la domination qu’elle exerce sur son cours, à côté d’une coalition occidentale et arabe aux objectifs de plus en plus illisibles. Car si Vladimir Poutine cherche clairement à sauver le régime syrien, Barack Obama peine à ne fût-ce qu’imaginer une sortie de crise par la voie diplomatique désespérément enrayée. Il n’en reste pas moins que plus la Russie s’implique derrière Bachar al-Assad, plus elle s’expose à s’enliser dans un bourbier inextricable sans perspective politique. Sauf peut-être à envisager, un jour, le lâchage de la figure du président syrien pour espérer tout de même forger une issue négociée, avec les rebelles, les Occidentaux, les puissances régionales de la coalition internationale (Turquie, Arabie saoudite, Qatar…) et les groupes islamistes hors Daech.

Qu’attendre des Etats-Unis ?

Omran (au centre), sauvé d'un bombardement sur les quartiers rebelles d'Alep : le visage d'une ville martyre.
Omran (au centre), sauvé d’un bombardement sur les quartiers rebelles d’Alep : le visage d’une ville martyre.© MAHMUD RSLAN/GETTY IMAGES

Des indiscrétions prêtent au président américain l’ambition de brandir la reprise de Mossoul, deuxième ville d’Irak, à l’Etat islamique comme trophée de politique étrangère avant de quitter la Maison-Blanche en janvier. Il est vrai que le terrain irakien apparaît plus apte à offrir un succès militaire aux Etats-Unis que le bourbier syrien. Les écueils n’y sont pourtant pas absents. La reconquête de Fallouja le 20 juin dernier par les forces loyalistes irakiennes au terme – tout de même – de 35 jours de combat a montré le niveau de la résistance des djihadistes de Daech et les affres de l’après-conflit. L’armée de Bagdad, dans sa reconquête des territoires tombés sous l’emprise de Daech depuis 2014, est épaulée par des milices chiites dont le sens de l’Etat de droit est discutable, surtout face à des populations majoritairement sunnites. Celles-ci nourrissent légitiment la peur de représailles, notamment aux attentats commis par l’Etat islamique en terre chiite. Certes, Mossoul a une composition ethnique beaucoup plus hétérogène que les bastions sunnites de Fallouja et de Ramadi, repris à Daech. Mais l’incertitude prévaut quant au projet politique incluant les sunnites que le gouvernement de Bagdad, à dominante chiite, pourrait proposer comme alternative à Daech pour convaincre des populations de s’en détourner. Ce n’est donc sans doute pas sous l’ère Obama que l’Amérique pourra s’enorgueillir d’un véritable succès politique en Irak.

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