© Image Globe / SANA

Syrie : les chrétiens entre deux feux

Le régime syrien réprime les voix dissidentes mais en même temps assure la protection des minorités. Une position schizophrénique pour les 10 % de chrétiens.

De notre envoyé spécial en Syrie, FRANÇOIS JANNE D’OTHÉE Des cloches à toutes volées tandis que le muezzin appelle à la prière un peu plus loin : cette étrange cocktail musical servi à heures régulières dans la vieille ville de Damas révèle l’extraordinaire mosaïque confessionnelle de la Syrie. On compte ainsi près d’une dizaine d’Eglises différentes, catholiques ou orthodoxes, les grecs orthodoxes étant les plus importants en nombre. Les témoignages de la présence millénaire des chrétiens (moins de 10 % de la population aujourd’hui) sont très nombreux, tel le martyrium Saint-Siméon, au nord d’Alep, un site remarquable où des familles musulmanes viennent pique-niquer le vendredi. A Seydnaya, l’icône miraculeuse attribuée à saint Luc attire autant de pèlerins chrétiens que musulmans dans la fameuse grotte sacrée.

Le régime dominé depuis 1970 par les Alaouites (une branche du chiisme), eux-mêmes minoritaires, s’est toujours bien gardé de toucher aux chrétiens, afin de renforcer son assise face à la majorité sunnite. Les chrétiens lui en sont reconnaissants. Alors que la répression battait son plein, le pape a profité de la visite au Vatican de l’ambassadeur syrien, le 9 juin, pour saluer, la tradition syrienne de « tolérance », de « convivialité » et de « relations harmonieuses entre chrétiens et musulmans »… Une façon d’exorciser la crainte que ce subtil équilibre ne soit un jour anéanti.

Au village de Maaloula, où l’on parle encore l’araméen, la langue du Christ, le père Toufic, un Libanais de rite melkite, accueille souvent des groupes de touristes musulmans dans l’antique église du couvent Saint-Serge. Ce jour-là, c’était des Iraniennes. A leur intention, le père Toufic a récité le Notre Père en araméen, traduit ensuite en farsi par l’accompagnateur. Etonnante rencontre ! « Heureusement qu’on peut encore compter sur les Iraniens, déclare le père Toufic. Mais pour combien de temps ? On a déjà caillassé leurs bus pour les forcer à déserter la Syrie, comme tous les autres. Tout cela est du terrorisme organisé. »

« Ils nous obligeront à porter le voile »

« Terrorisme » : nombreux sont les chrétiens à reprendre la vulgate du régime et à voir la « main de l’étranger » pour expliquer les troubles qui secouent le pays. Selon certains Alaouites, l’objectif serait de faire tomber la Syrie dans le « fondamentalisme sunnite ». « Ils nous obligeront à porter le voile », croit savoir Maram, une jeune Alaouite qui gère un hôtel dans le vieux Damas, sans le moindre client depuis un mois. Les sunnites ne forment toutefois pas un bloc homogène. Démographie oblige, le président Bachar al-Assad favorise également la bourgeoisie et les riches commerçants de cette communauté, même si les Alaouites gardent la mainmise sur l’armée.

Mais jusqu’où pactiser ? Face à la répression sanglante, les deux millions de chrétiens sont aux prises avec des problèmes de conscience particulièrement aigus. « Vivre dans un régime sécuritaire ou sous l’islam intégriste ? », tel est le dilemme que posait récemment Mgr Samir Nassar, archevêque maronite de Damas. « Nous sommes pour le changement, s’il a pour but un Etat séculier, qui s’engage pour le bien-être commun », déclarait Mgr Grégoire Elias Tabé, archevêque de Damas, qui ne craint pas d’affirmer que « la majorité de la population est derrière Assad ». D’autres tiennent des propos encore plus tranchés, tel le patriarche d’Antioche Gregorios III, qui réfute l’émergence d’une révolution en Syrie et critique les pressions de l’Occident.

En fait, les chrétiens redoutent par-dessus tout le spectre de l’Irak, et avec lui l’insécurité et l’islamisation. Ils savent de quoi ils parlent : la Syrie accueille des milliers de réfugiés de ce pays. Ces craintes sont-elles fondées ? « Les chrétiens n’ont rien à craindre et seront associés au pouvoir, affirme Samir (prénom d’emprunt), réfugié en Belgique et qui participe à toutes les manifestations anti-Bachar sur les marches de la Bourse à Bruxelles.

Le parallèle avec l’Irak ne tient pas la route, car en Syrie la société n’a pas été désintégrée par une intervention étrangère. Toutes les composantes auront donc leur place. » De père musulman et de mère catholique, Samir estime toutefois impossible de réformer le système Bachar. « L’avenir des Alaouites s’avère bien plus sombre que celui des chrétiens, prédit-il, étant donné que les membres de cette communauté ont été les instigateurs et les bénéficiaires d’un système de corruption et de mise en coupe réglée du pays. »

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