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Syrie: le régime s’acharne sur la Ghouta orientale, six hôpitaux bombardés

Le Vif

Les aviations syrienne et russe se sont acharnées mardi sur une enclave rebelle proche de Damas, tuant plus de 100 civils et mettant hors service plusieurs hôpitaux malgré les appels de l’ONU à mettre fin à cette « souffrance insensée ».

Au total, au moins 250 civils, dont près de 60 enfants, ont été tués depuis dimanche dans les bombardements sur la Ghouta orientale, fief rebelle assiégé par le régime depuis 2013.

Selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), 17 civils ont péri dimanche, 127 lundi et 106 mardi.

Cette sanglante campagne a été entamée au début du mois par le régime de Bachar al-Assad et semble annoncer un assaut terrestre contre le dernier fief rebelle proche de la capitale, en proie à une grave crise humanitaire.

L’aviation de la Russie, qui soutient Damas, a bombardé mardi la Ghouta orientale pour la première fois depuis trois mois, touchant notamment un des principaux hôpitaux de la région, à Arbine, désormais hors service.

L’Unicef a manifesté mardi sa colère en une seule phrase: « Aucun mot ne rendra justice aux enfants tués, à leurs mères, leurs pères, et à ceux qui leur sont chers ».

L’opposition syrienne en exil a dénoncé « une guerre d’extermination » et le « silence international » face aux « crimes » du régime dans la guerre qui ravage la Syrie depuis 2011.

Les bombardements de civils « doivent cesser maintenant », a exigé le coordinateur de l’ONU pour l’aide humanitaire en Syrie, Panos Moumtzis, tirant le signal d’alarme pour les quelque 400.000 personnes prises au piège dans l’enclave rebelle, qui est le dernier fief de l’opposition près de la capitale syrienne.

Le chef de la diplomatie française, Jean-Yves le Drian, a dit craindre « un cataclysme humanitaire » en Syrie et annoncé qu’il se rendrait à Moscou et à Téhéran, les deux principaux appuis du président syrien Bachar al-Assad.

Le département d’Etat américain s’est dit « extrêmement préoccupé » par la situation dans la Ghouta orientale et a dénoncé dénonçant les « tactiques » du régime consistant à « assiéger et affamer ».

Hôpitaux hors service

Des centaines de blessés ont afflué mardi dans les hôpitaux de fortune de la Ghouta orientale, ont constaté des correspondants de l’AFP.

Les lits manquent et les blessés sont soignés à même le sol tandis que les salles d’opération tournent à plein régime.

« Nous avons reçu un enfant d’un an, le corps tout bleu, le coeur battant à peine. Au moment où je lui ouvrais la bouche pour introduire un tube respiratoire, j’ai découvert qu’elle était remplie de sable. Il avait été récupéré sous les décombres », a raconté à l’AFP le docteur Abou Al-Yousr de l’hôpital d’Arbine, mis plus tard hors service par deux bombardements russes selon l’OSDH.

« J’ai alors rapidement dégagé le sable de sa bouche mais celui-ci avait atteint les poumons. Nous les avons alors nettoyés et il s’est mis de nouveau à respirer », a expliqué, ému, ce médecin après avoir sauvé l’enfant.

« Il s’agit d’un cas parmi des centaines », selon lui.

« Une femme enceinte de sept mois, souffrant d’une hémorragie cérébrale sévère, a été transportée à l’hôpital de Hammouriyé. Elle a fini par succomber à ses blessures et nous n’avons pas réussi à sauver le foetus ».

Outre celui d’Arbine, six autres hôpitaux ont été visés par les bombardements au cours des dernières 48 heures, dont trois sont désormais hors service, selon l’ONU.

Selon le quotidien Al-Watan, proche du régime, ces frappes « sont un prélude à une opération d’envergure (terrestre), laquelle peut commencer à tout moment ».

La coalition de l’opposition a accusé la Russie de chercher « à enterrer le processus politique » en vue d’une solution au conflit, qui a fait plus de 340.000 morts depuis mars 2011.

Après avoir d’abord opposé les rebelles au régime, la guerre en Syrie s’est complexifiée avec l’implication de groupes jihadistes et de puissances étrangères.

Après avoir opposé les rebelles au régime, la guerre s’est complexifiée avec l’implication de groupes jihadistes et de puissances étrangères.

Tensions à Afrine

Dans la région d’Afrine, dans le nord-ouest de la Syrie, l’armée turque a tiré sur des forces du régime syrien venues prêter main forte aux milices kurdes que la Turquie veut déloger de ce secteur proche de sa frontière.

Ankara avait mis en garde contre une intervention de Damas à Afrine.

« Les Forces populaires (prorégime) sont entrées dans le district d’Afrine », a affirmé mardi Rojhad Rojava, un responsable de la Défense kurde au sein de l’administration locale.

Le directeur de l’OSDH, Rami Abdel Rahmane, a fait état « de centaines de combattants déployés » dans la zone.

Dans un communiqué, les YPG ont indiqué que les « unités militaires » envoyées par le régime devaient « prendre position à la frontière et participer à la défense de l’unité territoriale de la Syrie et de ses frontières ».

Mardi, l’agence officielle syrienne Sana a indiqué que « les forces turques avaient ciblé les positions (des forces prorégime) dès leur arrivée dans la région d’Afrine ».

A Ankara, les médias étatiques ont fait état de « tirs d’avertissement ». « Les groupes terroristes prorégime qui s’efforcent d’avancer vers Afrine ont reculé à environ 10 km de la ville du fait » de ces tirs, a affirmé l’agence Anadolu.

Des forces prorégime « ont tenté de se diriger vers Afrine avec quelques pick-ups mais après des tirs d’artillerie, ils ont été contraints de reculer. Ce dossier est clos pour le moment », a déclaré le président turc Recep Tayyip Erdogan.

Les ONG horrifiées

« Pertes humaines massives », « situation abjecte », « catastrophe humanitaire »: les ONG se sont dites horrifiées par l’ampleur des bombardements du régime syrien contre le fief rebelle de la Ghouta orientale, qui ont tué près de 200 civils depuis dimanche.

Unicef

Dans un communiqué intitulé « Pertes humaines massives », le directeur régional de l’Unicef pour l’Afrique du nord et le Moyen-Orient, Geert Cappelaere, laisse une page blanche.

Une unique phrase le justifie: « Aucun mot ne rendra justice aux enfants tués, à leurs mères, leurs pères, à ceux qui leur sont chers ». Au moins 194 civils dont près de 60 enfants ont été tués depuis dimanche, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).

Save the Children

L’ONG britannique évoque des « bombardements d’un niveau sans précédent. « Dans certaines parties de la Ghouta orientale, les destructions sont maintenant plus importantes que lors de la crise de 2016 à Alep, mais ne font l’objet que d’une infime partie de l’attention et de l’indignation mondiale », s’indigne Save the Children.

Dans le quartier d’Ein Terma, où vivent 18.500 personnes, les images satellite montrent que 71 des bâtiments sont détruits ou endommagés, note-t-elle. Plus de 350.000 civils sont pris au piège dans l’enclave rebelle.

« La situation est absolument abjecte », affirme dans un communiqué Sonia Khush, directrice pour la Syrie, appelant à un cessez-le-feu « de toute urgence ». « Nous avons désespérément besoin d’un accès humanitaire afin que de la nourriture, des fournitures médicales et des abris puissent être livrés aux personnes les plus touchées par cette guerre horrible qui empire de jour en jour ».

Comité international de la Croix-Rouge

« Cela ne peut pas continuer », affirme le CICR sur son compte Twitter. « Rapports alarmants de dizaines de personnes tuées ou blessées chaque jour dans la Ghouta orientale ». L’organisme caritatif évoque « des familles prises au piège, avec aucun endroit sûr où s’abriter des bombardements ». « Nous ne pouvons laisser l’histoire se répéter ».

CARE International

Les associations humanitaires syriennes partenaires de CARE ont cessé d’apporter de l’aide à la population de la Ghouta orientale en raison de la violence des bombardements, annonce l’ONG dans un communiqué.

« La situation dans la Ghouta orientale est plus critique que jamais. En dépit de la résilience dont ils font preuve depuis des années, les gens perdent espoir. Contrairement aux précédentes frappes aériennes, les destructions affectent cette fois tous les quartiers. Il n’y a pas d’endroit où aller, pas d’abri, pas de sécurité », détaille Hanaa, qui travaille dans une association soutenue par CARE dans la Ghouta orientale, citée dans le communiqué.

Selon le directeur de CARE pour la Syrie, Wouter Schaap, « si un cessez-le-feu n’est pas conclu rapidement, nous allons faire face à une catastrophe humanitaire ».

Amnesty International

Pour l’ONG britannique, les bombardements perpétrés par le régime de Bachar al-Assad constituent des « crimes de guerre ».

« Le gouvernement syrien, avec l’appui de la Russie, cible intentionnellement sa propre population dans la Ghouta orientale. Non seulement les gens souffrent d’un siège cruel depuis six ans, mais ils sont maintenant pris au piège par des bombardements quotidiens qui les tuent et les mutilent délibérément, cela constitue des crimes de guerre flagrants », estime Diana Semaan, chercheuse chargée de la Syrie à Amnesty.

Il est « impératif que le Conseil de sécurité (de l’ONU) adresse un message fort qu’il n’y aura pas d’impunité pour ceux qui commettent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ».

Nations unies

« La situation humanitaire des civils dans la Ghouta orientale est totalement hors de contrôle », a expliqué dans un communiqué diffusé lundi à Beyrouth Panos Moumtzis, coordinateur de l’ONU pour l’aide humanitaire (OCHA) en Syrie. « Il est impératif de mettre fin immédiatement à cette souffrance humaine insensée » et les bombardements de « civils innocents et d’infrastructures doivent cesser immédiatement », ajoute-t-il.

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