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Syrie: « Le régime parie sur le pourrissement du conflit »

Le Vif

Quel est l’enjeu de la bataille de Qousseir, dans lequel le régime s’est lancé à l’aide du Hezbollah libanais? S’agit-il d’un tournant dans la guerre? L’analyse de Ziad Majed, politologue libanais, spécialiste de la Syrie.

Quel est l’enjeu de bataille de Qousseir?

Qousseir est le verrou pour la bataille de Homs, dont le régime syrien n’était pas parvenu, en plus d’un an, à chasser complètement les combattants de la révolution. Ceux-ci y contrôlent encore certains quartiers. La troisième ville du pays est le noeud qui bloque la ligne de ravitaillement entre Damas, Alep, Idleb et le littoral. C’est pourquoi le régime a décidé de tout faire pour récupérer cette ville. Il a ainsi ouvert un deuxième front par l’ouest, à l’aide du Hezbollah, tandis qu’il attaque par l’est.

La bataille de Qousseir constitue-t-elle un début de renversement dans l’avancée de la rébellion?

Sur le plan strictement militaire, c’est exagéré. L’armée du régime parvient à reprendre certaines positions, quelques villages ou quelques rues dans les quartiers des villes où elle combat. Mais elle ne parvient pas à inverser fondamentalement la donne. Elle dispose pourtant – et ce, dès le début – d’une nette supériorité en termes de puissance de feu, et elle ne se prive pas d’en user contre toutes les zones aux mains de la révolution, mais elle manque de forces humaines sur le terrain. C’est pourquoi elle a fait appel au Hezbollah libanais et à des milices entraînées avec l’aide de son allié iranien pour les batailles de Qousseir et de Homs, pour certains barrages à Damas et dans certaines de ses banlieues. Elle pourrait, toutefois, avec ces nouveaux moyens, parvenir à faire tomber Homs.

En face, la révolution est, il est vrai, en difficulté, en raison du manque cruel d’armement. Sur certains fronts, les combattants assiègent des positions du régime, notamment une base à Raqqa, celle de Menneg ou l’aéroport militaire de Kwaires près d’Alep, mais ils ne peuvent donner l’assaut final, faute de ressources.

Ils sont aussi handicapés par un défaut de coordination et des divisions, accentués par l’enlisement et, là encore, le manque d’armement. Certaines brigades hésitent parfois à venir en aide à d’autres, de peur de gaspiller leurs rares munitions. Il semble que des divisions apparaissent aussi au sein du Front al Nosra. Par le passé, ce groupe djihadiste envoyait des renforts dans les zones d’offensive majeure. Cela semble être moins vrai. Certains émirs qui contrôlent des zones de productions pétrolières, près de Deir Ezzor par exemple seraient désormais plus intéressés par la gestion de ces ressources que par les combats.

Le régime est, lui, en meilleure posture qu’il y a quelques mois…

Le moment où la révolution a connu son avancée maximum a été le mois d’octobre 2012. A partir du mois suivant, le régime a changé de stratégie, sur les conseils de Téhéran et de Moscou. Il a cessé de chercher à reprendre les positions éloignées pour concentrer l’essentiel de ses forces sur Damas et Homs. L’armée a fait en sorte de repousser les opposants qui encerclaient la capitale. Le pilonnage incessant de leurs quartiers a desserré l’étau et au stade actuel, les rebelles ne peuvent pas entreprendre l’attaque de Damas qu’ils envisageaient il y a quelques mois.

Les pays qui soutiennent la rébellion sont-ils en train de prendre leurs distances?

Le Qatar a, semble-t-il, subi des pressions, de la part des Etats-Unis, qui l’ont contraint à restreindre ses livraisons d’armes. L’Arabie saoudite serait en train de redevenir très lentement le principal parrain de la rébellion. Mais contrairement à une idée reçue, et pour diverses raisons, elle ne soutient ni les djihadistes, ni les Frères musulmans, dont elle se méfie. Elle mise plutôt sur les anciens officiers du régime passés à l’opposition.

Comment le conflit peut-il évoluer?

Plus que sur une victoire militaire, dont il s’est montré incapable, le régime parie sur le pourrissement à l’intérieur du pays, et la lassitude de l’attention internationale. Bachar el-Assad reprend l’une des constantes de la politique de son père. Hafez el-Assad misait, pour se maintenir comme acteur incontournable dans la région, sur le temps, un élément dont un régime autoritaire comme le sien dispose face à des administrations qui, elles changent au fil des élections et ont souvent la mémoire courte.

Le régime a été aidé par les hésitations occidentales et internationales, et par les déclarations irresponsables sur les « lignes rouges » relatives aux armes chimiques. Cela lui a permis d’utiliser sans retenue tous les autres types d’armes, et ne l’a même pas empêché d’employer, à plusieurs reprises, ces armes chimiques, testant au passage la réaction, ou plutôt l’absence de réaction des pays occidentaux. A mes yeux, au stade actuel, le principal danger est le maintien du statu quo militaire, qui favoriserait l’enlisement et donc la durée du conflit. Seule une aide militaire importante et conditionnée aux combattants de la révolution pourrait renverser les rapports de force, et donc permettre une solution politique sérieuse tournant la page des Assad et évitant le pire.

Propos recueillis par Catherine Gouëset

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