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Syrie : la médecine est utilisée comme « une arme de persécution »

En Syrie, aller à l’hôpital fait peur aux blessés et les médecins qui leur portent secours de façon clandestine sont réprimés par le régime, déplore un rapport de Médecins sans frontières rendu public cette semaine.

Trop de morts. Après un dernier bilan tombé fin janvier, qui faisait état de quelque 6000 morts, l’ONU s’avoue dans l’incapacité d’estimer de façon fiable le nombre de personnes tuées depuis le début de la contestation du régime Assad. Le nombre de blessés est encore moins aisé à établir, et leur sort inquiète au plus haut point les ONG comme Médecins sans frontières qui a publié un rapport à ce sujet ce mercredi.

La plupart des personnes blessées ne se rendent pas dans les hôpitaux publics de peur d’y être torturées ou arrêtées par les forces de sécurité, qui veillent nuit et jour dans les centres hospitaliers du pays, décrit MSF. Le personnel médical qui tente de porter secours aux blessés lors des manifestations est lui aussi violemment réprimé. « La médecine est utilisée comme une arme de persécution », déplore le Docteur Marie-Pierre Allié, présidente de l’organisation des Médecins sans frontières (MSF), face à la presse.

Opérés dans des maisons

L’ONG qui n’est pas autorisée à intervenir directement en Syrie a recueilli entre le 30 janvier et le 6 février, des témoignages auprès de personnes blessées et soignées en dehors du pays, ainsi que des réactions de médecins syriens, venant de différentes régions. Toutes les personnes interrogées ont requis l’anonymat pour des raisons de sécurité.

Le premier patient cité, âgé de 23 ans, a été blessé à la main en novembre dernier lors d’un raid de l’armée. Les soldats ont tiré sur la population, visant « toutes les personnes sans discrimination, vieillards, enfants ou femmes », raconte le jeune homme. Il a reçu ses premiers soins « dans une maison » où se trouvaient « un certain nombre de médecins et d’infirmières ». Un bloc opératoire de fortune qualifié d' »hôpital mobile » selon MSF, qui dénonce des conditions d’anesthésie, de stérilisation et d’hygiène rudimentaires dans ce type d’installations privées.

Les médecins, de leur côté, exercent difficilement leur métier. Ils doivent également changer d’endroit constamment pour ne pas risquer d’être repérés. L’un d’entre eux s’est confié à MSF: « Les services de sécurité attaquent les hôpitaux mobiles et les détruisent. Ils rentrent dans les maisons à la recherche de médicaments ou de n’importe quel matériel médical. (…) Beaucoup de médecins qui traitaient les blessés dans leur hôpital privé ont été arrêtés, torturés ».

Les dangers de l’hôpital

Mais pourquoi ne pas aller à l’hôpital, plutôt que de pratiquer des opérations clandestines de ce type? Parce que, pour certains patients, le lieu comporte aussi ses risques. « Si vous y allez, soit vous êtes amputés, soit vous êtes envoyés en prison, même blessé », déclare l’un d’entre eux, blessé lors d’un assaut de l’armée alors qu’il collaborait à un reportage pour la chaîne de télévision Al Jazeera.

Autre exemple. Nécessitant une opération, le jeune homme de 23 ans déjà mentionné est envoyé dans un hôpital de Damas, ceux qui le soignaient « considérant que la situation était plus calme ». Opéré sous une fausse identité pour ne pas être retrouvé par la sécurité, le jeune patient a été amputé du poignet alors qu' »une blessure par balle ne nécessite pas une amputation. (…) C’est ce qui me surprend et me dérange », s’étonne le jeune homme. « La plupart du personnel infirmier dans ces hôpitaux se prononce pour le régime », avance un chirurgien généraliste.

La torture dans les prisons

Et puis il y a les manifestants qui ont aussi été blessés dans le cadre de leur détention, subissant des actes de torture : ils sont brûlés, électrocutés ou encore battus. « En détention, ils nous insultent et nous frappent constamment en nous attachant les bras en croix », témoigne un patient emprisonné pendant 15 jours et blessé à la main durant son emprisonnement. Le collaborateur d’Al Jazeera, qui a été emprisonné deux fois, raconte qu’il a vu, en prison, « des gens dont les blessures pourrissaient. (…) Certains sont morts à côté de moi ».

Aucune organisation médicale n’est autorisée à se rendre en prison pour procurer des soins. Depuis des mois, MSF tente d’obtenir des autorisations officielles pour secourir les blessés, des discussions sont déjà entamées avec les pays voisins pour faire pression sur la Syrie.

En attendant, l’ONG s’appuie sur son réseau présent dans les pays limitrophes : Turquie, Liban, Jordanie. Elle y dispose d’un programme chirurgical, de médicaments, de matériel médical, etc. C’est là qu’elle prend en charge des patients, victimes de blessures par balles ou de torture, selon Marie-Pierre Allié. Mais cette aide reste, face l’ampleur du conflit, limitée. Et réservée à ceux qui ont pu fuir le huis clos syrien.

Chloé Gibert

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