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Syrie : Bachar el-Assad piégé par son bunker

Le chef de l’Etat lâche du lest. Mais, face à la révolte, les durs du régime ne désarment pas. Au risque d’un embrasement communautaire.

Il a fini par franchir le pas: dans un discours télévisé, le 16 avril, le président Bachar el-Assad a promis d’abolir avant la fin de cette semaine la loi d’urgence en vigueur depuis 1963. Mais le chef de l’Etat syrien a aussitôt précisé que la nouvelle législation antiterroriste, qui remplacera l’ancien texte, ne ferait preuve d’aucune indulgence contre les « saboteurs ». Dès le lendemain, de nouveaux appels à manifester étaient lancés dans tout le pays…

Depuis un peu plus d’un mois, les autorités syriennes sont en butte à une vague contestataire qu’elles peinent à contenir. Parti, à la mi-mars, de Deraa, dans le sud du pays, le mouvement s’est étendu à de nombreuses villes, y compris la capitale, Damas. Selon le principal comité syrien de défense des droits de l’homme, près de 200 personnes auraient été tuées au cours de ces manifestations violemment réprimées.

« Bachar est l’otage de l’aile dure du régime »

Voilà quarante ans que le pouvoir est confisqué par la minorité alaouite (12 % de la population, voir encadré ci-dessous). Choisi il y a onze ans, à la mort de son père, par la « vieille garde » pour représenter le système et moderniser son image, Bachar el-Assad ne disposerait que d’une marge de manoeuvre limitée au sein de l’appareil d’Etat. « Bachar est l’otage de l’aile dure du régime, qui refuse toute réforme consistante, affirme une source libanaise proche du parti (sunnite) de l’ex-Premier ministre Saad Hariri. Or, l’opposition n’acceptera pas de demi-mesure. »

Le président n’aurait surtout guère de prise sur les mukhabarat, les multiples services de sécurité du pays – près d’une vingtaine – chargés de faire régner l’ordre en entretenant un climat de peur et placés sous la houlette de Maher, son frère cadet. « Le vrai pouvoir alaouite, c’est la garde républicaine et les services secrets », souligne Jean François Daguzan, spécialiste à la Fondation pour la recherche stratégique et rédacteur en chef de la revue Maghreb Machrek. Ce sont eux qui ont jusqu’ici géré la crise, appliquant la seule logique de la force. « En annonçant la levée de la loi d’urgence, ils lâchent du lest. Mais il y a peu de chances pour que cela suffise à calmer mes esprits », poursuit le chercheur.

Le régime agite régulièrement le spectre du retour en force des Frères musulmans, écrasés dans le sang à Hama en 1982. Face à la majorité sunnite, dont les frustrations et le désir de vengeance ne se sont pas émoussés, le pouvoir se pose en défenseur des minorités, notamment des chrétiens.

Rares sont ceux qui souhaitent sa chute à l’extérieur

Pour Karim Pakradouni, le chef du parti Kataëb libanais (chrétien), bon connaisseur de la scène politique syrienne, Bachar el-Assad conserverait toutefois de nombreux atouts: « Il reste soutenu par tous ceux qui craignent la montée de l’islamisme, y compris la bourgeoisie commerçante sunnite de Damas. » La perspective de voir la révolte se muer en affrontement communautaire explique, en partie au moins, la prudence des Occidentaux et celle des Etats arabes de la région. Rares sont ceux qui, à l’extérieur, souhaitent la chute de Bachar el-Assad. Ni l’Iran, dont il est l’unique allié dans la région, ni les Israéliens, peu soucieux de perdre cet ennemi si fiable, qui a toujours su garantir l’étanchéité de sa frontière avec l’Etat juif.

Dominique Lagarde et Scarlett Haddad à Beyrouth, L’Express.fr

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