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Syrie: Bachar el-Assad est-il fini?

En quelques jours d’insurrection à Damas et en frappant au coeur le système el-Assad, les insurgés syriens ont opportunément changé de stratégie. Une victoire sur le terrain, pas diplomatique. L’analyse de Christian Makarian, directeur délégué de la rédaction de L’Express.

Une défection majeure au faîte du pouvoir, celle de Manaf Tlass, réfugié à Paris. Puis l’ambassadeur de Syrie en Irak, qui quitte son poste et tourne le dos au régime. Enfin la mort dans un attentat de Daoud Rajha, ministre de la Défense, et d’Assef Chawkat, beau-frère de Bachar el-Assad. L’idée d’un tournant dans le conflit syrien se confirme – elle est en tout cas dans tous les esprits du côté de l’opposition.

Les insurgés syriens sont-ils en train de prendre le dessus?

Ils marquent des points déterminants, susceptibles, si ce n’est de précipiter instamment le président syrien vers la sortie, du moins de le contraindre à envisager un scénario auquel il s’est obstinément refusé en choisissant de faire couler, sans limites, le sang de son propre peuple. Assad, en effet, ne veut pas partir en laissant la majorité sunnite prendre les rênes du pays – ce que voudraient pourtant les règles démocratiques. Il a tout fait pour éviter cette perspective et n’a pas hésité à allumer une vraie guerre civile, en bonne et due forme, pour protéger les siens, c’est-à-dire le clan alaouite auquel il appartient (10 à 12 % de la population syrienne).

La méthode de Bachar el-Assad?

Instaurer un véritable nettoyage ethnique, depuis les débuts du soulèvement de 2011, afin d’établir de vraies zones alaouites vidées ou allégées de leur peuplement sunnite, quitte à composer avec d’autres minorités (les chrétiens). Pour ce faire, il a disposé de la force armée qui, au fil des mois, s’est trouvée être le seul et dernier pilier du régime – alors qu’Assad pouvait se réclamer, au début, d’un certain soutien des milieux d’affaires.

La méthode des insurgés syriens?

En frappant cette armée à la tête, les insurgés ne se trompent pas de cible, ils cherchent à atteindre le coeur su système – et sont en train d’y parvenir. Leurs récentes victoires résultent d’un changement de stratégie décisif: au commencement des troubles, ils ont soutenu une révolte principalement urbaine. C’est au coeur des villes que les jeunes, puis les moins jeunes, se sont dressés contre les forces gouvernementales. Ce fut un plan de bataille très coûteux en termes de vies humaines et peu efficace en termes de résultats concrets – le régime s’est d’autant plus durci dans sa folie répressive en faisant régner la terreur parmi les civils. Pris au piège entre les murs des cités, les rebelles ont été écrasés par de véritables sièges et des bombardements intensifs, comme à Homs. D’où le revirement tactique actuel.
Au lieu d’allumer des foyers dans les centre-ville, les insurgés, désormais mieux armés et aguerris, attaquent les garnisons et les positions gouvernementales par la périphérie des villes, en pénétrant les lignes avec la possibilité de se replier vers l’arrière en cas de contre-offensive. C’est la manoeuvre en cours, avec un certain succès, dans les banlieues de Damas. Peu ou prou, elle permet aux opposants d’Assad d’enlever aux forces de coercition du régime le contrôle de la moitié du territoire national. Dans ce schéma de type guérilla, l’usage de l’arme aérienne, le principal instrument de supériorité d’Assad et des siens, est totalement inopérant: il reviendrait à écraser les populations que l’on prétend protéger.

Le régime syrien va-t-il s’effondrer pour autant comme un château de cartes?

Il ne faut surtout pas raisonner sur la Syrie comme sur la Libye. Assad a réussi à entretenir une telle furie meurtrière et un tel morcellement du paysage inter-religieux, inter-ethnique, inter-régional, que sa perversité peut compliquer à loisir la situation tant militaire que politique.
De surcroît la Syrie, pays fortement urbanisé et doté d’une élite particulièrement instruite et brillante, n’a rien à voir avec un Etat bédouin – « inter-ethnique » ou inter-communautaire » ne veut pas dire « tribal ». Un scénario de « transition » est plus probable qu’un lynchage à la Kadhafi. C’est la carte que représenterait, par exemple, Manaf Tlass – pourtant l’un des meilleurs supports du régime jusqu’au début de cette année 2012 – qui n’a pas encore formellement appelé au départ de Bachar el-Assad ni fait sa « jonction » avec l’opposition. Manaf Tlass, vraisemblablement « exfiltré » de Syrie, ressemble à un atout de dernière minute créé de toutes pièces par les Occidentaux pour exhiber une « alternative » à Assad. Rien ne le prouve, mais certains membres de l’opposition syrienne évoquent ouvertement de tels calculs visant à échafauder un dispositif « cousu main » pour atténuer le carnage.

Cette perspective est-elle susceptible de plaire aux Russes, de les amadouer éventuellement ou de les ramener à la table de négociations dans de meilleures dispositions?

Rien n’est moins sûr. Eux qui bloquent toute évolution – cette semaine encore ils annoncent leur veto à une nouvelle résolution de l’ONU – n’ont pas de plan de sortie de crise. Ils soutiennent Assad sans lendemain. Et aviseront quand il sera tombé.
L’idée d’une Syrie éclatée, rendue ingouvernable, et dans laquelle les islamistes auront un poids aussi important qu’inédit déplaît au plus haut point à Moscou. C’est là, sans doute, le plus gros défaut de la position américaine et française sur la Syrie, depuis le début. Agir comme si les Russes ne comptaient pas, puis les « cornériser » dans le réduit des grands méchants, c’est, au mieux, souffler sur les braises. Moscou règne désormais par sa capacité de nuisance et ne se prive pas d’en user et d’en abuser, notamment en augmentant les livraisons d’armes à Assad.
Il n’y aura pas de solution à Damas sans un accord avec les Russes – ce qui reste le dernier atout, de poids, de Bachar el-Assad. À moins que la réalité du terrain, qui évolue décidément de jour en jour, n’en décide autrement…

Par Christian Makarian, L’Express

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