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Syrie: « Assad a perdu définitivement le soutien de la population »

Les combats entre rebelles et troupes régulières font désormais rage à Damas. Des défections en série dans l’armée régulière et les victoires militaires des insurgés sont les signes évidents d’un régime en difficulté. Selon, Y. H., jeune réfugié syrien, le régime peut encore tenir un mois. Interview.

Les yeux noirs luisants, l’air sérieux, Y. H. a dû quitter son pays à 27 ans pour sauver sa vie. En Belgique depuis un an, il a été un des premiers à manifester contre le régime de Bashar al-Assad en mars 2011. Après avoir été arrêté et torturé durant 27 jours, il rejoint la Belgique grâce à une filière catholique. Aujourd’hui il raconte son histoire.

Qu’ est-ce qui vous a poussé un jour de mars 2011 à sortir et manifester contre le régime ?

Tout d’abord, il faut dire que les jeunes générations sont en contact avec l’extérieur. Nous avons internet, nous allons à l’étranger pour étudier, nous parlons d’autres langues. Mais on habite dans un pays absolument fermé qui subit depuis 50 ans un régime dictatorial. Avec le début du printemps arabe en Tunisie, nous avons compris qu’il était possible de faire la même chose en Syrie. Au début, les gens avaient très peur. Ce qui a permis de la transcender, c’est la volonté de vouloir vivre dans un pays démocratique et libre où toutes les communautés peuvent être représentées.

Qu’est-ce que vous faisiez à l’époque?

J’étais étudiant en littérature française. On n’a pas le droit de choisir librement ses études. Le régime choisit pour nous. En réalité, je voulais faire de la science politique. Tout a commencé avec des invitations que j’ai postées sur facebook pour manifester à Damas. Le 15 mars 2011, j’avais écrit « demain je vais manifester, même si je suis tout seul ». Le lendemain je l’ai fait. Au début on était cinq. Mais petit à petit plusieurs personnes nous ont rejoints. À la fin, on était 200 et nous avons manifesté durant 15 minutes. La peur, que j’ai toujours connue, était passée. Je n’avais que deux possibilités : mourir dans la rue où être prisonnier pour le reste de ma vie.

Et votre famille, quelle a été sa réaction ?

Ma famille était contre. Surtout ma mère, elle avait une peur terrible. Mais pour les nouvelles générations, c’est différent. Hier j’ai appris que mes trois frères ont rejoint l’armée syrienne libre. Je suis fier d’eux. Cela prouve que les mentalités ont changé.

Comment vivez-vous les évènements actuels ?

Pour moi c’est très difficile. J’ai envie de rentrer, mais je sais très bien que c’est encore trop dangereux pour moi. Je préfère rester ici en Belgique et raconter aux médias ce qui se passe. Une chose est certaine : le soutien du peuple syrien pour le régime est terminé. Le régime n’arrive plus à contrôler Damas parce que les rebelles ont finalement le soutien du peuple.

Comment les rebelles sont parvenus à mettre en genoux un régime qui est armé par la Russie ? Ils l’ont épuisé. L’armée est fatiguée. Il s’agit d’une armée régulière et classique. Elle n’est pas prête à faire face aux petites bandes. En réponse à nos actions, sa principale riposte est le bombardement. Cela signifie tuer des civils et donc perdre le soutien de la population. Même les soldats disent que c’est terminé. Il y a beaucoup de défections.

Quel pourrait être le futur de Assad ?

Je ne suis pas prophète, mais peut-être qu’il va combattre jusqu’à la fin. Je ne peux pas dire quel sera son avenir. Personnellement, je veux est qu’on l’arrête et qu’on le juge en Syrie. Je ne veux pas d’une fin à la Kadhafi.

Est-ce que les rebelles sont aidés par la communauté internationale ?

On ne reçoit aucune aide des États-Unis, de l’Union Européenne et de ses États membres . C’est l’armée régulière qui nous vend les armes. On les achète grâce à l’argent des Syriens et des pays sunnites du Golfe (Arabie saoudite, Qatar). La Turquie fournit aussi des armes. La communauté internationale n’a pas agi parce que la situation syrienne est très compliquée et complètement différente du scénario libyen. Et, en plus, il y a la question d’Israël. On ne doit pas oublier que la Syrie de Bashar Al-Assad est le pays qui a permis à Israël de garder ses frontières intactes. Même si Assad n’est pas un allié d’Israël, il n’a jamais cherché directement à reprendre le Golan. On dit chez nous « le diable que tu connais est mieux que celui que tu ne connais pas ». Voilà, je pense que cette phrase reflète le rapport israélo-syrienne en ce moment. Les États-Unis ne veulent pas ennuyer Israël. Ils sont alliés. Je suis sûr que même si la Russie enlevait son véto, il n’y aurait aucune intervention de la part de la communauté internationale.

L’armée vend les armes aux rebelles ?

Oui, Assad a commencé à perdre le contrôle au moment où il a ordonné à l’armée de tirer sur les gens. En Syrie il y a deux armées : celle qui protège le régime (à majorité alaouite, la communauté religieuse dont Assad fait partie, NDLR) et celle qui protège le pays. C’est surtout de cette dernière que les défections arrivent.

Quelle est la composition de l’opposition?

Il n’ y a pas d’idéologies, juste un but : faire tomber le régime. Pour ça, on travaille tous ensemble. Je le répète, c’est un peuple qui veut sa liberté. Il n’ y a pas de frictions entre communautés. L’opposition est composée de sunnites, de chiites et des chrétiens. Il n’y a pas de problèmes entre les communautés religieuses.

Et le risque d’infiltrations par des djihadistes ?

Il existe, mais combien sont-ils ? C’est ça la vraie question. Je ne m’inquiète pas, les Syriens ne sont pas prêts à accepter les djihadistes. Ils sont arrivés de Lybie, d’Arabie saoudite, mais l’Armée Libre ne les veut pas. De ces pays nous ne voulons que l’argent pour acheter les armes. On ne cherche pas de combattants. S’il y a des djihadistes en Syrie, c’est le régime qui les a importés. C’est le régime qui a travaillé avec Al Qaida pendant la guerre américaine en Irak. Cette révolution n’a rien à voir avec la Jihad. Il s’agit d’un combat que le peuple syrien est en train de gagner seul, sans aucun aide. Et c’est mieux ainsi. Quand tout sera fini, on ne devra remercier personne et on pourra décider ce qui est bien pour nous en totale autonomie.

Anna M. Volpe

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