Gérald Papy

Super Poutine dans le bourbier syrien

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les mêmes mots peuvent recouvrir des réalités différentes. Les premiers bombardements russes en Syrie ont prouvé que du  » terrorisme « , contre lequel il a appelé à la création d’une coalition mondiale, Vladimir Poutine n’a retenu que l’acception scandée par Bachar al-Assad depuis la révolution populaire de 2011 (indistinctement, tous les groupes rebelles) au détriment de sa vision occidentale (les seuls mouvements islamistes radicaux, Etat islamique et Al-Qaeda).

Surpris par l’opportunisme russe, les Etats-Unis en sont donc réduits à mettre en oeuvre les garanties d’une « déconfliction », éviter un incident armé entre avions des deux forces de frappe désormais à l’oeuvre dans le ciel syrien. Glorieuse politique étrangère américaine…

Aujourd’hui, coup de maître, le dirigeant russe triomphe sur trois fronts au moins. Il a la légalité internationale avec lui (l’intervention a été sollicitée par le régime de Damas) ; c’est moins évident pour la coalition occidentale. Il peut arguer une certaine légitimité militaire, l’action des Occidentaux depuis plus d’un an n’a pas engrangé de succès faramineux, ni en Syrie, ni en Irak. Il s’impose à nouveau comme un acteur incontournable de la diplomatie mondiale malgré le souvenir de l’annexion de la Crimée ukrainienne qui lui avait valu le bannissement du G8.

Rien ne prédit pourtant que l’entrée en lice de Moscou constitue le tournant salutaire que certains escomptent dans le combat devenu prioritaire contre la barbarie de Daech. Le conflit syrien a la particularité d’impliquer des acteurs qui nourrissent d’autres objectifs que celui-là. La Russie, donc, entend sauver le régime de son allié Bachar al-Assad. La Turquie s’efforce de contrecarrer l’autonomisation kurde. Les Saoudiens espèrent contenir l’influence chiite, les Iraniens la domination sunnite… Bref, tous les ingrédients d’un fantastique bourbier, voire d’une déflagration internationale, dans un environnement qui ne respire déjà pas la stabilité.

La destruction de l’Arc de triomphe du joyau archéologique de Palmyre, après tant de violations des droits humains et de crimes de guerre, devrait pourtant convaincre sans peine que l’Etat islamique est le premier ennemi à abattre. Dans cette perspective, coopérer avec Vladimir Poutine, en ne s’interdisant pas de discuter avec Damas comme les conférences de Genève en ont déjà été l’occasion, est l’option la plus susceptible de porter enfin quelques fruits. Sans pour autant préfigurer, que du contraire, une réhabilitation, moralement inconcevable, du boucher de Damas.

Le combat contre l’islamisme effrayant et délirant de Daech requiert beaucoup plus que cette perfide forme de renoncement des Etats-Unis

Russes et Américains y trouveraient leurs intérêts. Les premiers pour installer en Syrie un régime ami durable qui ne soit plus exposé à une révolte populaire. Les seconds pour atténuer un bilan désastreux au Moyen-Orient. Là où l’Egypte a dévoré les enfants de sa révolution, où les relations israélo-palestiniennes sont menacées d’une nouvelle Intifada, où les monarchies du Golfe ont dilapidé leur crédit dans une attitude ambiguë à l’égard des islamistes et une indifférence aux réfugiés, là où l’Irak a perdu le contrôle d’une partie de son territoire et est gangrené par la haine communautaire, l’Amérique de Barack Obama a fait montre d’une coupable impuissance. Le combat contre l’islamisme effrayant et délirant de Daech, que Vladimir Poutine n’a pas eu tort de comparer au nazisme, requiert assurément beaucoup plus que cette perfide forme de renoncement de la première puissance mondiale.

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