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Suède: pourquoi les banlieues brûlent

Le Vif

Cinq jours d’emeutes dans les banlieues-ghettos de la capitale Stockholm montrent les limites criantes du modèle d’intégration « à la suédoise ».

« Remake » des émeutes de banlieues, en France, en 2005, les incidents qui secouent celles de Stockholm, la capitale suédoise, jettent une lumière crue sur l’échec de l’intégration à la suédoise. Des incidents comparables s’étaient déjà produits en 2008 et en 2010 en Suède, mais jamais ils n’avaient duré aussi longtemps et connu une telle ampleur: des centaines de voitures brûlées, des dizaines d’arrestations, cinq jours d’émeutes, et un mort.

Dans ce pays de 9 millions d’habitants, les étrangers et descendants immigrés représentent environ 15% de la population. Ils se concentrent dans les cités-ghettos des grandes villes du pays -Stockholm, Malmö, Göteborg- et connaissent un taux de chômage plus important que le reste de la population.

A Husby, le taux de chômage atteignait 9% en 2012, contre 3,5% à Stockholm. C’est précisément dans cette banlieue dortoir de la capitale que les troubles ont commencé après l’énorme bavure de la police suédoise qui s’est dit incapable de maîtriser un homme de 69 ans brandissant une arme blanche autrement qu’en lui tirant dessus.

Une politique d’immigration volontariste

Cas unique en Europe du Nord, la Suède abrite une population immigrée ou d’origine étrangère comparable, en proportion, à celle de la France. Ni le Danemark, ni la Norvège, ni la Finlande, dont la population immigrée n’atteint pas 5%, ne sont dans ce cas.

La première vague d’immigration remonte aux années 1960. Il s’agissait d’immigrants économiques originaires d’Italie, de Grèce ou de Yougoslavie -comme les parents de l’attaquant du PSG Zlatan Ibrahimovic- ; dans un contexte de plein emploi, ces nouveaux arrivants trouvent assez facilement leur place dans la prospère sociale-démocratie suédoise, notamment dans les usines automobiles de Volvo, Saab ou Scania.

Mais dans les années 1970, la nature de l’immigration change. Le Premier ministre social-démocrate Olof Palme, connu pour son tiers-mondisme et sa volonté de se donner un rôle dans la Guerre froide, lance une politique d’accueil aux réfugiés politiques. Palme se veut exemplaire: il ouvre les bras aux dissidents et persécutés du monde entier.

Aux victimes des dictatures chilienne, argentine, brésilienne ou uruguayenne succèdent les réfugiés éthiopiens et somaliens de la guerre de l’Ogaden (1977-1978). Puis arrivent des Iraniens, des Irakiens et des Kurdes, fuyant la révolution islamique à Téhéran (1979) et la guerre Iran-Irak (1980-1988). Stockholm est d’ailleurs aujourd’hui la principale ville kurde du monde en dehors du Kurdistan. Les immigrants suivants sont d’origine balkanique: ils fuient les guerres de l’ex-Yougoslavie (années 1990). Plus récemment, les Afghans et, aujourd’hui, les Syriens, complètent le tableau.

Système d’intégration ghettoïsant

Tous sont attirés par la réputation de générosité du système d’accueil suédois. De fait, du point de vue matériel, ces réfugiés sont bien traités: l’Etat suédois leur procure rapidement un logement et des allocations assez confortables. Cependant, ils sont parqués dans les banlieues ouvrières construites dans les années 1960-1970, un peu partout à travers le pays. Pratiquement plus aucun Suédois de souche ne vit dans ces cité-ghettos.

Contrairement aux Maghrébins ou aux Africains en France, les immigrés qui s’établissent au royaume scandinave ne connaissent rien des codes ni de la culture de ce pays aux nombreux particularismes « vikings », luthériens et progressistes (notamment en matière d’égalité homme-femme). La réciproque est également vraie. Si l’on compare la Suède et les Suédois avec la France et les Français, il ne fait nul doute et les scandinaves méconnaissent l’histoire et les cultures des pays arabo-musulmans.

La barrière de la langue constitue, aussi, un frein majeur à l’intégration. Dans les ghettos suédois s’est développé une sorte de sabire « sous-suédois  » qui, au moment de chercher un emploi, agit comme un marqueur social nettement dévalorisant.

Circonstance aggravante: les services sociaux, pétris de bonnes intentions, ont depuis toujours mis l’accent sur des cours de langues étrangères plutôt que sur l’apprentissage du suédois, en espérant que le respect des cultures d’origines des immigrants prédisposerait favorablement ceux-ci vis-à-vis du très compassionnel -voire paternaliste- système suédois.

En gros, l’idée consistait à permettre aux enfants d’immigrants somaliens, kurdes ou iraniens de continuer à parler la langue de leurs parents. Et cela afin de ne pas rompre avec leurs racines. Ce choix s’avère contre-productif. Il entretient un certain communautarisme, et freine la seconde génération dans le processus d’assimilation avec la Suède. Et éloigne les communautés les unes des autres.

Blocage de l’ascenceur social

Les étrangers ou descendants d’étrangers sont cependant très présents dans les petits commerces (restaurants, pressings, taxis, kiosques à journaux…). Ils ont d’ailleurs nettement amélioré l’offre gastronomique, grâce aux apports de la cuisine méditerranéenne et orientale. Cependant, ils demeurent sous représentés dans les PME où les employeurs donnent, sans le dire, la priorité aux Suédois.

La quantité des chauffeurs de taxis surdiplômés étrangers est l’un des signes les plus évidents du blocage de l’ascenseur social suédois. Ainsi, la diversité affichée sur les petits écrans suédois -la télévision publique a depuis longtemps vedettisée une présentatrice d’origine somalienne aux commandes d’un des journaux télévisés- ou encore la réussite de l’acteur de cinéma suédois Farès Farès -d’origine libanaise- n’est qu’un vernis superficiel.

Autre problème: à la différence du Danemark voisin, où une certaine xénophobie s’exprime assez ouvertement dans le débat politique -comme en France-, la Suède, où les débats sont toujours mesurés et imprégnés de « politiquement correct », laisse se développer un racisme plus discret mais plus sournois.

Quant aux policiers, loin d’avoir des comportements de « bobby » anglais, ils font l’objet de critiques de plus en plus nombreuses en raison d’un certain racisme. En théorie, les policiers anti-émeutes possèdent tous un numéro inscrit sur leur casque, lequel doit permettre leur identification en cas de dérapage verbal. En pratique, tous l’ont dissimulé sous un bout de scotch depuis des années.

Ascension de l’extrême droite

De son côté, le parti d’extrême droite Sverigedemokraterna (Les démocrates suédois), fondé en 1988, ne cesse de grignoter du terrain depuis une décennie. De 1,4% aux élections législatives de 2002, le parti de Jimmie Akesson, 34 ans, s’est hissé à 5,7% en 2010. Ce qui lui a permis de faire une entrée fracassante au Parlement, avec 20 députés sur 349. Aujourd’hui, il atteint 9% de popularité et fait jeu égal avec les écologistes (9,3%). Avec les émeutes de ces derniers jours, il ne fait guère de doute que l’extrême droite va continuer sa progression.

Axel Gyldén

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