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Soudan du Sud: pourquoi le plus jeune pays du monde s’enfonce dans la violence

Le Vif

Les combats font rage au Soudan du Sud depuis la mi-décembre, sur fond de tensions interethniques. Des charniers ont été découverts et l’ONU renforce ses effectifs sur le terrain. Le Vif fait le point.

Un pays au bord de la guerre civile. Depuis la mi-décembre, le Soudan du Sud connaît des affrontements très violents entre l’armée et des forces rebelles. Le Vif fait le point sur la situation.

Où est le Soudan du Sud ?

Le Soudan du Sud est le plus jeune pays du monde. L’Etat a été créé en juillet 2011, au terme d’une séparation avec l’actuel Soudan: une longue guerre d’indépendance (1983-2005) a déchiré ce territoire, entre un Sud chrétien et animiste et un Nord musulman et arabophone. De nombreuses ethnies cohabitent sur le même territoire: les dinkas sont les plus nombreux, et représentent environ 25% de la population.

Ce pays très pauvre et enclavé, situé entre le Soudan au nord, l’Ethiopie à l’est, le Kenya, l’Ouganda et la RD Congo au sud et la Centrafrique à l’ouest, repose à 95% sur l’exploitation du pétrole. Sur les 10 Etats que comprend le Soudan du Sud, ceux du nord sont les plus riches, grâce à l’or noir.

Pourquoi y a-t-il des conflits dans ce pays ?

Depuis le 15 décembre, de violents conflits déchirent ce petit pays de 11 millions d’habitants. La situation prend racine dans un affrontement politique entre l’actuel président Salva Kiir et son ex-vice-président limogé en juillet, Riek Machar, pourtant tous deux issus du mouvement de l’indépendance.

A la mi-décembre, le président Kiir a accusé Riek Machar de fomenter un coup d’Etat. Ce dernier s’en est défendu, et accuse Kiir de vouloir se débarrasser de ses rivaux, dans la perspective de la présidentielle de 2015. Mais cette fracture politique est intimement liée à une fracture ethnique, entre les dinkas dont est issu Salva Kiir, et les nuers, l’ethnie de Riek Machar. Chacun utilise les combattants de sa communauté.

Depuis son indépendance en 2011, le pays est régulièrement le théâtre d’affrontements intercommunautaires, et « l’unité nationale sud-soudanaise n’est pas encore une réalité » explique Adama Dieng, le conseiller spécial des Nations-Unies pour la prévention du génocide à RFI. Dans un premier temps, le gouvernement a nié ce type de violences, mais le président Kiir a fini par reconnaître une dérive interethnique: « Il y a maintenant des gens qui ciblent les autres en raison de leur appartenance tribale. »

Simon et Gatwech, rencontrés à Juba par l’AFP, décrivent comment ils ont été la cible, avec 250 autres personnes, des forces du président Kiir. Les deux hommes affirment avoir été visés parce qu’ils appartiennent à l’ethnie nuer. Des informations similaires ont émergé d’autres régions tenues par les rebelles: à Akobo, dans l’état de Jonglei, une base de l’ONU a été attaquée. Deux Casques bleus indiens ont été tués et l’ONU craint que des civils dinka aient été massacrés.

Quelle est la situation sur le terrain ?

Les forces du président et celles du vice-président entré en rébellion s’affrontent dans la majorité des 10 Etats du Soudan du Sud. Les Etats du nord sont les plus convoités, car ils sont producteurs de pétrole: des affrontements ont éclaté à Bentiu, la capitale de l’Etat d’Unité, et à Malakal, capitale de l’Etat du Nil supérieur. L’Etat de Jonglei à l’est, chroniquement instable, est également une zone stratégique puisque sa capitale, Bor, se situe à seulement 200 kilomètres de Juba, la capitale du pays.

Quelques jours après le début des affrontements, les hommes de Riek Machar avaient pris deux capitales régionales: Bentiu et Bor. Mardi, l’armée a repris cette dernière et mercredi, elle préparait une offensive vers la capitale de l’Etat d’Unité.

Selon un correspondant de l’AFP qui a pu se rendre à Bor, les cadavres jonchaient les rues de la ville mercredi. Les magasins ont été pillés et les maisons détruites. De Bentiu revenaient les mêmes témoignages de dizaines de corps laissés à même le sol.

Combien y a-t-il de victimes ?

Selon l’ONU, les conflits ont fait quelque 90 000 déplacés en dix jours, dont plus de 50 000 se sont réfugiés dans des camps de réfugiés débordés. Il est probable que des centaines de milliers de personnes aient fui dans la brousse. Officiellement, le bilan était de 500 morts mardi 24 décembre, mais selon le chef de mission humanitaire de l’ONU sur place, il s’élèverait à « des milliers de morts » depuis le 15 décembre.

Mardi, un charnier a été découvert à Bentiu, où 35 corps ont été retrouvés, mais l’ONU craint que le bilan ne soit en fait de 75 victimes d’une même ethnie. Les Nations Unies enquêtent sur une situation similaire à Juba, où 15 cadavres ont été retrouvés.

Que fait la communauté internationale ?

Face à la perspective d’une guerre civile, l’ONU a déclenché mardi l’envoi de casques bleus pour renforcer temporairement la mission des Nations Unies au Soudan du Sud (Minuss), déjà sur place. Le contingent onusien devrait ainsi passer de 7000 à 12 500 hommes.

Le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, a précisé que l’ONU ne sera pas en mesure de « protéger tous les civils » dans le pays, et exhorté les deux parties à emprunter la voie de la négociation. Salva Kiir et Riek Machar se sont engagés à se parler, sans qu’une date ne soit donnée, et les combats faisaient toujours rage mercredi à Malakal. Le président kényan Uhuru Kenyatta et le Premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn sont au Soudan du Sud ce jeudi pour rencontrer le président Kiir, en vue d’une médiation.

Sur le plan humanitaire, l’Union européenne a débloqué lundi une enveloppe de 50 millions d’euros. Selon l’ONU, les agences humanitaires ont besoin de 166 millions de dollars -121 millions d’euros- pour assurer les secours d’urgence à la population jusqu’en mars. Les priorités vont aux besoins sanitaires et de santé, à la distribution de nourritures et à la gestion des milliers de personnes déplacées.

Et qu’en pense le Soudan ?

Depuis l’indépendance du Soudan du Sud, la situation est toujours tendue entre les deux pays, malgré un accord commercial: Khartoum et Juba se disputent les territoires riches en pétrole et le tracé de la frontière. Khartoum estime que les combats qui font rage depuis 10 jours au Soudan du Sud « vont affecter » le Soudan. Et pour cause, tout le pétrole extrait au Soudan du Sud est raffiné et exporté via le Soudan, qui possède les oléoducs. Ces activités sont taxées et estimées à 1,5 milliard de dollars -1,1 milliard d’euros- en 2014.

Par ailleurs, le Soudan, pays pauvre et instable, craint la propagation de la guerre en dehors des frontières ainsi qu’un afflux de réfugiés et d’armes.

Marie Le Douaran

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