Bernie Sanders, candidat à la primaire démocrate, incarne le renouveau d'un socialisme encore considéré comme "marginal" aux USA. © AFP

Socialisme aux Etats-Unis : histoire d’un rendez-vous manqué

Stagiaire Le Vif

Socialisme et Etats-Unis ont rarement fait bon ménage. Un constat ravivé aujourd’hui par la campagne courageuse mais difficile menée par Bernie Sanders dans les primaires démocrates. Retour sur l’histoire d’un courant politique longtemps décrié dans une société fondée avant tout sur le capitalisme.

Quels que soient les résultats à l’issue des primaires démocrates de 2016, Bernie Sanders restera sans aucun doute comme la bonne surprise de la course à l’investiture. Bien qu’ayant consacré une bonne partie de sa vie à la sphère politique, Sanders était encore inconnu du grand public et des électeurs au moment de se présenter comme candidat à l’élection présidentielle. Un handicap de notoriété dont il a su se défaire, à la surprise générale, grâce à un discours très ancré « social-démocrate » voire « socialiste ». Une vision qu’il a cultivée tout au long de sa carrière et devenue aujourd’hui le porte-étendard de la « révolution politique » qu’il entend mener. Depuis le début de sa campagne, l’effet « Feel the Bern » a surtout touché l’électorat jeune avant de trouver écho auprès d’autres franches de la population.

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Socialisme, cet éternel mal-aimé

Cet effet de surprise est révélateur sur plusieurs plans. D’une part, de la volonté d’une partie de la population américaine de croire en une vision « différente » des précédentes législatures. D’autre part, des différences fondamentales qui existent entre les conceptions politiques des Etats-Unis et celles pratiquées par les pays européens.

Au pays de l’Oncle Sam, le socialisme est depuis longtemps synonyme de marginalité politique, quand il n’est pas pointé du doigt comme un spectre du communisme d’inspiration ex-URSS. En Europe, la longue histoire du développement des sociétés a ancré la pensée de gauche comme une valeur de premier plan et engendré la création d’une multitude de partis et colorations politiques. Cette représentation des classes en tant que forces indépendantes a été quasi inexistante aux Etats-Unis, raison pour laquelle ils demeurent la seule nation, parmi les pays de culture anglophone, avec un faible taux d’accès aux richesses pour une majorité de la population, couplé à des inégalités socio-économiques très creusées.

Cela ne veut pas dire qu’une conscience collective n’a jamais existé. Au fur et à mesure de l’évolution industrielle, les luttes de classes ont été nombreuses et souvent violentes entre le peuple prolétaire et les détenteurs des capitaux économiques. Comme en Europe, les USA ont vu naître leur propre mouvement ouvrier qui est parvenu à s’incarner par le biais de puissants syndicats. L’un des plus célèbres héritages de cette période reste le 1er mai célébré comme la fête du travail et obtenu grâce à la mobilisation des travailleurs qui revendiquaient la journée des huit heures.

Le problème est que ces mouvements ouvriers à l’époque ne sont pas parvenus à sortir de la rue d’où ils sont nés. Une séparation existait entre leur capacité de revendication industrielle et leur capacité d’établissement sur le plan politique. Sans cela, un parti puissant aurait pu voir le jour et défendre les intérêts de classe tout en opérant un contrôle des fonctions économiques de la société.

Des essais infructueux

Si le socialisme n’existe pas en tant que tel aux Etats-Unis, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Durant la première moitié du 19e siècle (entre 1825 et 1850), le pays fut un territoire de choix pour l’établissement d’expériences de communautés, soit sur base coopérative (comme théorisé par Robert Owen) ou associationniste (d’après un modèle de Charles Fourier). Ces projets initiaux ont fini, comme de l’autre côté de l’océan, par péricliter.

Il faudra attendre la fin de la guerre de Sécession (1861-1865) pour que les valeurs socialistes trouvent un nouveau souffle avec l’arrivée d’immigrés allemands. Ceux-ci ont profité de la deuxième « révolution industrielle » qui débutait pour installer petit à petit les bases d’une Internationale Socialiste suivi d’un parti d’inspiration social-démocrate allemande. Des projets qui sont difficilement parvenus à pénétrer les milieux ouvriers, à cause de divisions internes qui ont précipité leur existence.

Un changement de taille est intervenu au début du 20e siècle avec la création en 1901 du PSA, le Parti socialiste américain, qui rassemblait plusieurs groupes unis par leur reconnaissance de la lutte des classes et une volonté d’anticapitalisme. Le parti tirait sa force de la diversité des couches de la société qui le composait, des mineurs et petits fermiers de l’Ouest aux ouvriers qualifiés et intellectuels des grandes villes.

Après des années d’un succès électoral grandissant sous la figure d’Eugene Debs (qui dépassa les 900.000 votants pour la présidentielle de 1912), le coup d’arrêt intervint à l’aube de la première guerre mondiale. Le PSA refusa publiquement de soutenir l’implication des Etats-Unis dans le conflit, ce qui provoqua une levée de boucliers féroce et la perte progressive de ses soutiens dans les milieux ouvriers anglo-américains. Quelques années plus tard, la création du parti communiste ne fut pas plus heureuse, la faute à des choix stratégiques hésitants et à l’incapacité d’adapter leur doctrine au contexte socio-économique de l’époque.

De cette période, les Socialistes-Démocrates restent aujourd’hui les plus francs héritiers. Renforcés par certaines figures de la gauche contestataire des décennies 60 et 70, ils ne sont aujourd’hui que quelques milliers de membres et peinent à se démarquer sur la scène américaine. Dans les années 80, le révérend Jesse Jackson, candidat aux primaires démocrates en 84 et 88, avait tenté de relayer certaines de leurs idées radicales par le mouvement « Rainbow coalition ».

Les raisons d’un échec

En réalité, la défaite du socialisme américain n’est pas due aux différentes causes qui ont jalonné son histoire, mais de leur combinaison toutes ensembles. Dans un article important, le sociologue Göran Therborn a théorisé l’ensemble des facteurs susceptibles de détruire ou renforcer l’influence d’une classe ouvrière en société. Or, on constate que la majorité des premiers critères cités dans son étude sont intervenus à un moment ou un autre dans l’histoire américaine.

Sur le plan politique, l’une des explications les plus souvent avancées est la répression subie par les représentants socialistes. Un argument en définitive assez faible en regard de l’hostilité dont les partis européens ont été victimes à la même époque, comme le SPD allemand sous tutelle d’une législation d’exception entre 1878 et 1890. A la différence que la répression vécue aux Etats-Unis fut beaucoup plus brutale et résultat en un profond sentiment de démoralisation.

Le système fédéral, basé sur un modèle à deux partis protégés par un scrutin d’un seul tour, a aussi été perçu comme un sérieux frein à toute émancipation de forces nouvelles. Dans leur ouvrage « It didn’t happen here » (« Cela n’est pas arrivé ici »), les chercheurs américains Seymour Lipset et Gary Marks décrivent le fédéralisme US comme à « double tranchant ». D’une part, s’il rend complexe la réalisation d’une politique de transformation au niveau national, ses couches infranationales offrent par contre plus d’opportunités pour des formations nouvelles. Des antécédents en Suisse et en Allemagne ont d’ailleurs prouvé que la création d’un parti ouvrier dans un tel contexte était faisable.

Malgré la percée au fédéral de plusieurs forces politiques à plusieurs moments de l’histoire, aucune n’est réellement parvenue à faire trembler l’hégémonie du bipartite républicains / démocrates. Ceux-ci n’ont évidemment pas perdu l’occasion de capitaliser sur l’adhésion des classes ouvrières qui, contrairement à l’Europe, n’ont pas dû revendiquer longtemps l’obtention du suffrage universel, présent pour les hommes depuis 1820.

Enfin, le parti socialiste s’est longtemps rendu coupable de racisme envers la population noire, dont les droits n’ont été défendus que tardivement.

Autant de contraintes au sein d’un contexte sociopolitique et culturel exigu qui n’ont jamais permis au modèle socialiste de s’imposer de manière durable. Une insertion plus intelligente dans les milieux syndicaux voire une « captation » des grands partis grâce au système des primaires auraient pu représenter de possibles solutions, selon Lipset et Marks.

Et aujourd’hui ?

Après des générations de rendez-vous manqués, la présence de Bernie Sanders dans la course à la présidentielle pourrait-elle marquer cette fameuse « captation » de l’électorat démocrate ? Tout dépendra jusqu’où ce socialiste « pur jus » peut aller dans une campagne encore pleine d’obstacles et d’incertitudes. Mais de l’aveu du candidat et de son camp, leur croisade ne doit pas être vue comme une finalité, mais bien comme le renouveau d’un mouvement que l’on croyait révolu.

Guillaume Alvarez

Source : Mediapart

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