Nigel Farage © REUTERS

Six questions sur le séisme politique britannique : « Les électeurs sont les véritables perdants »

Naomi Skoutariotis
Naomi Skoutariotis Journaliste pour Knack.be

Le rôle politique de David Cameron? « Over and out. » Boris Johnson ? « Politiquement mort. » Nigel Farage? « Fuit ses responsabilités ». Six questions au professeur en sciences politiques Steven Van Hecke (KULeuven) au sujet de la démission de Nigel Farage et des autres conséquences du séisme politique au Royaume-Uni.

Pourquoi Nigel Farage, le président du UKIP, démissionne-t-il au lieu de terminer ce qu’il a commencé ?

Steven Van Hecke: Il déclare que c’est pour passer plus de temps avec sa femme et ses enfants. Si c’est vraiment la raison, il aurait pu annoncer avant le référendum qu’il démissionnerait en cas de résultat positif.

Quelqu’un qui mène une campagne aussi gigantesque que celle du Leave, donne l’impression qu’il se préoccupera aussi du résultat. Or, ce n’est clairement pas le cas de Boris Johnson et manifestement pas de Nigel Farage. Il fuit ses responsabilités. Les électeurs qui se sont laissé convaincre par Farage de voter Leave restent sur le carreau et sont les plus grandes victimes.

Les raisons de sa démission ne sont pas claires: non seulement il continue à siéger au parlement européen, mais il a également proposé de conseiller les autres pays qui souhaitent sortir de l’Union européenne. Aussi sa démission n’est-elle pas très conséquente.

Je la vois plutôt comme une fuite de la situation politique au Royaume-Uni et probablement aussi de son parti. Il cherche un remplaçant. Le UKIP est en fâcheuse posture : plus grand parti aux élections européennes de 2014, il a perdu un de ses deux sièges un an plus tard aux élections britanniques. Farage avait démissionné, avant de revenir sur sa décision quatre semaines plus tard. On verra si cette fois encore, il reviendra. Il est évidemment difficile de remplacer une telle figure de proue, et particulièrement dans les débats politiques.

Le premier ministre sortant David Cameron et Farage s’effacent, l’ex-maire de Londres Boris Johnson s’est fait rembarrer et la position du président du parti Labour chancelle. Se trouvent-ils sur un navire qui coule ?

Leur position a changé depuis le referendum. Cameron démissionne simplement parce qu’il a perdu. Ses adieux sont compliqués par le fait qu’il faut beaucoup de temps pour choisir un nouveau leader conservateur.

Au sein du parti Labour, le chaos était quelque peu prévisible : le parti était partagé sur le Brexit et ils n’ont pas fait campagne pour ce résultat. S’il s’avère que les électeurs traditionnels d’un certain âge et peu qualifiés ont voté Leave alors que la ligne officielle du parti était Remain – et on sait que Corbyn n’était qu’un tiède défenseur de l’adhésion à l’UE -on aura un problème de parti politique interne.

Boris Johnson et Nigel Farage sont une autre paire de manches parce qu’ils ne doivent pas assurer la cohésion d’un parti, même s’ils figurent parmi les gagnants. On s’attendrait à ce qu’ils mettent la main à la pâte et assurent le résultat. Ce n’est pas le cas.

Y a-t-il encore un rôle pour eux en politique britannique ?

David Cameron reste parlementaire, c’est ainsi que fonctionne le système britannique. On verra s’il ira encore beaucoup. Je pense que son rôle politique est over and out. Il ferait probablement mieux de se plonger dans la vie d’entreprise ou le circuit américain de conférences.

Boris Johnson ne peut se permettre de nouvelles lubies et souffre d’un problème de crédibilité. On suggère qu’il est un Comeback Kid, mais je pense que lui aussi est politiquement mort.

Nigel Farage pourrait disparaître officiellement de la scène britannique, mais la discussion Brexit reviendra. Dès que les Britanniques devront négocier avec le reste de l’Union européenne, Farage sera au premier rang, dans tous les sens du terme, pour critiquer les Britanniques ou Bruxelles depuis le parlement européen.

Ces derniers jours, les médias britanniques évoquent d’éventuelles élections anticipées. À qui appartient cette décision ?

Autrefois, c’était le privilège du premier ministre: ce dernier avait le droit d’annoncer des élections anticipées à tout moment. Hormis la reine, il ne devait consulter personne. La donne a changé.

Sous pression des Liberal Democrats – avec qui Cameron avait formé un gouvernement de coalition de 2010 à 2015 – on a instauré le parlement de législature. Cela signifie que le parlement doit finir ses cinq ans et qu’il n’est plus aussi facile d’annoncer des élections anticipées.

C’est pour cette raison qu’il fait une motion de censure constructive, comme chez nous. Le gouvernement démissionne et ensuite le parlement doit tenter de monter un nouveau gouvernement. S’il échoue et que deux tiers des parlementaires optent pour des élections, elles auront lieu.

Cela signifie donc qu’outre le Parti conservateur, le Labour aussi doit donner son consentement. Comme beaucoup de parlementaires Labour ne veulent pas de nouvelles élections sous le président de parti Jeremy Corbyn, elles sont loin d’être certaines. Mais en cas de nouvelles élections, on se retrouve dans une nouvelle situation. Chacun peut alors adopter de nouvelles positions et un deuxième referendum n’est pas improbable.

Il n’est donc toujours pas certain que les Britanniques sortent effectivement de l’Union européenne?

En principe si, mais tant que les Britanniques ne le notifient pas officiellement à Bruxelles, on ne peut entamer le processus. Et si on ne le démarre pas, on ne peut le terminer.

Si après deux ans on n’a pas d’accord, les Britanniques peuvent s’en passer. Ce n’est pas certain à 100%, mais j’estime que c’est probable. Je m’attends aussi à ce que si Theresa May devient premier ministre, elle le mette en oeuvre. Dès qu’on connaîtra les deux candidats ultimes du Parti conservateur, leur campagne dévoilera leurs plans.

Quelqu’un sortira-t-il gagnant de ce referendum?

Le Parti Conservateur est le gagnant provisoire. Pour lui, le Brexit est une bonne chose, parce qu’il est partiellement débarrassé du perturbateur David Cameron. Les véritables perdants, ce sont les électeurs.

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