D'ici à quelques jours, Sebastian Kurz deviendra le plus jeune chef d'Etat ou de gouvernement au monde. © H.-P. BADER/REUTERS

Sebastian Kurz, le « Mozart de la politique »

Le Vif

Deux décennies après leur alliance avec la droite populiste, les conservateurs, emmenés par Sebastian Kurz, retentent le diable. Mais comparaison n’est pas raison…

Méfions-nous des apparences : avec le trentenaire Sebastian Kurz, l’Autriche aurait, dit-on, propulsé un novice au sommet de l’Etat. Un novice, vraiment? A 31 ans, le futur chancelier de cette république de 8,7 millions d’âmes cumulera bientôt vingt années d’expérience ! Engagé en politique depuis l’âge de 14 ans, il intègre officiellement le parti conservateur (ÖVP, Österreichische Volkspartei, Parti populaire autrichien) à 17, devient leader des jeunes peu après ses 20 ans, membre du comité directeur à 25, entre au gouvernement au même âge (au poste de secrétaire d’Etat à l’Intégration), puis devient ministre des Affaires étrangères en 2013 à 27 ans sonnés, un poste d’où il supervisera la crise des migrants de 2015, qui aura été au coeur de la campagne électorale menant aux élections du 15 octobre dernier.

 » A chaque étape, la presse a critiqué sa jeunesse… et à chaque fois, il a rempli sa fonction avec brio « , s’enthousiasme dans un français parfait son aîné et collègue de parti Andreas Khol, 76 ans, candidat conservateur à la présidentielle de 2016. Vainqueur d’un blitzkrieg au sein de son propre parti qui lui a donné le pouvoir au printemps dernier, Kurz, dans la foulée, provoque les élections générales anticipées, les remporte et, d’ici à quelques jours, il deviendra le plus jeune chef d’Etat ou de gouvernement au monde, sitôt son cabinet approuvé par le président autrichien, l’écologiste Alexander Van der Bellen. Un talent si précoce ne surprend guère les Autrichiens : Mozart n’avait-il pas 6 ans lorsqu’il composa ses premières oeuvres ?

Du « Macron dans cet homme-là »

 » En dehors de Vienne (ville traditionnellement de gauche), les gens des campagnes, notamment ceux de la génération de mes parents, sont enchantés de voir un jeune homme faire la nique aux caciques viennois, dont les chamailleries politiciennes paralysent le pays depuis une décennie dans le cadre d’une grosse Koalition à l’allemande (droite et gauche gouvernent ensemble depuis 2007) « , remarque Georg Gassauer, spécialiste des migrations et chercheur au Liechtenstein Institute for Self-Determination. Attablé au Café central, autrefois fréquenté par Sigmund Freud, le quadragénaire ajoute :  » Kurz bouscule la vie politique à une vitesse incroyable.  » Un diplomate européen renchérit :  » Il y a du Macron dans cet homme-là : incontesté dans son camp, il rajeunit son parti, le féminise, l’ouvre à la société civile. De plus, cet anglophone est très à l’aise à l’international.  »

Reste à séduire le reste de l’Europe. Une tâche délicate, même pour ce  » Mozart de la politique  » qui s’apprête à gouverner avec Heinz-Christian Strache (les modalités de la coalition de gouvernement sont en cours de négociation), qui n’est autre que le leader du sulfureux FPÖ (Freiheitliche Partei Österreichs, Parti de la liberté d’Autriche), formation populiste classée à l’extrême droite et arrivée en troisième position lors du scrutin d’octobre, avec 26 % des voix. En 2000, une alliance identique avait propulsé le FPÖ, alors dirigé par le très droitier Jörg Haider, au gouvernement. Cela avait débouché sur une crise sans précédent en Europe, les autres pays de l’Union multipliant les sanctions contre l’Autriche.

Aujourd’hui, toutefois, tout a changé : 2017 n’est pas 2000. Avec Viktor Orban au pouvoir à Budapest (Hongrie), le parti Droit et justice (PiS) de Jaroslaw Kaczynski à Varsovie (Pologne) ou encore Andrej Babis, le  » Trump tchèque « , et sa formation élus à Prague voilà deux semaines, Heinz-Christian Strache passe davantage pour un modéré que pour un épouvantail fasciste. Ardemment désireux de gouverner à l’approche de la cinquantaine, il a d’ailleurs mis beaucoup d’eau dans son Grüner Veltiner.  » Depuis le Brexit, par exemple, il n’évoque plus l’Öxit (sortie de l’Autriche de l’UE), mais se contente de dire qu’il faudrait seulement sortir de l’Union dans le cas où la Turquie y entrait « , note Otmar Lahodynsky, journaliste à Profil, un hebdomadaire de centre gauche.

Fausses pages Facebook

Heinz-Christian Strache s’emploie depuis plus de dix ans à dédiaboliser son parti.  » Il s’est rendu plusieurs fois en Israël, y compris au mémorial de Yad Vashem « , reprend, dans son salon, le distingué conservateur en costume trois-pièces Andreas Khol. Un conseiller du parti conservateur qui a suivi tous les candidats en meeting ajoute :  » Dans ses discours, Strache a été le seul à s’adresser spécifiquement à l’électorat juif, notamment pour l’assurer de sa fermeté contre les nouvelles formes d’antisémitisme venues du Proche-Orient.  »

A l’inverse, les sociaux-démocrates ont le plus abaissé le niveau du débat politique. Avant les élections, le chancelier sortant et candidat Christian Kern n’a pas hésité à recourir aux services d’un expert israélien en dirty campaign (en campagne  » sale  » ou  » de dénigrement « ), lequel lui a conseillé de produire deux fausses pages Facebook dont l’objectif était d’atteindre l’honorabilité de Sebastian Kurz, en le faisant passer pour un antisémite. Feignant l’indignation, les sociaux-démocrates entendaient ainsi adopter la posture de politiciens vertueux. Mais la machination a été déjouée. Et la gauche, battue.

A Vienne, les plaidoyers pro-Strache viennent parfois de là où on les attend le moins.  » Le FPÖ est certes un parti populiste, avec des éléments de droite (en matière sociétale) et de gauche (dans le domaine économique), mais c’est un parti démocratiquement élu « , insiste par exemple le social-démocrate Josef Cap, qui vient de perdre son fauteuil de député. Et de rappeler une donnée largement ignorée dans le reste de l’Europe : de 1983 à 1987, le parti populiste FPÖ participait au gouvernement dans une coalition avec les sociaux-démocrates. Ce n’est qu’ensuite, du fait de la personnalité de M. Haider, que le parti est devenu infréquentable.

En quelque sorte, les choses sont donc aujourd’hui revenues à la normale. Au niveau des Länder (régions), le FPÖ est d’ailleurs présent dans plusieurs coalitions gouvernementales, non seulement aux côtés des conservateurs, mais également, dans le Burgenland (dans l’est du pays), en appoint… des sociaux-démocrates ! Au niveau national, alors que le FPÖ était tombé à 10 % voilà une quinzaine d’années, il est remonté à son niveau de 1999 : 1 Autrichien sur 4 a voté pour lui. L’année dernière, le candidat du FPÖ Norbert Hofer, 46 ans, a même failli remporter la présidentielle, échouant d’un cheveu.  » En réalité, ceux qui reprochent à M. Kurz de s’allier avec M. Strache ignorent qu’il n’existe pas d’autre option, et, surtout, devraient lui dire merci, martèle Andreas Khol. Ils oublient que, voilà un an, l’Autriche était sur le point d’avoir un président FPÖ, et que M. Strache, du même parti, semblait assuré de devenir le prochain chancelier. On doit au talent de Kurz d’avoir renversé la vapeur.  » Un surdoué, on vous dit !

Par Axel Gyldén.

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