La récolte en milieu naturel est réglementée par les autorités néerlandaises et soumise aux aléas de la nature. © THIERRY DU BOIS//REPORTERS

Saviez-vous que nos 30 000 tonnes de moules de Zélande provenaient d’une même rue ? (Reportage)

Le Vif

Et elles passent par une criée unique au monde. Bienvenue à Yerseke !

 » Les sept négociants les plus importants des moules de Hollande ne sont pas basés dans la même province, dans la même ville ou dans le même quartier. Ils sont tous installés dans une même impasse ! « , s’exclame Olivier Camelot. un Lillois qui travaille depuis plus de vingt ans pour la société Delta Mossel. L’impasse, c’est la Korringaweg à Yerseke, en Zélande, aux Pays-Bas. Les camions y chargent les cargaisons sous les drapeaux de couleur et les enseignes pétaradantes. C’est un bout de foire du Midi qui s’invite à prendre un bol d’air iodé. Longeant la mer, la Korringaweg aligne sur un kilomètre les façades des sociétés Delta, Prins & Dingemanse, Aqua (Barbé), Qualimer (Vette & Verhaart bv), Zeeland’s Roem, Triton et Premier. Sept sociétés qui fournissent chaque année l’essentiel des 30 000 tonnes de moules englouties par les Belges. La majeure partie est produite aux Pays-Bas et une production de l’étranger complète l’offre. Direction de la marchandise : les Delhaize, Aldi, Cora, Match, Champion, Colruyt, Albert Heyn, Spegelaere et autre Carrefour belges qui vendent les moules majoritairement sous leur marque commerciale.

A Yerseke, la vie tourne autour de la moule.
A Yerseke, la vie tourne autour de la moule.© FRANK VAN BEEK/BELGAIMAGE

La raison de ce regroupement de négociants dans une même rue ?  » Il faut regarder l’histoire, répond Martijn van der Sluijs, manager communication pour Prins & Dingemanse. Nous sommes ici depuis 1880. Nos collègues aussi. La région était déjà orientée vers la production de mer. En 1953, après des inondations, les autorités ont fabriqué une digue et amorcé le plan Delta, contre la montée des eaux. Impossible d’y cultiver encore la moule. Mais à Yerseke, village de la commune de Reimerswaal, la résistance s’est organisée et on a maintenu notre accès à la mer.  »

Cet accès, c’est la clé. Parce que, hors de l’eau, les moules vivent au mieux une semaine. Pas question de les entreposer dans des hangars. La solution est donc assez simple : les laisser dans la mer. Chaque jour, les bateaux des entreprises collectent dès lors les stocks déposés en fond de mer en fonction des commandes. Ces  » entrepôts  » humides sont situés à environ trente minutes de la Korringaweg, tandis que les parcelles de croissance, où les jeunes moules grandissent jusqu’à obtenir une taille commerciale, se trouvent à trois heures de navigation. Ces stocks mytilicoles sont tapis dans les eaux de l’Escaut oriental, qui n’est pas celui qui mène à la Belgique.  » Notre eau est la plus claire d’Europe, promet Izak Vogelaar, échevin de la pêche et du tourisme pour la commune de Reimerswaal. Vous pouvez en tirer un flacon d’eau, elle sera aussi claire que si elle venait du robinet.  » Et quand on lui demande si Yerseke est appelé à devenir un des hotspots de Zélande, sa réponse fuse :  » Ce n’est pas un des lieux importants, c’est le lieu touristique de la région. La parfaite combinaison entre coquillages, pêche et tourisme. En quatre ans, on est passé de 50 000 à 150 000 visiteurs !  » La mission de l’échevin est de gonfler encore plus ces chiffres en encourageant les investissements privés, notamment dans l’hôtellerie. Aujourd’hui et selon les estimations, un habitant de Yerseke sur trois ou quatre serait concerné par le business du mollusque bivalve.

Les sept négociants les plus importants des moules de Hollande sont tous installés dans une même impasse.
Les sept négociants les plus importants des moules de Hollande sont tous installés dans une même impasse.© JULIUS SCHRANK/BELGAIMAGE

Croix et mollusque

Il est vrai qu’à Yerseke, dans ce patelin au protestantisme très conservateur, avec ses maisons aux vitrines de prostituées qui révèlent des intérieurs bourgeois, la vie tourne autour de la moule. Les restaurants annoncent le mollusque à coups d’affiches, le club de foot est sponsorisé par un négociant mytilicole, et un musée de l’huître et de la moule jouxte l’église du village. Truus Vancauteren, la soixantaine guillerette, assure en anglais la visite du musée qui tient sur deux pièces.  » Les touristes sont très importants. A 80 %, ce sont des Belges. Le reste, des Allemands et des Hollandais.  »

Le tourisme de Yerseke fonctionne donc surtout avec les Belges. Tout le business marche d’ailleurs avec les Belges.  » La moule de Zélande est la vraie moule pour la Belgique, avance Olivier Camelot de DeltaMossel. Elle est généreuse en taille, on ne passe pas deux heures à décoquiller une casserole.  » Cela étant, la moule de Zélande ne vient pas vraiment de Zélande (un premier paradoxe de la moule). La quasi totalité est pêchée dans la mer des Wadden, au nord des Pays-Bas. Un biotope riche et diversifié, en partie protégé par l’Unesco, qui accueille des nids de larves de moules (appelées naissains) qui sont récoltées par les pêcheurs et vivent leur croissance soit dans les eaux de Wadden soit en étant expédiées près de Yerseke.

La récolte en milieu naturel est réglementée par les autorités néerlandaises. Début 2000, elles ont décidé que cette pêche miraculeuse sera interdite purement et simplement à partir de 2020. Aux producteurs de récolter les larves via d’autres techniques (notamment la méthode des cordes suspendues). Autant dire que l’idée (et les écologistes qui vont avec) est peu appréciée en Zélande. La famille Dhooge, qui pêche la moule et l’huître depuis plus d’un siècle, s’adapte. Son commerce à front de port propose des huîtres en bacs sous eau claire, des casseroles, des parapluies, des décorations (gerbes de moules en plâtre), des livres et même des colliers de moules. La famille développe également le commerce d’huîtres et se montre inventif dans la promotion avec la création d’un centre d’informations sur les pratiques des mytiliculteurs.

Si Gerrie (36 ans) est sur le pont du bateau depuis son plus jeune âge et gère la petite flotte de trois navires, c’est Jean (31 ans) qui, sur la terre ferme, suit le développement commercial de l’entreprise familiale en diversifiant les ressources.  » Aujourd’hui, nous produisons sur moins de parcelles avec moins de naissains. La nature change, elle est plus extrême, les tempêtes sont plus fréquentes et les bancs de sable qui protégeaient les moules tendent à s’aplatir.  » La récolte du bateau de Gerrie passera inévitablement par la Nederlandse Mosselveiling, la seule et unique criée au monde dédiée aux moules.

« Un arrangement des prix de la moule ? Improbable », selon Nico van Zantvoort, manager de la criée.© OLIVIER BAILLY

Paradoxes et charme de la moule

Dans ce bâtiment, quelconque, en bord de port, les pêcheurs de moules, une soixantaine, viennent proposer leur cargaison une fois celle-ci arrivée à maturité. Les employés de la criée mesurent le volume du lot, puisent au hasard un seau de 2,5 kilos et analysent quantativement l’échantillon. Taille, densité de la chair et des déchets sont mesurés. Les moules sont également cuisinées pour fournir un critère important : la couleur du mollusque prêt à la dégustation. Si la chair est trop rouge, les acheteurs ne se bousculeront pas.

Arrive enfin la criée, lors de laquelle plus personne ne crie (deuxième paradoxe de la moule). Au son de la cloche, le candidat acquéreur signale son prix et l’adjudication des lots proposés se fait par ordinateur interposé. Le vendeur déchargera alors ses moules dans la parcelle marine de l’acheteur. Sur l’écran de la criée, seul le meilleur prix, celui qui rafle la mise, est affiché. Ce qui fait dire à Olivier Camelot qu’ « on sait toujours à quel point on a été radins, mais jamais à quel point nous fûmes trop généreux « .

C’est un peu vite dit… Avec sept acteurs côte à côte, s’organiser pour fixer un prix ne serait pas trop difficile. Arrangement peu probable pour Nico van Zantvoort, le manager de la criée.  » Nous vérifions les prix et les réajustons si nécessaire. Il y a un manque constant de moules et ils en ont tous besoin.  » L’idée de cartel amuse Olivier Camelot :  » Quand on sera deux, peut-être. Mais avec la logique industrielle, la nécessité de volume, il nous faut des clients. Et donc les prendre à la concurrence.  » Martijn van der Sluijs, lui, est moins enjoué à l’évocation d’un arrangement de prix :  » Ça m’énerve qu’on dise ça parce qu’on est côte à côte. Regardez les prix des dernières années ! On perd de l’argent. C’est ça, un cartel ?  »

Olivier Camelot, de DeltaMossel, devant le monument dédié aux pêcheurs de moules de Yerseke.
Olivier Camelot, de DeltaMossel, devant le monument dédié aux pêcheurs de moules de Yerseke.© OLIVIER BAILLY

Sur ces quatre dernières années, la tonne de moules (soit… 100 kilos, reliquat de l’unité de mesure  » tonneau  » de moule ; la tonne à 100 kilos, troisième paradoxe de la moule) a été vendue en moyenne à 205 euros, 110, 104 puis 83 euros.  » Les prix sont bas mais chaque saison est différente en qualité et en quantité, assure Nico van Zantvoort. Les producteurs travaillent avec la nature. Il n’y a donc jamais de garantie. Les températures, la glace, la tempête sont autant de facteurs incontrôlables. C’est tout le charme de la moule.  »

Le 20 septembre dernier, quand Nico a levé le nez au ciel, il a ainsi senti venir le désastre. Une tempête a frappé les côtes hollandaises.  » Aussi tôt, aussi puissant, c’était exceptionnel.  » Résultat : un fatras pas possible sur le sol marin. Les tapis de moules avaient été balayés ou enfouis sous le sable.  » On s’est rendu compte des dégâts les jours suivants, quand des pêcheurs avaient des difficultés pour récupérer leur stock. Entre 25 et 35 % du volume total a disparu.  »

Ce genre de claque, les producteurs tentent de les esquiver notamment en allongeant la saison. Fini la logique de grand-mère et des mois en  » r  » liés à la fraîcheur du produit. Aujourd’hui, c’est moules-frites tout l’année ! La saison est ouverte par les moules de corde (ce type de culture permet d’obtenir des moules plus tôt). Les producteurs  » classiques « , dont les moules sont élevées sur fonds marins, prennent le relais fin juin jusqu’en avril. Une partie de la production vient de l’étranger et est achetée de gré à gré ; le mois de mai pouvant être comblé, pour ceux qui ne peuvent vraiment pas attendre, par des moules d’ailleurs. Car même pour les produits de la nature, vendus sans la moindre intervention humaine, il n’y a plus de saison. Quatrième et dernier paradoxe de la moule.

Par Olivier Bailly.

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