Tempéraments. L'ancien chef de l'Etat français ne froisse jamais les électeurs tentés par le FN, espérant rallier leurs voix. L'ex-Premier ministre, lui, peine à leur parler, car il ne les comprend pas. © C.Triballeau/AFP

Sarkozy et Juppé contre le FN : des méthodes radicalement opposées

L’affrontement sur l' »identité heureuse » l’atteste : Alain Juppé et Nicolas Sarkozy adoptent des méthodes radicalement opposées face à l’extrême droite. Qui a raison ? C’est l’une des clés de la primaire de novembre.

C’est peut-être un détail pour lui, mais, pour eux, ça veut dire beaucoup. Lui, c’est Alain Juppé. Eux, ce sont les électeurs de droite. Juin 2014 : l’ancien Premier ministre accède, au sein d’un triumvirat qu’il compose avec François Fillon et Jean-Pierre Raffarin, à la direction provisoire de l’UMP. Il fixe les objectifs : sa charge contre le Front national arrive alors… avant la dénonciation de la présidence Hollande. Ne dites pas que ce garçon était fou – pas le genre de la maison. Mais c’est ainsi : dès qu’il s’agit de l’extrême droite, Alain Juppé le rationnel laisse parler ses tripes.  » Sa phobie du FN est l’un de ses aiguillons, et c’est précisément parce qu’il est un rationnel qu’il n’arrive pas à comprendre que des gens se laissent bercer par les formules du FN, ça le rend dingue, observe sa première adjointe à la mairie de Bordeaux, Virginie Calmels, qui ajoute : S’il est élu et qu’à un moment il fléchit, je lui dirai que son successeur s’appellera Marine Le Pen. La seule menace de cette perspective le poussera à agir.  »

22 août 2016. Nicolas Sarkozy annonce sa candidature à l’élection présidentielle, donc à la primaire de la droite. Marine Le Pen se plaît à rester silencieuse, ne tweetant ce jour-là qu’un article sur l’économie britannique après le Brexit. Elle a déjà dit son souhait d’affronter Juppé,  » l’inverse de ce que je suis « . Du coup, ses lieutenants se déchaînent contre l’ancien président. Lequel prend toujours soin de souligner son statut de cible n° 1 du FN, mais de ne jamais insulter ni même froisser ses électeurs.

Sarkozy : une stratégie cohérente, mais pas forcément efficace

Des tempéraments différents pour des stratégies opposées : les deux favoris de la primaire joueront – notamment – la victoire en novembre sur leur attitude face à l’extrême droite et aux vents du populisme. Tenter d’être le héraut de la  » France angoissée  » ou se vouloir le chantre de l' » identité heureuse  » : quelle est la bonne méthode ? Celle de Nicolas Sarkozy n’est pas nouvelle. Entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2012, à rebours de la tradition selon laquelle un chef de l’Etat sortant mène pendant deux semaines une campagne rassembleuse de père de la nation, il ne recule devant rien pour parler à la droite de la droite : il exploite au maximum la proposition socialiste d’accorder le droit de vote aux étrangers pour les élections locales et diffuse un clip sur l’immigration qui choque jusqu’à ses fidèles. A l’arrivée, il perd, mais – autre nouveauté dans l’histoire de la Ve République française – fait mentir les sondages réalisés au soir du premier tour, avec un score beaucoup plus serré que prévu (48 %, quand les enquêtes du 22 avril ne lui promettaient que de 44 à 46 % des voix).

Au lendemain des attentats de janvier 2015, lorsqu’il est, en pleine union nationale, le premier à exiger des mesures de renforcement de la sécurité, il persiste et signe. Ce qui n’échappe pas au meilleur observateur de la vie politique française (qui se trouve être par ailleurs chef de l’Etat et le reçoit en tête à tête) :  » Je comprends qu’il veut faire un coup politique, ne pas laisser récupérer le sujet par d’autres et notamment par le Front national, relève François Hollande dans les très instructives Conversations privées avec le président, d’Antonin André et Karim Rissouli (Albin Michel). Je pressens qu’il pense que la présidentielle se fera sur la question de l’islam, le vivre-ensemble, pas sur l’économie. Donc il veut préempter le sujet sans attendre.  »

Sur la thématique identitaire, les convergences entre les électorats de droite et d’extrême droite facilitent la démarche de Nicolas Sarkozy. Dans Tout pour la France (Plon), il coche toutes les cases. Selon l’enquête Ipsos de 2016 sur les fractures françaises, 76 % des sympathisants les Républicains (LR) et 99 % de ceux du FN estiment qu' » il y a trop d’étrangers en France « . Fort de son antériorité sur la proposition de réformer Schengen, l’ancien président écrit :  » Il nous faudra réduire drastiquement le nombre d’étrangers que nous aurons à accueillir chaque année.  » Et dégaine sa proposition emblématique : la suspension du droit au regroupement familial. Ils sont 73 % parmi les électeurs LR et 98 % au FN à considérer que,  » aujourd’hui, on ne se sent plus chez soi comme avant « .  » Dans certains de nos quartiers, les habitants ont parfois le sentiment de ne plus être en France « , note le candidat. Qui réitère son opposition aux  » repas de substitution « . Cela tombe bien,  » il n’est pas normal que les cantines scolaires servent des plats différents selon les convictions religieuses des élèves  » pour 86 % des sympathisants LR et 90 % de ceux du FN. Ils sont aussi nombreux (LR : 84 % ; FN : 95 %) à trouver que  » l’islam cherche à imposer son mode de fonctionnement aux autres « . Page 70 :  » C’est à l’islam de s’adapter à la France, non à cette dernière d’accepter une pratique religieuse radicale parfaitement contraire à nombre de nos principes fondateurs.  » Nicolas Sarkozy en est convaincu :  » Je peux faire baisser le score de Marine Le Pen, alors que si c’est Alain (Juppé) et Bayrou…  » confiait-il pendant l’été, persuadé que des électeurs du FN participeront à la primaire.

Si sa stratégie est cohérente depuis la seconde moitié de son quinquennat, rien ne prouve à ce jour qu’elle soit efficace. Car il y a un vice dans le raisonnement de Sarkozy-meilleur-rempart-contre-le-FN, si vrai en 2007 : en 2012, à l’issue de son mandat, Marine Le Pen récolte 6,4 millions de voix, soit près de 18 %. Le meilleur score de l’extrême droite jusque-là datait de 2002, quand son père atteignait le second tour avec 4,8 millions de voix.

Sur la sécurité ou l’immigration, le projet du maire de Bordeaux ne diffère pas toujours de celui de son rival, malgré de grosses nuances et un ton très différent. Sur l’islam, en revanche, l’écart est considérable.

Juppé : le cercle de la raison pour lutter contre le populisme

Alain Juppé n’entend pas le combler en renonçant à ses convictions.  » Il y a des moments dans la vie politique où ce que tu es est plus important que ce que tu dis « , avance un proche.  » Il a effectué un choix structurel : ce n’est pas en courant derrière le FN qu’on gagne une élection, complète le député Benoist Apparu. Il n’y a pas de différence entre Sarkozy et lui dans la haine du FN, mais le premier est convaincu que c’est en allant sur ses frontières qu’on le fait baisser, le second pense simplement le contraire.  »

Dans sa ville de Bordeaux, il faut à Alain Juppé une loupe pour scruter les résultats du Front : 8 % à la présidentielle de 2012, 6 % aux municipales de 2014. Il parle moins spontanément à l’électorat d’extrême droite que ne s’y essaie Nicolas Sarkozy.

L’économiste Alain Minc, aujourd’hui partisan d’Alain Juppé, explique l’importance du choix entre les deux favoris de la primaire dans la lutte contre le populisme (Les Echos du 22 août) :  » On ne peut pas mettre sur le même plan une défaite de Mme Le Pen à 45 % au second tour de la présidentielle contre Nicolas Sarkozy, comme le disent les sondages, ou une défaite à 30 % contre Alain Juppé. La différence étant que la gauche ne votera pas pour Sarkozy. A 45 %, le Front national reste uni.  » L’argument est cartésien. Mais Descartes ira-t-il voter les 20 et 27 novembre ?

Par Éric Mandonnet.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire