© Alison Rosa/Albin Michel

Sahar Delijani: « Avec cette jeunesse, le statu quo est impossible en Iran »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Auteur d’un premier roman sur les enfants séparés de leurs parents emprisonnés pour raisons politiques après la révolution de 1979, l’auteur iranienne estime que le régime de Téhéran « est déjà battu culturellement ».

Résidant aujourd’hui en Italie, l’Iranienne Sahar Delijani explore dans son premier roman, Les Jacarandas de Téhéran (*), un pan méconnu de la révolution de 1979: le sort des enfants nés en prison et arrachés à leurs parents victimes d’une répression qui permit de faire place nette pour les ayatollahs. Entre 4 000 et 5 000 jeunes hommes et femmes furent exécutés entre juillet et août 1988, un crime occulté par la fin de la guerre Iran-Irak. Malgré les souffrances vécues, Sahar Delijani offre un beau et grand roman sur la vérité (dans un Iran où « la réalité inexorable, sans pitié vous submerge », faut-il taire ou révéler la mort d’un père assassiné en opposant politique?) et sur le parcours de femmes « qui se débattent avec quelque chose de beaucoup plus grand qu’elles ». Une ode à la liberté et au courage. Interview avec Sahar Delijani sur l’Iran d’hier et d’aujourd’hui.

Levif.be: Pourquoi avez-vous ressenti le besoin d’écrire ce livre?

Sahar Delijani: Je me suis rendu compte que j’étais assez obsédée par cette période. Pas seulement parce que c’est une expérience douloureuse pour mes parents. Mais surtout parce que c’est une période très importante dans l’histoire iranienne. C’est un temps où la dictature s’est vraiment installée en Iran. Au début de la révolution, il y avait une sorte de tolérance politique. En 1983, tout a changé. Parler de cette période aide à comprendre le présent de l’Iran.

Cette question des enfants nés en prison et séparés de leurs parents pendant cette période de répression est-elle connue des Iraniens?

Pas tellement. Au moment de la vague d’exécutions en 1988, l’Iran vit la dernière année de la guerre avec l’Irak. C’est une période de chaos. L’opportunité est idéale à ce moment-là pour les dirigeants d’éliminer les dissidents. Et puis, le secret a prévalu parce que les gens avaient peur.

Dans votre roman, il y a beaucoup d’allers et retours entre les années 80 et les manifestations démocratiques de 2009. Cela signifie-t-il que rien n’a changé en Iran?

Le système est le même. La classe dirigeante est la même. Mais je pense que la société a complètement changé. Aujourd’hui, garder le secret est impossible, avec Facebook, Twitter… Ma génération est très active sur les réseaux sociaux. Elle ne veut pas garder le silence. Or, en matières de tortures, d’assassinats, l’histoire s’est répétée en 2009 alors que l’on pensait que c’était fini. Cela a été très choquant pour les Iraniens. Ils se sont rendu compte que le régime est redevenu aussi violent que dans les années 80. Cela démontre surtout qu’il a peur.

On a beaucoup cru dans les réformateurs en Europe. Mohammad Khatami, entre 1997 et 2005, Hassan Rohani, aujourd’hui ont été élus à la présidence. Croyez-vous vraiment au pouvoir des réformateurs de changer le régime de l’intérieur ou ne sont-ils qu’une autre face du régime?

Il est possible de changer le régime de l’intérieur. Je ne pense pas que Rohani va changer le pays complètement, comme nous l’avons déjà expérimenté avec Khatami. Parce que le régime est très fort. En même temps, je pense que le régime est déjà battu culturellement. Aujourd’hui en Iran, il y a une explosion de l’art, de la culture, de la musique…, tout ce qui est normalement interdit par le régime. Nous devons aussi arriver politiquement à ce niveau. Avec cette jeunesse active, sophistiquée, éduquée et très curieuse, ils ne peuvent pas maintenir le statu quo. Que les jeunes aient à nouveau voter pour les réformistes, après 4 ans de répression violente sous Ahmadinejad après 2009, signifie qu’ils veulent vraiment les réformes et que le régime n’a pas pu les stopper.

Amnesty International est sévère sur l’absence de progrès en matière de droits de l’homme en Iran depuis l’élection d’Hassan Rohani. Ne craignez-vous une forte désillusion par rapport à la présidence d’Hassan Rohani et de douloureuses conséquences par la suite?

Oui, j’en ai peur. Hassan Rohani a certes changé la perception de l’Iran sur la scène internationale. C’est important. Mais au plan intérieur, la situation reste la même. Il y a 800 prisonniers politiques en Iran. J’espère que le gouvernement va écouter cette jeunesse. J’ai peur qu’après cette expérience, si le statu quo persiste. Ce sera très difficile.

Votre roman donne beaucoup de place aux femmes. Sont-elles l’avenir de l’Iran?

Oui. Les femmes du livre sont des révolutionnaires ou des femmes de révolutionnaires. Les femmes ont toujours été centrales pendant la révolution et encore maintenant. Beaucoup d’avocates des droits civils sont des femmes. Soixante pc des étudiants des universités iraniennes sont des femmes…

Votre livre est un très beau roman sur la vérité, occultée ou transmise. Toute vérité est-elle bonne à dire?

Il est toujours important de dire la vérité. On n’a pas le choix; on doit toujours donner l’opportunité à une personne d’affronter la vérité. Quand on cache la vérité à quelqu’un, on l’empêche de réagir.

Entretien: G.P.

(*) Les Jacarandas de Téhéran, Albin Michel, 332 p.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire