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Sabra et Chatila: « Il fallait enjamber les cadavres pour avancer »

Alain Louyot, ancien grand reporter à L’Express et au Point est l’un des premiers journalistes à être entré dans les camps de Sabra et Chatila le 18 septembre 1982. Pour LeVif.be, il se souvient de son effroi devant la sauvagerie avec laquelle, il y a 30 ans, des miliciens phalangistes ont massacré des centaines de femmes, d’enfants et de vieillards du camp de réfugiés palestinien, à Beyrouth.

Alain Louyot, alors grand reporter au Point, est l’un des premiers journalistes à être entrés dans les camps de Sabra et Chatila le 18 septembre 1982. Trois semaines plus tôt, Israël avait pris le contrôle de Beyrouth après deux mois de siège, et l’expulsion des combattants palestiniens de l’Organisation de Libération de la Palestine, sous supervision américaine. Prétextant qu’il restait des combattants palestiniens dans les camps de réfugiés palestiniens, Tsahal, l’armée israélienne, avait envahi Beyrouth-Ouest et encerclé les camps. Après l’attentat qui a couté la vie au président libanais Béchir Gémayel fraîchement élu, le 14 septembre, l’armée israélienne qui occupait le terrain a laissé entrer les miliciens phalangistes chrétiens d’Elie Hobeika à Sabra et Chatila. 800 à 2000 personnes ont été tuées entre le 16 et le 18 septembre.

Quel souvenir gardez-vous de votre entrée dans les camps de Sabra et Chatila ?

J’étais à Beyrouth comme envoyé spécial dans le cadre de l’opération « Paix en Galilée ». Toute la nuit du 17 au 18 septembre, le ciel de Beyrouth avait été illuminé par les fusées éclairantes lancées par l’armée israélienne. On se demandait ce qui se passait.
Le matin du 18, nous étions plusieurs journalistes à essayer d’entrer dans les camps de Sabra et Chatila, mais nous avons été bloqués par des barrages israéliens. Ce n’est qu’en fin de matinée que j’ai pu pénétrer dans les lieux, guidé par un vieux Palestinien à la recherche des siens. J’ai été saisi d’effroi. Il fallait enjamber les cadavres pour avancer. Le sentiment d’horreur était accru par le fait que les victimes étaient pour la plupart des femmes, des enfants et des vieillards souvent atrocement mutilés: pour mémoire les combattants palestiniens de l’OLP avaient été contraints de quitter Beyrouth au mois d’août, sous la surveillance d’un contingent international.
La chaleur était étouffante en ce mois de septembre à Beyrouth et l’odeur des monceaux de cadavres trés vite couverts de mouches était insupportable, ajoutant au caractère dantesque de cette tragédie.
On nous avait recommandé d’éviter de toucher les cadavres de crainte qu’ils ne soient piégés, une pratique qui était alors courante pour faire encore plus de victimes civiles, lorsque les proches venaient ramasser les dépouilles pour les inhumer.
J’ai d’abord essayé de les compter. Il faut imaginer l’enchevêtrement de ruelles, bordées de masures insalubres, pleines de cadavres. Sur les murs de Sabra et Chatila, des graffitis des forces libanaises insultaient les Palestiniens. J’entrais dans les bicoques qui tenaient lieu de maisons aux réfugiés palestiniens.
Au choc de la découverte s’ajoutait l’incompréhension face à la sauvagerie avec laquelle les bourreaux s’étaient acharnés sur leurs victimes: de nombreux corps étaient amputés. Des bébés avaient été mitraillés dans leur berceau. Des femmes à moitié nues avaient du être violées avant d’être abattues.
Je tentais toujours de compter, 300, 400… mais j’ai fini par renoncer ; il y en avait trop.

Comment expliquer un tel acharnement, et l’attitude de l’armée israélienne?

Les auteurs du massacre, des miliciens des Forces libanaises dirigés par Elie Hobeika, auraient agi en représailles à l’assassinat, du président Béchir Gemayel pour commettre ce massacre -alors que l’auteur de cet assassinat était de toute évidence un prosyrien. En fait il s’agissait surtout, une fois les combattants de l’OLP contraints à l’exode, de semer l’épouvante afin de faire fuir les civils palestiniens des camps du Liban. Les Israéliens, eux, ont été au minimum coupables de non-assistance à personne en danger. Ils étaient comme au balcon au dessus de l’horreur. Tsahal, l’armée israélienne, avait un QG de 6 étages qui dominait le camp; des chekpoints entouraient tout le secteur, et Tsahal éclairait le camp. S’ils avaient voulu, ils leur aurait été facile d’arrêter cette boucherie qui a duré plus de 12h. Mais la commission d’enquête Kahane décidée par Begin, s’est contenté de blâmer Ariel Sharon pour n’avoir pas prévu les violences quand Tsahal a laissé entrer les miliciens phalangistes dans les camps.

Propos recueillis par Catherine Gouëset, L’Express

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