© Frederic Pauwel - Huma

Rwanda : « Si nous nous sommes retirés, c’est parce qu’on tuait des Belges »

La divulgation d’un nouveau rapport sur l’attentat contre l’avion du président rwandais Habyarimana, le 6 avril 1994, et qui préluda au génocide, soulève à nouveau les passions. Entretien avec l’ambassadeur Johan Swinnen, à l’aube du 50e anniversaire de l’indépendance du Rwanda.

A la retraite depuis quelques jours, Johan Swinnen a été ambassadeur de Belgique au Rwanda durant les années tragiques (1990-1994) qui ont mené au génocide de la minorité tutsi. Il en a été évacué in extremis, mais le pays des Mille Collines continue de hanter son esprit. Etiqueté CD&V, mais diplomate jusqu’au bout des ongles (« Il est du genre à emporter ses secrets jusque dans sa tombe », explique un de ses collègues), il accepte ici de livrer son analyse.

Le Vif/L’Express : Dix-huit ans après l’attentat contre l’avion du président hutu Juvénal Habyarimana, qui fut le déclencheur du génocide, un rapport français vient d’établir l’origine des tirs de missiles. Ce rapport incriminerait davantage les extrémistes hutu que les rebelles tutsi du FPR, aujourd’hui au pouvoir. Qu’en pensez-vous ? Johan Swinnen : Je serai bref : je ne connais de ce rapport que les extraits qui ont fait l’objet de fuites dans la presse. Et ce n’est jamais qu’un rapport intermédiaire. Extrapoler comme le font certains en désignant déjà les tireurs, c’est inacceptable.

Quelle est votre intime conviction sur cet attentat ?

(Il hésite) Je n’ose me prononcer là-dessus. Les extrémistes hutu, peut-être. Mais je n’exclus pas un scénario machiavélique du FPR, qui aurait considéré les Tutsi du Rwanda comme quantité négligeable. Voulait-il s’emparer de tout le pouvoir ? Comme il était minoritaire, il ne voulait pas entendre parler d’élections, pourtant inscrites dans les accords d’Arusha de 1993. Mon intime conviction est que nous devons avoir le courage de poser les questions et d’y répondre. A plusieurs reprises, j’ai crié mon indignation de voir que la communauté internationale ne faisait pas plus d’efforts pour enquêter sur l’origine de l’attentat. Cela permettrait d’avancer, même si on n’aura pas de réponse à tout, car la réalité est complexe.

Qui fait obstruction ?

Certains disent les Français, d’autres incriminent d’autres acteurs. La meilleure méthode serait une enquête objective et internationalement mandatée. Le problème aujourd’hui, c’est que le débat est tronqué. Quiconque émet une nuance, ou formule une question, se fait vite taxer de révisionniste et de négationniste. J’en ai assez de ces antagonismes plus idéologiques que factuels entre experts, politiques, diplomates, Rwandais ou Européens. A la commission Rwanda (1997), des sénateurs m’ont reproché d’être passé de pro-Tutsi quand j’étais ambassadeur, à pro-Hutu ensuite, pour ne pas trop embarrasser le gouvernement [dirigé par le CVP Jean-Luc Dehaene]. C’est vraiment malhonnête. Je n’ai jamais choisi un camp, si ce n’est celui de la pacification du pays. La commission n’a pas dit un mot là-dessus dans ses conclusions, ce que je regrette.

Le génocide était-il planifié selon vous ?

La question me poursuit. Dans mes rapports début 1994, je n’ai jamais utilisé le terme « génocide ». Par contre, j’ai souvent évoqué le risque d’une déstabilisation tragique, à cause des milices, des distributions d’armes, des ravages causés par la radio RTLM, sans compter la radicalisation liée à l’assassinat en octobre 1993 du président burundais Melchior Ndadaye, premier Hutu à être démocratiquement élu.

Mais comment expliquez-vous alors l’ampleur des massacres ?

La tension était à son comble. Les rebelles du FPR avaient provoqué le déplacement de plus d’un million de personnes, qui vivaient dans des conditions innommables. Ils sont tous tombés dans le piège de la radicalisation et de l’extrémisme. La haine était partagée entre Hutu et Tutsi ! Je suis le seul diplomate à m’être rendu à Mulindi pour dire à Kagame qu’il devait également faire taire sa radio Muhabura, si je voulais avoir des chances de succès dans mes démarches à l’égard de la RTLM. Muhabura était aussi une radio de la mort. Mais, à l’époque, les organisations des droits de l’homme ne cherchaient que d’un seul côté. Mais ne nous trompons pas et ne banalisons surtout pas. Ce sont les extrémistes hutu qui ont commis le génocide. Comment en sont-ils arrivés là ? Quelles ont été les responsabilités du FPR ? Il faut pouvoir poser ces questions.

D’où vient la rumeur que ce sont des Belges qui ont tiré sur l’avion ?

Le plan était sans doute de rendre la Mission de l’ONU (Minuar) impuissante. Pour la décrédibiliser, il fallait en supprimer le maillon fort, à savoir le détachement belge. Le sentiment antibelge avait débuté en 1990, quand Bruxelles, contrairement à Paris, a refusé d’envoyer des armes au Rwanda pour contrer l’invasion du FPR. Certains disent que la rumeur vient des Français. Mais dans le chaos du début, j’avais d’autres choses à faire que d’interpeller mon collègue français. D’ailleurs, les ambassadeurs ne sont plus parvenus à se réunir pour se concerter. Ensuite, on m’a évacué le 12 avril. Depuis lors, je n’ai été invité à m’occuper directement du dossier politique rwandais que de façon sporadique.

Si les Belges étaient restés, auraient-ils pu arrêter le génocide ? Si nous nous sommes retirés, c’est parce qu’on tuait des Belges, dont des civils. Willy Claes m’a hurlé au téléphone que je devais déguerpir, car il ne voulait pas avoir la mort de l’ambassadeur sur la conscience. La Minuar pouvait-elle encore assurer une sécurité dans un contexte où les accords n’étaient plus respectés ? Le retrait du contingent belge était justifié. Mais je peux comprendre l’amertume de certains face au lobbying belge à l’ONU pour un retrait intégral de la Minuar, car je pressentais que cela conduirait à la catastrophe…

FRANÇOIS JANNE D’OTHÉE

Retrouvez l’intégralité de cet entretien dans le Vif/L’Express de cette semaine.

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