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Russie : Tour de passe-passe sauce Poutine

Le Premier ministre russe fait croire qu’il y aura un second tour… mais ce ne serait que pour mieux endormir une population de plus en plus sceptique.

« Un deuxième tour est possible conformément à notre législation. » Possible mais pas souhaitable, dans l’esprit de Vladimir Poutine, actuel Premier ministre russe qui souhaite occuper de nouveau le siège de président, grâce aux élections du 4 mars prochain. Favori du scrutin, dont plusieurs candidats de l’opposition ont été écartés, il est crédité d’environ 50% des suffrages. Une victoire écrasante dès le premier tour semblerait trop suspecte…

« Je comprends bien, et vous le comprenez aussi, je pense, qu’un second tour signifiera le prolongement d’une forme de combat, et donc d’une certaine déstabilisation de notre situation politique », a-t-il ajouté ce mercredi, selon l’agence Interfax. « Mais il n’y a rien d’effrayant à ça, je suis prêt, et s’il le faut nous travaillerons pour le deuxième tour », a ajouté l’homme fort de la Russie.

Pour l’analyste Nikolaï Petrov, Poutine cherche à convaincre les Russes que le scrutin du 4 mars ne sera pas marqué par des fraudes. « Il ne veut pas d’un deuxième tour, et je ne pense pas qu’il y en aura un. Mais il veut que les gens pensent qu’il s’agit d’une vraie élection, que les choses n’ont pas été déterminées à l’avance », estime ce politologue du centre Carnegie de Moscou.
Surtout au moment où il est confronté à un important mouvement de contestation. Seuls 49% des Russes considèrent que cette élection sera dans l’ensemble « honnête », selon un sondage du centre Levada, proche de l’opposition, publié mercredi. A l’inverse, 28% des personnes interrogées estiment que le scrutin sera « malhonnête » ou « plutôt malhonnête ».

Des élections « honnêtes »?

Cette enquête montre un positionnement similaire des Russes concernant les résultats controversés des législatives, remportées par Russie unie, le parti de Poutine, en décembre. La dispute sur ces résultats est à l’origine d’un mouvement de contestation sans précédent en Russie depuis 2000, marqué par deux manifestations monstre les 10 et 24 décembre.

Nouveauté: ces derniers jours, les leaders de ce mouvement sont apparus en prime time sur les chaînes de télévision officielles après des années de censure. « Quelque chose est en train de se passer en Russie! », s’est exclamé Boris Nemtsov, l’un des organisateurs des manifestations, sur la chaîne pro-Kremlin NTV qui s’interrogeait: « Si ce n’est pas Poutine, alors qui » pourrait diriger la Russie? La chaîne Pervy a aussi laissé le libéral Vladimir Ryjkov dénoncer « le parti des voleurs et des escrocs » de Poutine.
Liberté d’expression réelle ou nouvelle tactique du Kremlin pour donner une apparence plus démocratique à la prochaine présidentielle? Les experts s’interrogent, d’autant que le pouvoir russe donne l’impression de choisir avec soin des adversaires qu’il est bon de placer face à Poutine. Pour mieux éviter un second tour déstabilisant, peut-être… Ces rivaux autorisés sont considérés par l’opposition comme dociles envers le Kremlin, voire manipulés par le pouvoir.

Le mouvement de contestation peine à trouver un nouveau souffle à quelques jours du prochain rassemblement d’envergure, le samedi 4 février. L’opposition, dont l’hétérogénéité est déjà perçue comme une faille, n’est pas aidée par la décision de la Commission électorale d’invalider les candidatures de plusieurs leaders présents à la tribune des précédents rassemblements, comme Edouard Limonov ou Grigori Iavlinski (parti Iabloko).

Sur Facebook, on échange déjà le parcours prévu dans le centre de Moscou ce samedi 4 février. C’est une journée-test pour les anti-Poutine. A un mois de l’élection présidentielle, ils espèrent mobiliser quelque 50 000 personnes pour exiger des élections « honnêtes ». Des militants du mouvement d’opposition Solidarité n’ont pas pu attendre ce rendez-vous: ils ont accroché ce mercredi matin une énorme banderole jaune portant l’inscription « Poutine, pars! » sur un immeuble situé en face du Kremlin. Au bout d’une heure, les autorités l’ont décrochée.

Trop froid pour manifester ?

La Belgique n’est pas la seule à grelotter. La Russie aussi a froid. Ce samedi, il fera -18°C à Moscou, où des manifestations, à la fois dans le camp des soutiens et dans celui des opposants à Vladimir Poutine et en sa faveur sont prévues. Le chef des services sanitaires russes, Guennadi Onichtchenko « déconseille catégoriquement de prendre part » à ces rassemblements. « Les prévisions météo sont extrêmement défavorables. C’est une température trop basse pour Moscou compte tenu notre humidité traditionnelle », commente le spécialiste. Et d’ajouter que, actuellement dans la capitale russe, « personne ne porte plus de chaussettes chaudes ». Guennadi Onichtchenko n’est pas n’importe qui. Il est devenu « un personnage politique marquant » au fil des années, estime le site de La Voix de la Russie. Ancien fonctionnaire soviétique, « médecin hygiéniste en chef » depuis 1996, il « arrive régulièrement en tête des ‘hommes qui comptent’ dans le classement de l’hebdomadaire Vlast (‘Pouvoir’), mais personne n’est dupe; ses décisions les plus retentissantes sont prises à un niveau supérieur », ajoute Libération. Aussi peut-on douter qu’il s’adresse vraiment aux manifestants des deux bords. Juste avant la première grande manifestation de l’opposition du 10 décembre, il avait déjà mis en garde les protestataires, déconseillant de descendre dans la rue parce que la grippe faisait rage. Son avis n’a visiblement pas été suivi… Le 24 décembre non plus. Face à eux, les pro-Poutine aussi devraient manifester. Invités par une coalition nationaliste favorable au Kremlin, ils veulent s’opposer aux manifestants « oranges », ces opposants accusés de vouloir organiser une révolution en Russie, sous l’influence de forces étrangères. Les pro-Poutine écouteront-ils davantage les conseils météorologiques et vestimentaires de Guennadi Onichtchenko?

Pour se consoler, ils peuvent toujours apprendre les paroles d’une chanson très populaire sur Internet. Un groupe d’anciens parachutistes aux mines patibulaires y interpelle Poutine. « T’es comme moi, un homme et pas Dieu. Et moi je suis comme toi, un homme pas crétin. On te laissera plus mentir et voler. On est des paras libres et la mère patrie est avec nous! T’es qu’un fonctionnaire, pas un tsar ou un Dieu ». Conclusion: « On te demande pacifiquement: Dégage, tyran! ». L’histoire ne dit pas si Vladimir Poutine trouve ce clip « déstabilisant ».

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Marie Simon , L’express

Et les candidats autorisés sont…

Face à Poutine, les autres candidats sont le milliardaire Mikhaïl Prokhorov et les dirigeants des trois partis adoubés par le Kremlin, le communiste Guennadi Ziouganov, le populiste Vladimir Jirinovski et le chef du parti Russie juste, Sergueï Mironov.

Peu de Russes veulent manifester

Les Russes ne sont que 13% à se dire « prêts » ou « plutôt prêts » à participer aux manifestations de l’opposition, compte une étude Levada. Sans doute sont-ils échaudés par les arrestations qui ponctuent ces rassemblements… Le dernier cas en date a eu lieu mardi soir. Une cinquantaine d’opposants dont l’écrivain Edouard Limonov ont ainsi été interpellés à Moscou. Ces manifestations non-autorisées ont pour objet de défendre l’article 31 de la Constitution qui établit la liberté d’expression en Russie.

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