© Reuters

Russie : rebondissements dans l’affaire Politkovskaïa

Anna Politkovskaïa, une journaliste russe, a été tuée le 7 octobre 2006. Cinq ans plus tard, et tandis que la liberté de la presse reste régulièrement bafouée en Russie, on annonce de nouvelles inculpations. Sans pour autant identifier le commanditaire.

Il y a cinq ans, Anna Politkovskaïa, journaliste à l’hebdomadaire indépendant Novaïa Gazeta, était abattue par balles le 7 octobre 2006 dans la cage d’escalier de son immeuble à Moscou. Elle était l’une des rares journalistes russes à dénoncer les atteintes aux droits de l’homme en Tchétchénie et à critiquer ouvertement les abus du régime de Vladimir Poutine, l’ex et futur président russe.

Cinq ans plus tard, ce crime reste impuni. Mais ce vendredi, le comité d’enquête du Parquet russe a annoncé une avancée en annonçant l’inculpation du Tchétchène Lom-Ali Gaïtoukaïev et de l’ancien policier Sergueï Khadjikourbanov pour assassinat en groupe organisé. Selon les enquêteurs, M. Gaïtoukaïev aurait « reçu en juillet 2006, en échange d’une rémunération, l’ordre de tuer la journaliste« . Il aurait recruté à cette fin le lieutenant-colonel de la police de Moscou Dmitri Pavlioutchenkov ainsi que les frères Makhmoudov et l’ex-policier Sergueï Khadjikourbanov. Ces trois derniers avaient pourtant été acquittés dans cette affaire à l’issue d’un premier procès en 2009.

En 2010, la Cour suprême russe a renvoyé l’affaire au parquet et l’enquête a été rouverte avec les mêmes suspects. Mais ces hommes restent des hommes de main. Le commanditaire et le mobile n’ont toujours pas été déterminés. Les enquêteurs ont tout juste admis que Politkovskaïa avait été tuée en raison « de son activité professionnelle« . Comme cinq autres collaborateurs de Novaïa Gazeta ces dernières années.

La journaliste qui défiait Poutine

En Russie, Anna Politkovskaïa, 48 ans, était l’incarnation même de l’indépendance de la presse, un flambeau qu’elle portait haut dans le paysage « normalisé » des médias sous la coupe du Kremlin. Peu expansive, distante en public, réfrénant ses émotions, elle se concentrait sur elle-même et sa tâche – comme investie d’une mission personnelle de vérité. Le samedi 7 octobre, jour où Vladimir Poutine célébrait son 54e anniversaire, elle a été abattue vers 16 heures dans le hall de l’immeuble où elle vivait, rue Lesnaïa, au centre de Moscou. Equipé d’un pistolet muni d’un silencieux, son assassin l’a atteinte à la poitrine, à l’épaule, avant de l’achever d’une balle dans la tête. Il connaissait le code d’entrée, les faits et gestes de sa victime. Signe de crime commandité, il a abandonné son arme sur place. De l’aveu des enquêteurs, le meurtre était « prémédité et parfaitement planifié« .

Née à New York, issue d’une famille de diplomates soviétiques, elle avait commencé sa carrière de journaliste à la rédaction des Izvestia avant de rejoindre le bihebdomadaire Novaïa Gazeta en 1999, l’année où Vladimir Poutine déclenchait en Tchétchénie la seconde offensive militaire depuis l’effondrement de l’URSS. Plus de cinquante fois, elle s’est rendue dans la république en guerre, où elle sera arrêtée en 2001 par le FSB (ex-KGB). Elle a subi, fusils pointés dans le dos, des simulacres d’exécution: « Pendant un mois, j’ai été saisie de panique chaque fois que je croisais des gens en uniforme. » Prenant le parti des civils et d’eux seuls, elle enquêtait sans relâche sur la torture et les meurtres, sur les enlèvements et la terreur permanente. Critique acerbe du « patriotisme néo-impérial et néosoviétique embrassé par Poutine et par toute la « verticale » du pouvoir« , elle stigmatisait les dérives du régime. « La joie orgasmique d’être une puissance se nourrit de l’écrasement, de l’humiliation de l’autre, que l’on peut piétiner en toute impunité« , disait-elle.

Le caractère politique du meurtre de Politkovskaïa ne laisse que peu de place au doute. Les articles d’investigation qu’écrivait Anna Politkovskaïa lui ont valu nombre d’ennemis dans les rangs de l’armée et des services de renseignement fédéraux, sans oublier le ressentiment tenace du tortionnaire en chef de Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, Premier ministre prorusse, nommé à ce poste par Vladimir Poutine. A maintes reprises, Anna Politkovskaïa a mis en cause ce personnage pour des atrocités, des détournements de fonds et préparait un article sur des kidnappings suivis de tortures impliquant personnellement Ramzan Kadyrov lorsqu’elle a été assassinée. Au lendemain du drame, Vladimir Poutine présidait une session du Conseil de sécurité russe. Il n’a pas eu un mot pour évoquer la mort de la journaliste. Il faudra attendre quarante-huit heures pour que la présidence publie un communiqué laconique.

Depuis les faits de nombreux journalistes russes ont péri par balles, sans compter ceux qui sont tabassés ou traînés devant les tribunaux ou encore ceux qui se plient à l’autocensure, sous la pression du Kremlin. La Douma aux ordres a ratifié des lois antidémocratiques restreignant la liberté de la presse et les activités des ONG. La xénophobie s’accroît, les agressions racistes se multiplient. Le champ politique est un désert où le pouvoir règne en maître. Lucide, Anna Politkovskaïa ne voyait que trop clairement les dérives de l’ « absolutisme poutinien » sur lesquelles les démocraties occidentales ferment les yeux. Elle l’a payé de sa vie.

Sylvaine Pasquier avec LeVif.be

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire