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Roumanie : Après Dracula, Ceausescu la nouvelle attraction touristique

Le Vif

Détesté de son vivant, le mégalomaniaque dictateur roumain Nicolae Ceausescu (1918-1989) est devenu une attraction touristique: après sa maison natale et ses villas, l’endroit où il fut exécuté sera bientôt ouvert au public.

L’ancienne base militaire, située à cent kilomètres au nord-ouest de Bucarest, sera transformée en musée et recevra les premiers visiteurs en septembre. « Nous avons reçu beaucoup de demandes de la part de gens qui voulaient voir la caserne où Ceausescu et son épouse Elena ont été fusillés le 25 décembre 1989 », indique à l’AFP le directeur du musée d’histoire de Targoviste (sud), Ovidiu Cârstina.

En décembre 1989, alors que le Rideau de fer s’était ouvert entraînant la chute en série des régimes communistes d’Europe de l’Est, Ceausescu fut renversé par un soulèvement populaire. Arrêté pendant qu’il fuyait des manifestations à Bucarest, le couple présidentiel avait été condamné à mort lors d’un procès expéditif devant un mystérieux tribunal autoproclamé, puis aussitôt exécuté.
Les images télévisées avaient fait le tour du monde entier, montrant la fin de plus de deux décennies d’un régime marqué par le culte de la personnalité, le népotisme et la surveillance de l’omniprésente police politique Securitate et ses dizaines de milliers d’employés et informateurs.

« Notre but est de montrer les choses comme elles se sont passées, sans faire de commentaires sur le procès, sur la vie du couple ou sur le culte de la personnalité », ajoute Ovidiu Cârstina, en ouvrant la porte de la petite salle où Nicolae et Elena avaient été sommairement jugés. Le box des accusés, où les époux Ceausescu, dans leurs manteaux à col de fourrure, avaient écouté les chefs d’accusation, et les bancs de l’avocat, du procureur et du juge seront remis en place, recréant le décor du procès.
Dans une pièce à côté, les lits en fer où les Ceausescu avaient passé leurs trois dernières nuits n’ont pas bougé. Et dans la cour intérieure, le mur jaune contre lequel le couple avait été fusillé garde toujours les impacts de balles. Les images télévisées du procès, qui avait suscité des questions sur le respect des procédures judiciaires, seront diffusées sur un écran. S’il admet que les opinions sur l’initiative des autorités locales de transformer cette caserne en musée sont « partagées », M. Cârstina souligne qu’il est important de se pencher sur un « moment qui a fait basculer l’histoire de la Roumanie ». Pour le sociologue Vasile Dâncu, « chaque peuple doit assumer son histoire, sans occulter certaines choses. » « On ne peut pas effacer l’image de ce simulacre de procès qui témoigne de la dégringolade de la société roumaine à cette époque-là », explique-t-il à l’AFP.Un premier groupe de touristes suédois est attendu à la caserne de Targoviste quelques jours après l’ouverture du musée, début septembre.

Folie des grandeurs

Plusieurs autres lieux symboliques liés à Ceausescu attirent déjà les touristes. Ainsi, le gigantesque « Palais du peuple » qu’il avait fait bâtir dans les années 1980 après avoir fait raser l’un des plus beaux quartiers du centre historique de Bucarest. Emblème de la folie des grandeurs de celui qui aimait se faire appeler le « génie des Carpates » et deuxième bâtiment le plus grand au monde après le Pentagone, ce palais est aujourd’hui la première destination pour les touristes visitant la capitale. En 2012, plus de 144.000 en ont franchi les portes, dont 110.000 étrangers.
A l’époque, 40.000 personnes avaient dû être délogées pour laisser place à cette construction de 350.000 m2 habitables, à un moment où les Roumains souffraient de pénuries alimentaires et de coupures de courant. Pour Lucia Morariu, présidente de l’Association des voyagistes roumains, transformer Ceausescu en « marque touristique » n’est pas une bonne idée. « Pourquoi encourager les nostalgiques' » dit-elle à l’AFP, soulignant que la Roumanie dispose d’atouts naturels exceptionnels dont le delta du Danube, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, et la réserve naturelle des Retezat, au coeur des Carpates.

Traian Badulescu, consultant en tourisme, estime au contraire que la Roumanie « doit maximiser ses recettes touristiques, y compris en mettant en valeur son histoire ». « Qu’on le veuille ou pas, Ceausescu a mis son empreinte sur l’histoire de la Roumanie et il y a beaucoup de touristes qui veulent suivre ses traces », dit-il. Le dictateur avait mis en place un culte de la personnalité sans équivalent en Europe de l’Est: pour son anniversaire, toutes les entreprises du pays et leurs salariés devaient envoyer des lettres de félicitations remplies d’éloges.

A Scornicesti, ville poussiéreuse du sud, nombreux sont ceux aujourd’hui qui arrêtent leur voiture devant la petite maison en torchis où Ceausescu est né en 1918. Parfaitement conservée, avec son sol en terre, sans électricité ni eau courante, la maison est parfois ouverte au public par le neveu de Ceausescu, Emil Barbulescu, qui vit à côté. Se félicitant de l’intérêt des touristes pour cette demeure modeste devant laquelle un buste de Ceausescu a été installé en 2010, M. Barbulescu, ex-redouté chef de la milice communiste de la région, reste nostalgique du « bon vieux temps ». Selon lui, « des pas ont été faits pour rétablir la vérité » sur son oncle. « L’Histoire le remettra à la place qu’il mérite », assure M. Barbulescu à l’AFP.

Heureuses de trouver la porte ouverte, deux élégantes quinquagénaires bucarestoises affirment être venues « par respect et pour se sentir plus proches » du « Conducator ». Venu lui aussi visiter la maison natale de Ceausescu, Ioan Donga, haut fonctionnaire public sous le communisme, indique lui, comme la plupart des Roumains, n’éprouver « aucun regret » pour le dictateur. « Il y avait trop de restrictions », dit-il, même si sa propre famille « ne manquait de rien » à l’époque. Mais l’exécution de Ceausescu reste une plaie ouverte: « Il méritait bien d’être fusillé, mais ce n’est pas comme ça qu’il fallait procéder », dit-il.

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