La famille Mercer au complet : Rebekah, la fille, Robert et Diana, son épouse. © SYLVAIN GABOURY/PATRICK MCMULLAN/ISOPIX

Robert Mercer, le milliardaire derrière Trump

Quentin Noirfalisse Journaliste

Codirigeant du fonds d’investissement Renaissance Technologies, Robert Mercer a contribué à l’avènement de Donald Trump par ses dons et le travail de sa société d’analyse de données. Quelle ambition et quel intérêt poursuit cet ultraconservateur ?

Il est l’homme dont l’Amérique parle mais qui ne dit jamais un mot. Un milliardaire mystérieux, à la tête d’une société à hedge funds légendaire, Renaissance Technologies, qui génère des profits à rendre Warren Buffett et George Soros pâles de jalousie. Avec sa fille Rebekah, Robert Mercer a bouleversé la campagne de Donald Trump. A New York et à Washington, on susurre même que sans ce tandem, Hillary Clinton serait installée à la Maison-Blanche.

Début 2016, le grand public ne connaît pas encore la famille Mercer. Elle soutient l’ultraconservateur Ted Cruz, glissant 13 généreux millions de dollars dans ce que les Américains appellent un Super PAC, un comité d’action politique qui, parce qu’il n’est pas lié directement à un parti ou un candidat, peut recueillir des dons illimités. A sa tête, elle place Kellyanne Conway, une gestionnaire de campagne républicaine, spécialiste des sondages. Face à la tempête Trump, l’étoile de Cruz pâlit bien vite et il se retire de la course en mai 2016. Les Mercer se retournent vers le magnat de l’immobilier. Kellyanne Conway devient une de ses conseillères. Minée par le comportement erratique du magnat et une stratégie à la sauvette, la campagne a du plomb dans l’aile. Hillary Clinton le sème dans les sondages.

Une influence sur le casting de Trump

Mi-août 2016, à la faveur d’un de ces repas dont on dit qu’ils font l’histoire, la campagne de l’éructant candidat est bouleversée. Un nouveau directeur est nommé, Stephen Bannon. Ancien de Goldman Sachs, détenteurs d’une partie des droits de la série à succès Seinfeld, réalisateur d’un documentaire à la gloire de Ronald Reagan et d’un brûlot sur l’argent des Clinton, Bannon se définit comme un  » nationaliste « . Un  » ultranationaliste  » plutôt : avant de passer chez Trump, il a été directeur et idéologue principal du média d’extrême droite Breitbart. Or qui, selon Bloomberg et le New York Times, a investi, en 2011, 10 millions de dollars dans Breitbart, alors que le site luttait pour sa survie ? Robert Mercer. Généreux propagateur de fake news et de propos xénophobes, le média a explosé son audience et joué un rôle crucial dans l’élection de Trump.

u0022A ses yeux, l’Etat doit être le plus famélique possibleu0022

Stephen Bannon aurait été propulsé au coeur de la campagne sur l’insistance de Rebekah Mercer, qui, dès le mois d’août, jouit d’une influence considérable auprès de Donald Trump, en obtenant le soutien de bastions conservateurs tel que le puissant lobby The Heritage Fund. En chemin, les Mercer réinjectent quelques juteuses lampées de dollars dans la campagne alors que Donald Trump continue à clamer qu’il se finance seul, contrairement à Hillary Clinton. Robert Mercer préférant, selon un collègue cité par le Wall Street Journal, la compagnie des chats à celle des humains, c’est sa fille qui a joué le rôle public pour la famille. En novembre, après la victoire, cette ancienne propriétaire d’un magasin de cookies new-yorkais, Ruby & Violette, se voit offrir un des seize sièges de l’équipe de transition de Trump.

Juste retour d’ascenseur. L’équipe de campagne de Donald Trump avait mandaté la société britannique Cambridge Analytica pour sonder en profondeur l’électorat américain. Or, Stephen Bannon fut un de ses anciens membres du conseil d’administration et Robert Mercer, un de ses plus gros investisseurs. Cambridge Analytica, qui a aussi contribué à la campagne du  » oui  » au référendum sur le Brexit, se vante de détenir des données sur 220 millions d’Américains, à coup de 5 000 éléments d’information par individu. Avec sa société mère SLC Group, elle cherche aujourd’hui à  » intensifier ses affaires avec le gouvernement américain « .

Les Mercer n’ont pas toujours été au firmament de la scène politique américaine. Aujourd’hui conseiller du président des Etats-Unis, Stephen Bannon soulignait en janvier dernier, dans le mensuel The Atlantic, leurs  » valeurs restées très classe moyenne, puisqu’ils n’ont connu la richesse que tard dans la vie « . Après avoir grandi au Nouveau-Mexique et s’être pris de passion pour les ordinateurs, Mercer, formé en mathématiques, travaille durant une bonne vingtaine d’années chez IBM, notamment dans la reconnaissance des langues. En 1993, il rejoint Renaissance Technologies, une société financière lancée par un mathématicien de renom, James Simons. RenTec, comme on l’appelle dans le milieu, est pionnière dans le trading à haute fréquence et l’utilisation massive d’ordinateurs pour analyser et passer des transactions. Son fonds principal, Medallion, a engendré à lui seul 55 milliards de profits au cours des 28 dernières années.

Amateur de trains en modèle réduit

Quelles sont les véritables motivations de Robert Mercer ? Les médias ont peiné à trouver une ambition politique cohérente chez l’homme. Reste l’idéologie. D’anciens collègues prétendent qu’il est fasciné par l’individualisme sans borne prôné par la philosophe et romancière Ayn Rand et par la libéralisation à outrance de l’économie de marché telle qu’elle a été théorisée par l’école autrichienne. S’y ajoute une rancune tenace envers les Clinton, contre lesquels il est prêt à dépenser quelques millions de dollars.

Le milliardaire finance également les recherches du biochimiste Arthur B. Robinson, qui amasse, notamment, des quantités impressionnantes d’urine et les analyse pour, dit-il, améliorer notre santé – et  » les performances académiques de nos enfants « . Il met aussi la main à la poche, via la fondation familiale, pour soutenir une association qui réfute fermement le changement climatique. Et sa fille a poussé la candidature comme ministre de la Justice du climatosceptique Jeff Sessions, aujourd’hui à son tour sous pression pour avoir caché les contacts qu’il aurait eus pendant la campagne avec l’ambassadeur russe à Washington, Sergueï Kislyak.

Robert Mercer, amateur de modèles réduits de trains, qu’il est prêt à payer jusqu’à deux millions de dollars, raffole dans le même temps de réductions drastiques lorsqu’il s’agit d’envisager l’Etat. A ses yeux, celui-ci doit être le plus famélique possible – surtout face au monde économique. Le milliardaire, joueur de poker aguerri, a réservé sa seule déclaration publique de ces derniers mois pour se réjouir que  » l’Amérique soit finalement dégoûtée de son élite politique « . Stephen Bannon a d’ailleurs rappelé, le 23 février dernier, que l’administration Trump avait pour objectif prioritaire de  » déconstruire l’Etat administratif « . Les Mercer et la galaxie Trump semblent donc partager beaucoup de combats. Et gare à celui qui osera une critique au pays de la liberté d’expression. Récemment, David Magerman, scientifique et partenaire de longue date chez Renaissance Technologies, a fait remarquer à son boss qu’il n’appréciait guère que l’argent qu’il a contribué à gagner serve à l’agenda politique de Donald Trump. Il a été suspendu de ses fonctions.

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