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Rire sous Hitler

Le Vif

Le IIIe Reich fascine toujours autant les historiens et le public. Moral des combattants, opinion des Allemands d’hier et d’aujourd’hui… de nouvelles pistes s’ouvrent. Elles explorent même l’humour et les blagues d’une époque où les plaisantins risquaient la déportation, voire l’exécution.

« Mon Dieu, rends-moi aveugle pour que je croie que Goebbels est aryen », ironise-t-on peu après l’arrivée de Hitler au pouvoir, en 1933. « Les mensonges ont les jambes courtes », ajoute-t-on, en référence au pied-bot du ministre de la Propagande. Sous le IIIe Reich, on continue de rire. Souvent jaune, mais on rit, affirme le documentariste Rudolph Herzog, fils du réalisateur d’Aguirre.

Les saillies portent peu sur l’idéologie et la violence politique

Elles se polarisent sur le physique et les mauvaises manières des nouveaux maîtres de l’Allemagne : l’obésité et le ton hâbleur du maréchal Göring, la petite taille de Goebbels, l’appât du gain du nouveau riche « Ribbensnob » (Ribbentrop). Rien de bien méchant. Les avantages matériels procurés aux membres du parti nazi – un emploi, le plus souvent -, la pratique obsessionnelle du salut hitlérien, les mensonges sur l’incendie du Reichstag sont les autres sujets récurrents de plaisanterie. Au fond, toujours aussi « korrect ».

Mourir pour une blague

Pas étonnant que la justice nazie soit, dans une première période, plutôt clémente. Dans trois cas sur quatre, le blagueur écope d’un avertissement, ses écarts étant mis sur le compte du schnaps. Mais, à partir de 1935, le régime montre son véritable visage. Le ton change. « Que valent les nouvelles blagues ? » demande-t-on. Réponse : « Trois mois à Dachau. » A minima. Le comique risque désormais la peine de mort.

A peine ouverts, les camps de concentration accueillent les meilleurs artistes de cabaret. S’ils sont juifs, leur sort est vite scellé. Le Viennois Fritz Grünbaum, reconnu par ses geôliers à Buchenwald, est sommé de faire rire sur commande. S’il peine, il est battu. Transféré à Dachau, il interprétera derrière les barbelés un ultime numéro pour ses codétenus, le 14 janvier 1941. Avant de s’effondrer, terrassé par la maladie et le chagrin. Kurt Gerron, autre célébrité – il interprète le magicien Kiepert dans L’Ange bleu, de Josef von Sternberg (1 930) -, est contraint de monter des spectacles dans le « camp modèle » de Theresienstadt. Selon Rudolph Herzog, son cabaret leurre, Das Karussell, est « le meilleur en langue allemande des années quarante ». Gerron n’en sera pas moins gazé à Auschwitz.

Combien de sortes de juifs y a-t-il ?

L’entrée en guerre crispe un peu plus la police du Reich et radicalise les blagues. Les nazis moquent à peu de frais les vaincus (« Le pape est arrivé à Varsovie, il donne l’extrême-onction aux Polonais »). Les autres, dans la foulée des premiers revers de la Wehrmacht et des bombardements de l’Allemagne par les Alliés, visent désormais la tête : Hitler. Pourtant, les histoires restent douces-amères. Exemple : « Pourquoi le Führer fait-il le salut hitlérien si bizarrement [le bras plié, la paume de la main en oblique, vers le haut] ? Réponse : parce qu’il voudrait devenir garçon de café après la défaite. » Finalement, les meilleures blagues sont celles des juifs allemands. « Combien de sortes de juifs y a-t-il ? demande l’une de celles-ci. Réponse : deux, les optimistes et les pessimistes. La différence ? Les pessimistes ont quitté l’Allemagne et les optimistes sont dans les camps de concentration. »

Par Emmanuel Hecht


Rire et résistance. Humour sous le IIIe Reich, par Rudolph Herzog. Trad. de l’allemand par Robert Darquenne. Michalon, 296 p., 23 euros.

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