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Richard Descoings, portrait d’un énarque anticonformiste

Le corps sans vie de l’emblématique directeur de Sciences Po a été retrouvé dans une chambre d’hôtel de Manhattan. Il avait 53 ans, dont 16 passés à la tête de la grande école de la rue Saint-Guillaume. Il y a multiplié les réformes, autant louées que critiquées.

Entre tristesse et incompréhension. L’heure est au recueillement à Sciences Po. Son emblématique directeur, Richard Descoings, est mort. Son corps sans vie a été retrouvé dans une chambre d’hôtel de Manhattan. Il avait 53 ans, dont 16 passés à la tête de la grande école de la rue Saint Guillaume. Sa gestion et ses réformes radicales furent autant louées que critiquées.

Un parcours brillant

Si le nom de Richard Descoings est aujourd’hui indissociablement attaché à l’Institut d’Etudes politiques de Paris qu’il dirigea pendant 16 ans, ce fils de deux médecins suisse est passé par d’autres célèbres écoles françaises. Hypokhâgne au lycée Henry IV, une scolarité exemplaire à Sciences Po Paris puis à l’ENA. Il sortira dans les premiers de sa promotion et se dirigera vers le Conseil d’État. Il prend la tête du prestigieux établissement en 1996. Seul bémol dans ce parcours quasi parfait : il s’est fait renvoyer du lycée Louis-le-Grand car il n’était pas au niveau dans les matières scientifiques…pour finalement faire ses classes dans le non moins prestigieux lycée Henry IV.

Une personnalité engagée dans l’enseignement

Ce mercredi matin, Nicolas Sarkozy a salué la « carrière exceptionnelle d’un grand serviteur de l’État, qui aura consacré toute sa vie à la cause qu’il s’était choisie et dont rien ne l’avait détourné: l’éducation ». Sur Europe 1, Olivier Duhamel, professeur à Sciences Po et éditorialiste dans cette radio, a également rendu hommage à Richard Descoings « un haut fonctionnaire et un entrepreneur », « extraordinairement inventif et créateur ».
En quatre mandats, Richard Descoings a révolutionné Sciences Po. Il a fait passer cette école qui forme une partie des élites françaises de 4500 à 10 000 étudiants et multiplié les réformes. Ouverture aux élèves de ZEP, aux étudiants étrangers (40% du total actuel), création de six campus en province, hausse des droits d’inscription tempérée par des bourses… Dernière réforme en date, en décembre 2011, il a fait voter une réforme d’ampleur du concours d’entrée, avec notamment la suppression de l’emblématique épreuve de culture générale. Une décision qui suscite encore des remous.

Richard Descoings n’avait donc pas peur de créer la polémique en appliquant sa vision de l’enseignement, dans son école, mais également plus loin. En 2009, à la demande de Nicolas Sarkozy, il avait ainsi mené la réforme des lycées. Après avoir « sillonné la France des lycées » pendant plusieurs mois, rappelait Luc Chatel ce mercredi, il en avait « tiré des préconisations remarquables qui constituent les bases du nouveau lycée mis en place à partir de la rentrée 2010 ».

Un personnage adulé…

Malgré les diverses controverses sur ces choix concernant les orientations du prestigieux établissement de la rue Saint-Guillaume, il jouissait d’une « extraordinaire popularité » au sein de l’établissement, selon Etienne Wasmer, professeur d’économie. Et d’ajouter: « Les étudiants savaient que toute sa vie était consacrée à l’institution et à leur avenir. Je pense qu’ils l’aimaient parce que lui les aimait ».

L’annonce de sa mort a suscité une vive réaction chez les étudiants. Certains se sont même rendus devant Sciences Po dès l’annonce de sa mort – au beau milieu de la nuit – pour se recueillir. Vers 8 heures du matin, les murs de la « péniche », le hall de l’établissement, était déjà recouvert de mots d’hommage, de fleurs et de bougies. Avant le début des cours, une minute de silence a été observée par des centaines d’élèves, d’anciens et de professeurs. Mais sa popularité dépasse largement l’enceinte de l’école. La classe politique et les personnalités du monde enseignant ont unanimement loué sa réforme du prestigieux établissement et regretté sa mort.

… autant que controversé

Taxé de mégalomane par certains, il s’en amusait en 2003 dans les colonnes de L’Express: « si on me disait que j’étais frileux, médiocre, introverti et sans passion, je ne serais pas plus heureux ».

Mais c’est en 2009 qu’éclate la dernière – et peut-être la plus gênante – des polémiques qui l’entourent. Mediapart dénonce alors le « clientélisme » du « système Descoings », pointant du doigt la concentration du pouvoir en ses mains autant que les bonus accordés à la direction. Des révélations qui altèrent quelque peu la popularité du directeur.

Treize élèves de Sciences Po l’interpellent d’ailleurs, en février dernier par voie de presse. Tout en louant un bilan « globalement très bon », ils critiquent son manque de transparence dans « le refus de communiquer le montant des primes versées aux cadres dirigeants ».

Richard Descoings avait en effet confirmé le montant de son salaire (24 000 euros net par mois), le 31 janvier 2012 dans une interview à Libération. Mais il avait refusé de révéler celui de sa prime variable, tout en appelant à ce que les présidents d’universités françaises soient mieux payés.

Dans cet entretien, il évoquait également son « outing forcé » en refusant de répondre aux rumeurs. « Je ne vois pas ce que ma prétendue homosexualité a à voir. C’est en plus survenu à l’occasion de mon mariage. Que répondre? Que je ne suis pas homosexuel? Non, rien »

Par Caroline Politi et Lucie Soullier

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