Après le putsch avorté, la répression a touché toute la société. © HUSEYIN ALDEMIR/REUTERS

Rétro 2016 : Turquie, la fuite en avant

Le coup d’Etat manqué du 15 juillet a conduit à une répression qui touche toute la société turque. Un climat délétère s’est installé, sur fond d’un nationalisme qui ne tolère plus les voix dissidentes.

« L’homme malade de l’Europe  » : la comparaison servie pour l’Empire ottoman devrait-elle s’appliquer à la Turquie ? Depuis 2013, année qui devait consacrer le début d’un  » printemps turc « , marquée par des manifestations monstres place Taksim à Istanbul, l’autoritarisme de Recep Tayyip Erdogan, d’abord Premier ministre et aujourd’hui président, n’a cessé de diviser la société turque entre ceux qui adhèrent à son projet islamo-conservateur, porté par le parti au pouvoir AKP, et ceux qui lui reprochent de saper la démocratie turque, et de relancer le conflit avec les Kurdes, dont la violence s’est traduite par des dizaines de morts au Kurdistan, et par des attentats à Ankara (les 17 février et 13 mars) et à Istanbul (les 7 juin et 10 décembre).

Le putsch avorté du 15 juillet, imputé par le pouvoir au prédicateur Fethullah Gülen (qui vit aux Etats-Unis), n’aura fait qu’augmenter la fracture politique. La répression a touché toute la société. Près de 36 000 civils ont été arrêtés, 125 000 employés éjectés de leurs écoles, administrations, universités… La Turquiedétient aussile record mondial de journalistes emprisonnés. La purge a surtout frappé l’armée, un des derniers bastions du contre-pouvoir, avec la mise à pied de 20 000 militaires, dont près de la moitié des 340 généraux. Du jamais-vu. Surtout que peu de prévenus sont au courant de ce qu’on leur reproche. En fait, personne ne sait ce qui s’est réellement passé le 15 juillet.

Le climat délétère ne s’apaisera pas de sitôt. L’état d’urgence a été prolongé de trois mois fin octobre. Et c’est le coeur de la démocratie qui est cette fois attaqué, avec l’interpellation de plusieurs députés du HDP, le parti prokurde, troisième formation au Parlement. En 2015, le HDP avait privé l’AKP de sa majorité absolue. A nouveau maître du jeu, l’AKP vient de déposer un projet de loi pour réformer la Constitution. Objectif ? Transférer l’essentiel des pouvoirs exécutifs au chef de l’Etat, ce qui pourrait habiliter Erdogan à diriger la Turquie jusqu’en 2029, sans plus s’embarrasser de la fragilité de coalitions gouvernementales.

Du coup, l’Union européenne, fidèle à ses valeurs démocratiques, est placée en porte-à-faux : comment à la fois condamner la répression en Turquie tout en maintenant la solidarité avec ce partenaire de l’Otan ? D’autant qu’elle a conclu avec Ankara un accord en vue de tarir le flux de passages clandestins de réfugiés du Moyen-Orient vers l’Europe. Moins tétanisé par l’enjeu, le Parlement européen n’a pas hésité à appeler l’UE à geler les négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE. Erdogan campe sur son dédain :  » Il existe pour la Turquie de très nombreuses alternatives « , a-t-il déclaré.

Et pourquoi pas Moscou ? Il a fallu moins d’un an pour qu’Ankara présente ses excuses suite à la destruction par l’aviation turque d’un avion russe engagé aux côtés du régime syrien. En toile de fond : une défiance commune à l’égard de l’Union européenne mais aussi de Washington, dont l’appui militaire aux Kurdes de Syrie est perçu par Ankara comme un soutien indirect à l’émergence d’un Etat kurde. Du coup, la Turquie doit changer de stratégie et mettre une sourdine à ses velléités de renverser Bachar al-Assad, allié de Moscou. Pragmatisme, mais aussi aveu terrible des échecs diplomatiques d’Ankara depuis cinq ans.

En attendant, la crise turque a des répercussions chez nous. Le flot des demandeurs d’asile turcs a subitement augmenté avec, cette fois, des professeurs, des journalistes, des militaires, dont des dizaines qui étaient en poste à l’Otan. Ankara veut également éradiquer le mouvement de Fethullah Gülen à l’étranger (écoles, festivals…). Les Kurdes se sont à nouveau fait entendre dans le coeur européen de Bruxelles, ce qui n’a pas été du goût des supporters belgo-turcs de l’AKP (ni du bourgmestre de Saint-Josse Emir Kir). Erdogan osera-t-il une parole rassembleuse en 2017 ? Ce serait la seule voie pour commencer à assainir ce climat toxique.

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