Donald Trump. © ERIC THAYER/REPORTERS

Rétro 2016 : Trump Power, ou l’élection surprise du milliardaire

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Son élection -surprise- à la tête des Etats-Unis traduit le réveil des perdants de la mondialisation. Mais entre les promesses de campagne et les reculades postélectorales, difficile d’ébaucher ce que sera la présidence de Donald Trump.

L’homme de l’année. La surprise de l’année. Le séisme politique de l’année. Donald Trump a trusté les trophées en 2016. Le monde a découvert le personnage, kitsch et flamboyant. Les Américains, qui le connaissaient en magnat de l’immobilier et en bateleur de téléréalité, ont hérité d’une bête politique. Mais bien malin qui pourrait dire, à ce stade, quel visage présentera le 45e président des Etats-Unis après son investiture, le 21 janvier 2017.

 » Pas de passé, pas de passif  »

Celui qui était parti à la conquête de la candidature républicaine sans trop y croire, a déjoué toutes les prévisions. Il a découragé un à un les caciques de son camp, pourtant jugés mieux armés pour faire le job. Puis, sur la lancée de son credo antiestablishment, il a défait la grande favorite, celle qui symbolisait l’expérience, la compétence, la puissance mais aussi l’usure du pouvoir, les petits arrangements entre amis, la collusion avec les lobbies et Wall Street… Après huit années comme First Lady, huit autres comme sénatrice et quatre comme secrétaire d’Etat, Hillary Clinton a probablement clos sa carrière politique le soir du 8 novembre, avec un petit arrière-goût d’injustice puisqu’au décompte du vote populaire, c’est elle qui l’a emporté. A contrario, le milliardaire new-yorkais a profité à plein de sa virginité politique.  » Pas de passé, pas de passif « , résume Amine Ait-Chaalal, professeur de relations internationales à l’université catholique de Louvain (UCL).  » Il a réussi à s’adresser à cette partie de la population américaine qui nourrit une angoisse pour l’avenir à cause de la mondialisation. Des pans de la classe moyenne subissent encore les effets dévastateurs de la crise de 2007 à 2009, même si Barack Obama en a limité l’impact et même si les Etats-Unis ont été remis à flot.  » Cet électorat avait le sentiment de ne plus être entendu par Washington. Donald Trump a été à son écoute, malgré l’écart de fortune qui l’en séparait. Nonobstant ou peut-être en raison de son style qui n’excluait pas l’injure, le racisme et le sexisme, Donald Trump est apparu plus proche des gens, souligne encore Amine Ait-Chaalal. Pour preuve, des abstentionnistes, mais aussi des électeurs de 2012 de Barack Obama et des partisans du démocrate Bernie Sanders se sont finalement ralliés à lui.

Certains Américains ont eu beau manifester contre la victoire de Donald Trump, l'échec d'Hillary Clinton a été sans appel.
Certains Américains ont eu beau manifester contre la victoire de Donald Trump, l’échec d’Hillary Clinton a été sans appel. © NOAH BERGER/REUTERS

Pour autant, notre interlocuteur ne fait pas, comme d’autres, le procès en populisme du futur président américain.  » L’accusation est simplificatrice et ne ne permet pas d’expliquer le succès de Donald Trump. Certes, il a utilisé un message populaire et cela a fonctionné. Mais c’est le propre des campagnes électorales d’être toujours un peu attrape-tout. Le phénomène n’est pas spécifique ni aux Etats-Unis ni à M. Trump. En revanche, son action en tant que président pourra déterminer s’il mérite véritablement ce qualificatif.  »

Un pragmatique plus qu’un idéologue

Le procès en populisme contre Trump ne permet pas d’expliquer son succès

Passé de candidat à président élu, Donald Trump a déjà sensiblement révisé son embryon de programme. L’Accord de Paris sur le climat n’apparaît plus aussi détestable que cela. Il se pourrait même, eh oui, que l’activité humaine soit responsable du réchauffement atmosphérique. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. Reculades, amendements, minimisation… La future présidence américaine pourrait battre le record du grand écart entre les promesses de campagne et les réalisations du mandat. Même sur l’Obamacare, principal acquis de politique intérieure de son prédécesseur, Donald Trump hésite aujourd’hui entre la remise en cause et l’aménagement, alors que la réforme du système de santé était vouée aux oubliettes de l’histoire pendant la campagne électorale. Difficile donc de prédire d’ores et déjà l’orientation de la politique de la Maison-Blanche après le 21 janvier.

A défaut, Amine Ait-Chaalal épingle une évidence – Donald Trump est un pragmatique plus qu’un idéologue, comme l’atteste son expérience d’hom-me d’affaires – pour déceler que le personnage pourrait se soumettre à un certain principe de réalité, d’autant que tout changement requiert une dose d’énergie, que le président ne voudra peut-être pas distraire de ses objectifs prioritaires.

Pas d’interaction obligée avec le Parti républicain

Rétro 2016 : Trump Power, ou l'élection surprise du milliardaire
© JIM YOUNG/REUTERS

En l’absence de lisibilité du programme du futur chef d’Etat, on pourrait penser, comme Européen, que le poids doctrinaire du Parti républicain puisse fournir des clés de compréhension de la prochaine politique des Etats-Unis. Ce n’est même pas le cas… Pour deux raisons. D’une part parce que, comme le rappelle le professeur de relations internationales de l’UCL,  » le parti dont est issu le locataire de la Maison-Blanche n’a pas vocation à contrôler l’action présidentielle « .  » Dans la tradition américaine, la relation entre les deux acteurs est souple. Un élu républicain peut très bien s’opposer à une loi soutenue par le président républicain.  » La légitimité populaire suffit en somme à l’exercice du pouvoir suprême. D’autre part, c’est malgré, voire contre l’avis de l’establishment du Grand Old Party que la candidature de Donald Trump s’est forgée au fil des mois. Ainsi, il a fallu attendre le lendemain de la victoire du milliardaire pour voir le président républicain de la Chambre des représentants, Paul Ryan, promettre de travailler étroitement avec lui.

Le Parti démocrate devra désormais compter avec les partisans de Bernie Sanders, autre révélation de l'année aux Etats-Unis.
Le Parti démocrate devra désormais compter avec les partisans de Bernie Sanders, autre révélation de l’année aux Etats-Unis.© ALEX WONG/REUTERS

Les premières nominations de l’équipe Trump reflètent aussi cette prise de distance avec le parti. Ni Rex Tillerson, ancien patron du groupe pétrolier ExxonMobil choisi comme secrétaire d’Etat, ni Steven Mnuchin, un ex de Goldman Sachs au Trésor, ni Jeff Sessions, futur ministre de la Justice, ni Wilbur Ross, autre ancien banquier au Commerce, ni l’ex-général John Kelly promis à la Sécurité intérieure, et encore moins Stephen Bannon, futur conseiller stratégique du président, ex-banquier de Goldman Sachs et propriétaire du site d’information ultraconservateur Breitbart News, ne préfigurent une emprise de l’état-major républicain sur le gouvernement. En revanche, certaines de ces désignations traduisent une inclination radicale ; il en va ainsi de la nomination d’un climatosceptique notoire, Scott Pruitt, à la tête de l’Agence de protection de l’environnement…

L’ombre de Poutine sur la politique étrangère

Les hommes changent ; les intérêts nationaux, eux, ne changent pas. Du reste, Barack Obama, lui non plus, n’a pas dérogé à cette constante de la politique américaine. On redoutait pareillement que celui-ci délaisse l’Europe en vertu de la réorientation de sa politique autour du pivot asiatique. Ses craintes ont été repoussées, au moins à la faveur de son second mandat.  » Les nominations d’ambassadeurs, les premières visites officielles donneront quelques indications sur les intentions de Donald Trump, note Amine Ait-Chaalal. Mais il est difficile d’imaginer qu’il va remettre en cause les liens transatlantiques, cruciaux pour les Etats-Unis.  » En revanche, il faut se demander, souligne le professeur de l’UCL, si la fragilisation de l’Europe par le Brexit, par l’instabilité politique en Italie et par les répercussions de la crise des migrants ne va pas réduire, aux yeux du président américain, l’attractivité du Vieux Continent.

A cet égard, la relation annoncée comme privilégiée entre Donald Trump et Vladimir Poutine sera incontestablement de nature à peser sur l’alliance entre l’UE et les Etats-Unis. D’autant, abonde notre témoin, que les premiers actes du président élu sembleraient valoriser une nouvelle méthode de fonctionnement où les rapports interpersonnels revêtent une grande importance.  » A priori, cela annonce une relation plus apaisée. Il n’en reste pas moins que les intérêts nationaux des Etats-Unis ne correspondent pas nécessairement à ceux de la Russie « , nuance Amine Ait-Chaalal. L’expert de l’UCL pense donc que Donald Trump privilégiera des gestions coordonnées plutôt que l’abandon pur et simple de dossiers au partenaire russe. Car une telle latitude démentirait ce qui reste le slogan emblématique de l’homme de l’année 2016 : Make America Great Again…

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