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Rétro 2016 : Panama Papers, et après ?

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Combien de Leaks faudra-t-il ? Depuis cinq ans, les révélations sur les grosses fortunes qui se cachent dans les paradis fiscaux n’ont pas engendré de profondes réformes. En avril, les Panama Papers ont, par leur ampleur, constitué un électrochoc planétaire. Une réaction politique décisive est, cette fois, inéluctable.

De tous les Leaks, c’est la plus grande fuite internationale de données jamais organisée grâce à un lanceur d’alerte. En chiffres, les Panama Papers sont impressionnants : 11,5 millions de fichiers confidentiels sortis du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca, recelant des informations sur plus 214 000 sociétés offshore, entre 1977 et 2015, avec le nom des actionnaires de celles-ci.

Parmi eux : des milliardaires, des ministres et chefs de gouvernement, des stars du showbiz. Des sportifs célèbres aussi, dont le FootballLeaks vient de confirmer les connexions, à grande échelle, avec les paradis fiscaux. Et, enfin, 732 Belges, dont des diamantaires anversois (habitués des Leaks), la famille Spoelberch (actionnaire historique d’AB Inbev), Patokh Chodiev, Franco Dragone, feu Didier Bellens… Et Axel Miller, l’ancien administrateur délégué de Dexia, dont la filiale Experta Luxembourg détient le record de création d’offshores chez Mossack Fonseca.

L'onde de choc des Panama Papers a provoqué la mise en place, en Belgique, d'une commission spéciale
L’onde de choc des Panama Papers a provoqué la mise en place, en Belgique, d’une commission spéciale  » fraude fiscale internationale « .© FRÉDÉRIC SIERAKOWSKI/ISOPIX

Dans certains pays, les conséquences politiques seront radicales : en Islande, le Premier ministre Gunnlaugsson démissionne deux jours après la publication des fichiers panaméens révélant le nom de sa société dans les îles Vierges britanniques. En Belgique, l’implication de Dexia fait scandale, d’autant que le conseil d’administration de la banque comptait des pointures politiques pendant les années où le mécanisme d’évasion fiscale battait son plein (Jean-Luc Dehaene, Elio Di Rupo, Serge Kubla, Karel De Gucht…). En deux semaines, une commission parlementaire est créée. Mais l’objectif est surtout de calmer médias et opinion. Il ne s’agit pas d’une commission d’enquête, donc dotée de pouvoirs similaires à ceux d’un juge d’instruction. Les témoins entendus ne prêtent pas serment.

Résultat : les auditions de patrons de banque se révèlent indolores. Tous jurent, la main sur le coeur, avoir renforcé les contrôles ces dernières années, mais aucun n’éclaire les parlementaires sur les pratiques du passé. Le patron de l’ISI Gand, lui, tentera d’apporter un peu de lumière. Fin juin, Karel Anthonissen remet à la commission un épais document de plus de 200 pages, intitulé  » Dans les coulisses de l’ISI « . Ce trublion adepte du franc-parler y explique notamment comment, depuis 2009, il a alerté en vain sa hiérarchie et les autorités compétentes – dont la Banque nationale (BNB) – sur les pratiques des banques qui aidaient leurs clients fortunés à se cacher derrière des sociétés offshore à l’étranger.

Globalement, il ressort des débats de la commission Panama Papers, toujours en cours que, depuis cinq ans, les Leaks successifs (WikiLeaks, OffshoreLeaks, SwissLeaks) ainsi que les enquêtes pénales à l’encontre de grandes banques (UBS, HSBC) n’ont eu que peu d’impact sur les paradis fiscaux. Certes, ces révélations ont suscité réactions et promesses politiques, mais, sur le terrain, peu d’avancées ont été constatées. Après les Panama Papers, on s’est rendu compte que le Panama n’était même pas repris sur les listes noires belge ou française de paradis fiscaux et uniquement sur la liste grise de l’OCDE.

Le sort des lanceurs d'alerte n'est pas toujours enviable. Ici Antoine Deltour, condamné à douze mois de prison avec sursis dans l'affaire des LuxLeaks.
Le sort des lanceurs d’alerte n’est pas toujours enviable. Ici Antoine Deltour, condamné à douze mois de prison avec sursis dans l’affaire des LuxLeaks.© JOHN THYS/BELGAIMAGE

Plus incroyable : en Belgique, la liste des paradis fiscaux, actualisée par un arrêté royal  » fantôme  » perdu depuis 2010 dans les méandres du conseil des ministres, a enfin été publiée en décembre 2015 au Moniteur. On n’y trouvait donc pas le Panama. Par contre, le gouvernement Michel a signé, en novembre 2015, avec le Panama, un accord visant à encourager et protéger les investissements. Cherchez l’erreur… On sait, depuis longtemps, que ce petit pays d’Amérique centrale est un repaire prisé par les Belges les plus fortunés. En 2008, Daniel O’Huiginn, un hacker britannique, mettait au point un moteur de recherche permettant de relier le nom des actionnaires aux sociétés reprises dans le registre national du Panama. Le PTB a publié les noms de Belges qui s’y trouvaient. Parmi eux, la moitié des quinze plus grandes fortunes du pays.

Double discours politique ? Lors de son audition au parlement, le Réseau pour une justice fiscale (RJF) a rappelé que la commission d’enquête de 2009 sur la grande fraude fiscale avait recommandé d’adopter, comme l’ont déjà fait de nombreux pays occidentaux, un dispositif CFC (Controlled Foreign Corporation) permettant de taxer les revenus d’une société basée dans un paradis fiscal et liée à une société belge. Malgré tous les Leaks, ce dispositif crucial n’existe toujours pas en Belgique. Le RJF a aussi souligné que le fisc ne réagissait aux Leaks que par des mesures ponctuelles, mais n’avait aucune stratégie intégrée de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale internationale.

Cela dit, par leur ampleur, les Panama Papers ont constitué un électrochoc. On peut désormais espérer quelques avancées. Récemment, devant le Parlement européen, le représentant allemand d’Eurojust s’est félicité de voir que les révélations autour des offshores panaméennes avait permis aux autorités fiscales nationales de se parler pour la première fois… En novembre, le ministre des Finances, Johan Van Overtveldt (N-VA), a chargé l’ISI d’étudier la possibilité pour l’Etat de racheter des données bancaires provenant de paradis fiscaux concernant des contribuables belges. Un groupe de travail a été mis sur pied pour analyser les exemples de l’Allemagne et du Danemark qui, eux, ont déjà acheté des données provenant de Suisse, du Liechtenstein ou du Panama. Le rapport de ce groupe de travail est prévu pour le printemps.

Et puis, surtout, on attend beaucoup de l’échange automatique d’informations entre administrations fiscales. Ce grand troc de renseignements bancaires commencera dès 2017 pour un premier groupe de pays. Il y a deux ans, 94 Etats se sont engagés à mettre en oeuvre la norme OCDE d’échange et, jusqu’à présent, 84 ont signé l’accord multilatéral, dont le Panama récemment, après moult tergiversations et sous la pression internationale. Une centaine de pays n’ont cependant pas signé. Certains, comme la Thaïlande, Taiwan ou le Liban, s’avèrent des places fiscales intéressantes pour les contribuables fortunés qui veulent échapper au fisc de leur pays.

Début décembre, ce sont des stars du football mondial qui sont mises en cause dans des affaires d'exil fiscal et de dissimulation de revenus.
Début décembre, ce sont des stars du football mondial qui sont mises en cause dans des affaires d’exil fiscal et de dissimulation de revenus.© ALVARO HERNANDEZ/PHOTO NEWS

Le nouveau dispositif dépendra, avant tout, de la bonne volonté des gouvernements. Vont-ils jouer le jeu ou bien respecter l’accord a minima, en passant maître dans l’interprétation de l’exception, comme le craignent nombre d’experts ? Donneront-ils à leurs administrations fiscales les moyens de traiter la masse d’informations que celles-ci recevront dès 2017 ? En Belgique, la capacité de contrôle IPP du SPF Finances est passée de 502 à 314 équivalent temps-plein, entre 2013 et 2015. Pis : le nombre de dossiers rectifiés par contrôleur chaque année a diminué en moyenne de 179 à 110, sur la même période. Difficile d’être optimiste avec une telle chute d’effectifs et de rendement.

Reste la piste prônée par le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz ou par le patron de l’Office européen de lutte antifraude (Olaf) : la création d’un registre standardisé international des bénéficiaires réels des sociétés et comptes bancaires localisés dans les paradis fiscaux. Ce registre serait un élément clé pour lutter contre le blanchiment d’argent et une arme de dissuasion massive contre les fraudeurs qui veulent se cacher derrière des structures offshore. C’est une telle évidence qu’on se demande pourquoi on n’y a pas pensé plus tôt. Mais ce combat-là s’annonce très long.

Enfin, les Panama Papers et autres Leaks posent le problème des lanceurs d’alerte, ces Don Quichotte tantôt idéalistes tantôt intéressés qui sont à l’origine des fuites des Leaks. Leur sort n’est pas toujours enviable, loin de là. En juin 2016, Antoine Deltour et Raphaël Halet, les deux anciens employés du cabinet d’audit PwC, qui avaient révélé les noms de 300 multinationales ayant bénéficié de super rulings luxembourgeois (LuxLeaks), ont été condamnés à douze et neuf mois de prison avec sursis par la justice grand-ducale. Leur procès en appel a commencé le 12 décembre.

Depuis avril 2016, la nouvelle législation européenne sur le droit des affaires, visant à protéger les entreprises de tout espionnage économique, ressemble à une épée de Damoclès pour les futurs lanceurs d’alerte, tant son champ d’application est large. C’est d’autant plus inquiétant qu’il existe un projet de protection juridique des lanceurs d’alerte, mais celui-ci piétine. La Commission ne cesse de tergiverser. De l’aveu même de la commissaire à la Justice, il n’est même pas certain qu’une proposition voit le jour l’an prochain.

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