Franklin Dehousse

Reprise économique: « Les gouvernements peuvent remercier la Banque centrale européenne »

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

L’année 2017 a enfin vu un retour sérieux de la croissance en Europe. D’emblée, les gouvernements ont lancé des communiqués de presse triomphants, tout comme la Commission européenne, sur leur grand succès. Or, l’essentiel du travail a été réalisé par la Banque centrale européenne (BCE).

Diminuer les taux d’intérêt en injectant 80 milliards d’euros par mois dans l’économie est une mesure puissante. En revanche, le grand programme d’action du Conseil européen de 2012 reste largement inexécuté… en 2018.

Cette orgie de propagande est fort hypocrite. Nombre de responsables gouvernementaux (aux Pays-Bas, en Allemagne, en Belgique, en Autriche, en Finlande) ont accusé naguère la BCE de spolier les épargnants avec des taux d’intérêt quasi nuls (accusation fausse puisque cela dépend en fait de l’affectation de leur épargne). De plus, la BCE n’a fait que suivre – avec un retard très coûteux – la stratégie des autres Etats développés.

L’Allemagne a été au coeur de cette hostilité. Beaucoup de politiques, économistes, juristes, juges, et même la Bundesbank, ont attaqué sans cesse la BCE de Mario Draghi (ils préféraient celle de Jean-Claude Trichet qui a provoqué une deuxième récession). Or, l’Allemagne ne représente qu’un tiers de l’Eurozone. La mission de la BCE est de définir une politique adéquate pour tous les membres, et non un seul. On imagine quels auraient été les commentaires si un tel tir de barrage avait été lancé en 2010 dans l’autre sens en France, en Italie ou en Espagne. L’Europe a découvert ainsi la définition vraie de l’indépendance des banques centrales : être indépendant… de tout ce qui ne vient pas de Berlin.

Vivons-nous avec une Allemagne européenne ou dans une Europe allemande ?

Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, fut le premier symbole de cette hostilité systématique, jamais vue dans un autre Etat membre. Il accusa d’abord la BCE d’avoir permis l’émergence de l’AfD (sans réaliser que ce parti n’a jamais percé avec l’euro, mais bien avec l’immigration). Puis, s’indigna de la voir s’attaquer aux pensionnés. Naturellement, quand il célébra plus tard l’amélioration de son budget, il oublia de souligner sa cause la plus importante : les taux d’intérêt nuls et la croissance plus forte… dus à la BCE.

Le deuxième symbole fut Jens Weidmann, président de la Bundesbank. A plusieurs reprises, il a critiqué les décisions de la BCE, auxquelles il participait. Sous son impulsion, la Bundesbank a même soutenu les arguments judiciaires en Allemagne… contre la BCE. (Qui tolèrerait cela aux Etats-Unis ?) Encore une fois, on imagine aisément les commentaires à Berlin si une autre banque centrale avait effectué la même démarche en sens inverse. Ces interventions ont eu un effet néfaste. Elles ont nui à la crédibilité de la BCE auprès des opérateurs.

Weidmann est maintenant candidat pour remplacer Draghi comme président de la BCE. Après avoir critiqué de façon répétée une politique monétaire qui a enfin sorti l’Eurozone de son apathie, défendu une vision strictement nationale et affaibli sa propre institution, il entend maintenant la présider.

La décision des gouvernements sur cette candidature créera un précédent important. Si une telle obstruction est récompensée par une promotion, cela créera un incitant pour d’autres à l’avenir. Les Européens vont ainsi découvrir bientôt si nous vivons en fait, pour reprendre les mots d’Helmut Kohl, avec une Allemagne européenne ou dans une Europe allemande.

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