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RDC : « Kabila craint d’être pris à son propre piège »

Quatre candidats à la présidentielle au Congo ont demandé mardi l’annulation des scrutins présidentiels et législatifs de lundi en dénonçant des « irrégularités » et des « fraudes ».

La tension reste vive en République démocratique du Congo où les scrutins présidentiels et législatifs de lundi ont été marqués par des violences et des fraudes. L’analyse d’Anicet Mobe, chercheur en sciences sociales et historien.

Les Congolais ont voté lundi pour élire le président de la République démocratique du Congo et 500 députés, au cours d’un scrutin marqué par des violences et des fraudes. Anicet Mobe, chercheur en sciences sociales et historien, revient pour LeVif.be sur les origines de la situation complexe du pays le plus grand et le plus peuplé de l’Afrique subsaharienne.

En quoi la campagne électorale au Congo a-t-elle manquée d’impartialité?

La préparation des élections a eu lieu dans de mauvaises conditions. Il n’y a pas eu de recensement crédible; des cartes d’électeurs ont été distribuées, mais pas de cartes d’identité. Les moyens de l’État ont été mis à la disposition du président Joseph Kabila, et la Commission électorale nationale indépendante est tout sauf indépendante. Le principal candidat de l’opposition Etienne Tshisekedi, a été par exemple empêché de tenir un meeting le week-end dernier.

Et en janvier, pour parer au risque de perdre les élections, Kabila a acheté des voix de députés pour faire réviser la Constitution: il a mis en place une élection présidentielle à un tour, destinée à éliminer l’opposition, traditionnellement divisée et désavantagée puisqu’elle ne dispose pas des moyens de l’État pour mener campagne, contrairement à Kabila. La révision constitutionnelle dans des conditions juridiques hautement contestables est le dernier avatar d’une volonté politique clairement affichée de s’emparer de tous les leviers du pouvoir. Rappelons les tentatives, contrées par l’opposition dès 2008, d’abroger la limitation du nombre de mandats présidentiels et de prolonger le mandat présidentiel à 7 ans, ce qui aurait conduit à ne pas organiser les élections de 2011. Par ailleurs, le travail gouvernemental est parasité par des circuits obscurs et parallèles de la présidence de la République.

Le gouvernement de Kabila a du mal a accepter la voie des urnes ? Nous sommes toujours dans une logique de seigneurs de la guerre. Déjà en 2006, lors de la première élection post-guerre -tant vantée- par la communauté internationale, Kabila avait refusé de débattre avec son challenger Jean-Pierre Bemba, et avait préféré lancer un assaut contre la résidence de ce dernier, alors même que celui-ci recevait des ambassadeurs occidentaux. Les urnes ne sont pas pour Kabila le moyen privilégié pour accéder au pouvoir.

Pourtant, le clan présidentiel est inquiet. Il craint d’être pris à son propre piège. Les électeurs peuvent imposer dans les urnes l’union de l’opposition, que les ego surdimensionnés des candidats ont empêché de se réaliser, prenant ainsi à contre-pied le pouvoir. Il en fut ainsi en 1957 et en 1960: les majorités issues de ces consultations ont clairement indiqué qu’elles étaient déterminées à libérer le Congo du joug colonial et à engager le pays sur la voie d’une réelle indépendance.

Certaines chancelleries espèrent que la fraude serait limitée à Kinshasa afin d’éviter d’enflammer la capitale. Et le soutien de Louis Michel -l’ancien ministre belge des Affaires étrangères, qui s’est beaucoup investi dans le dossier congolais- n’est plus aussi fort qu’à l’occasion des élections de 2006.

Depuis la fin officielle de la guerre en 2002, où en est le Congo ? Le pouvoir actuel prétend avoir restauré la paix, mais le pays n’est pas sorti de l’instabilité. Il est toujours confronté à la violence dans les provinces, notamment contre les femmes, dans plusieurs régions (l’ONU a, à plusieurs reprises dénoncé des viols de masse au Congo). Aux violences politiques -plusieurs opposants ou défenseurs des droits de l’homme ont été assassinés, en toute impunité. Mais aussi aux violences sociales: les deux tiers des Congolais vivent en dessous du seuil de pauvreté, alors que le pays est assis sur des réserves minérales colossales.

Un certain nombre d’infrastructures ont bien été mises en chantier, mais il s’agit souvent de constructions de prestige. Et par ailleurs, la construction de routes et de ponts ne garantit pas en soi que ceux-ci soient utilisés au profit des Congolais. Le passif colonial nous invite à la prudence. A l’époque du Congo belge, le pays était plutôt bien doté en infrastructures, mais celles-ci ne servaient qu’au pillage de ses ressources.

Quelle est l’origine de cette crise ? L’indigence de la classe politique congolaise trouve son origine dans le particularisme du colonialisme belge qui a marginalisé les élites locales. Ainsi, il a fallu attendre 1957 pour que le pays élise pour la première fois des « mandataires communaux », sans pouvoir, alors qu’au même moment, il y avait des députés africains qui représentaient les colonies françaises dans l’Hexagone. Et quand, au moment de la décolonisation, la Belgique a senti qu’elle perdait la main sur des élites qui comme Lumumba refusaient d’être soumises à l’ex-puissance coloniale, elle a encouragé les revendications régionalistes et poussé à la sécession du Katanga. Puis, les Congolais ont subi 32 ans du régime corrompu de Mobutu. En pleine guerre froide, les grandes puissances se sont appuyées sur ce régime inique, d’une part parce qu’il leur était inféodé, et d’autre part pour accéder aux ressources stratégiques dont le Congo est si richement doté.

La chute de Mobutu n’a pas mis fin à cette situation ? Non, la mise sous tutelle du pays a continué après la chute du tyran. Quand la rébellion de l’est a lancé son offensive pour renverser Mobutu en 1996, L’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) de Laurent-Désiré Kabila, le père du président actuel, n’était qu’un paravent fabriqué par l’Ouganda et le Rwanda voisin. Face à une armée incapable (elle avait été conçue comme un outil de répression intérieure, plus que de défense de l’intégrité territoriale), les rebelles ont conquis l’immense Congo comme une bouchée de pain. Et l’Ouganda et surtout le Rwanda ont commencé à s’emparer des richesses minières de l’est du Congo. Aujourd’hui encore, le Congo n’a pas d’armée nationale capable de défendre l’intégrité territoriale.

Quid du Congo après les élections ? Les péripéties chaotiques qui ont marqué ce scrutin ne doivent pas occulter les véritables enjeux de ces consultations électorales: se servir du vote pour faire émerger une nouvelle classe politique qui rompe avec les logiques de parrainage qui depuis 1960 ont donné à la Belgique et aux Etats-Unis -plus tard la France et aujourd’hui le Rwanda, l’Ouganda et l’Angola, grâce à leurs interventions militaires depuis 1996- de régenter la constitution de l’échiquier politique congolais. Seule une classe politique indépendante peut réinventer le politique, reconstruire l’État afin de soustraire la gestion des ressources économiques de convoitises étrangères pour les exploiter au bénéfice des Congolais.

C’était aussi l’occasion pour les Congolais de renouer -comme en 1960- une alliance privilégiée des classes avec la fraction de l’intelligentsia congolaise déterminée à utiliser ses compétences scientifiques au profit du peuple. Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrions nouer des relations diplomatiques et économiques en partenariat avec d’autres pays afin de donner un sens significatif à notre détermination exprimée il y a 51 ans de revendiquer contre les desseins d’un pouvoir colonial belge rétrograde, notre indépendance.

Catherine Gouëset

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