De gauche à droite : Bilal Hadfi, un homme non identifié suspecté d'être impliqué dans les attaques de Paris, Abdelhamid Abaaoud, Samy Amimour et Salah Abdeslam. © Belga

Qui sont ces étrangers qui tuent pour Daech ?

Interpol avoue avoir identifié moins du quart des étrangers partis combattre pour Daech en Syrie et en Irak. Qui sont ces 25.000 individus, venus surtout d’Europe de l’Ouest et du Moyen-Orient ? Où sont-ils le plus actifs ? Et existe-t-il un profil-type ?

Interpol a identifié 5.800 djihadistes étrangers provenant de plus de 50 pays, sur les plus de 25.000 qui ont rejoint les rangs de l’organisation État islamique, a dévoilé Jürgen Stock, secrétaire général de l’organisation internationale de police criminelle, dans un discours prononcé quelques jours à peine après les attentats de Paris.

Le patron d’Interpol a admis un « écart significatif » entre le total estimé des combattants étrangers et le nombre des individus réellement identifiés. Un problème dû en partie, selon lui, à une imparfaite communication d’informations au niveau international. La difficulté d’obtenir des renseignements précis, sur le terrain, complique encore les choses.

D’où viennent les combattants étrangers de Daech ?

Jürgen Stock n’a pas cité les quelque 50 pays-sources. Pour s’en faire une idée, il faut retrouver un rapport de l’Organisation des nations unies du début de l’année, qui livrait déjà le chiffre de 25.000 combattants étrangers dans les rangs d’entités associées à Al-Qaida, venant cette fois de plus de 100 pays dans le monde.

Là aussi, cependant, aucune liste précise n’est avancée. Il faut donc se tourner vers une étude de l’International Centre for the Study of Radicalisation and Political Violence (ICSR). Datée de janvier dernier, cette étude évaluait à « plus de 20.000 » le nombre d’étrangers qui avaient rejoint Daech. Plus encore, « nous estimons que le nombre d’étrangers en provenance d’Europe de l’Ouest atteint désormais près de 4.000, pratiquement le double du nombre que nous avions présenté en décembre 2013, et un niveau largement supérieur aux dernières estimations de l’Union européenne », écrit l’ICSR dans son rapport.

Qui sont ces étrangers qui tuent pour Daech ?
© ICSR

Les pays européens les plus « généreux » en combattants étrangers sont, en nombre, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Si l’on rapporte ces montants au total de la population de chaque État, en revanche, la tendance est sensiblement différente, puisque la Belgique prend, et de loin, la tête du classement, avec 40 combattants par million d’habitants, devant le Danemark et la Suède – plus du double du ratio français, et plus du quintuple du ratio allemand.

Nombre estimé Par million d’habitants
Belgique 440 40
Danemark 100-150 27
Suède 150-180 19
France 1.200 18
Autriche 100-150 17
Finlande 50-70 13
Pays-Bas 200-250 14,5
Norvège 60 12
Royaume-Uni 500-600 9,5
Allemagne 500-600 7,5
Irlande 30 7
Suisse 40 5
Espagne 50-100 2
Italie 80 1,5

Tant en montants totaux qu’en ratio combattants/population, cependant, nos pays occidentaux font pâle figure face aux autres nations du monde, et surtout celles du Moyen-Orient (11.000 personnes). Voici le Top 5 des plus grands « pourvoyeurs » de combattants étrangers au niveau mondial (hors France). Où l’on voit qu’avec son ratio de 40, la Belgique peut néanmoins rivaliser avec des pays comme le Maroc et l’Arabie Saoudite, et fournit, par million d’habitants, davantage de combattants étrangers que la Russie… Par comparaison, les États-Unis ne recensent qu’une centaine de ressortissants partis combattre pour Daech, soit un ratio par million d’habitants de… 0,3.

Nombre estimé Par million d’habitants
Tunisie 1.500-3.000 136-273
Arabie Saoudite 1.500-2.500 48-81
Maroc 1.500 45
Jordanie 1.500 187,5
Russie 800-1.500 5,5-10
Liban 900 150

Ces chiffres démontrent au moins une chose, conclut l’ICSR : « Le conflit en Syrie et en Irak mobilise le plus grand nombre de combattants étrangers dans des pays à majorité musulmane depuis 1945. Il surpasse désormais le conflit en Afghanistan des années 1980, dont on pense qu’il avait attiré jusqu’à 20.000 étrangers. »

Où ces combattants étrangers sont-ils le plus actifs ?

Les concentrations les plus élevées de combattants terroristes étrangers se situent en République arabe syrienne, en Irak et en Afghanistan, avec un petit nombre d’entre eux présents au Yémen, en Libye, au Pakistan, dans les pays du Sahel, en Somalie et aux Philippines, listait l’Onu plus tôt dans l’année [VOIR AUSSI la carte établie par l’Institute for Economics and Peace].

« C’est dans ces pays que la menace directe qu’ils représentent est la plus pressante », analysaient alors les Nations unies. « Les pays les plus touchés comprennent cependant les États d’origine et ceux où les combattants sont susceptibles de retourner (ou de se rendre). Sur cette base, les quelque 100 pays dont ces combattants sont originaires sont tous affectés, mais certains plus que d’autres. » En raison du nombre élevé de combattants étrangers provenant de ces pays (cf. le Top 5 ci-dessus), de l’ampleur nouvelle prise par ce phénomène (Maldives, Finlande et Trinité-et-Tobago), ou lorsque le problème lui-même est relativement récent (dans un certain nombre de pays d’Afrique subsaharienne, par exemple).

Les pays d’origine et de destination ne sont pas les seuls touchés, nuance l’Onu : « Les pays de transit sont eux aussi exposés à un risque élevé et sont confrontés à un problème majeur. La plupart des combattants terroristes étrangers qui cherchent à se joindre à l’EIIL (État islamique d’Iraq et du Levant, NDLR) passent par la Turquie, qui doit à la fois, rôle peu enviable, se coordonner avec des dizaines de pays, s’occuper de ses propres combattants terroristes étrangers et gérer une frontière de 911 kilomètres avec la République arabe syrienne et de 311 kilomètres avec l’Irak, alors qu’elle doit faire face à un afflux important de réfugiés. »

Qui sont ces combattants étrangers de Daech ?

Établir un profil-type du combattant étranger en Syrie et en Irak est quasiment impossible, du fait de leur diversité. On sait que la plupart sont de jeunes hommes de 15 à 35 ans, même si certains sont plus âgés (notamment des vétérans d’autres campagnes terroristes), rappellent les Nations unies. Aller au-delà de ce constat général implique de considérer les caractéristiques propres à chaque pays d’origine.

« Certains, tels que les réseaux de combattants associés à des prédicateurs fanatiques au Royaume-Uni et en Belgique, sont mus par une idéologie extrémiste. Chez d’autres, la désaffection et l’ennui semblent jouer un rôle plus important que l’idéologie. Dans certains pays, dont la France et l’Autriche, il semble y avoir un lien plus fort avec des faits antérieurs de petite délinquance, ce qui n’est apparemment pas le cas au Maroc ni en Arabie Saoudite. »

Cette diversité, notamment, complique considérablement l’évaluation du risque que représente un individu qui rentre dans son pays. « À l’heure actuelle, aucun modèle ne permet de prévoir correctement si un tel individu est susceptible de constituer une menace », déplore l’Onu.

« La menace stratégique est même plus grande en 2015 et pour les années à venir »

En ce mois de novembre, ces chiffres sont bien entendu déjà dépassés, même s’ils livrent une idée intéressante des proportions entre pays. La menace, elle, n’en est pas moins réelle, comme les attentats de Paris l’ont douloureusement rappelé.

Dans son rapport, l’Onu écrivait ainsi que la menace représentée par les combattants terroristes étrangers pour leur pays d’origine « peut se traduire par des actes de terrorisme mais aussi par des activités auxiliaires comme la radicalisation d’autres individus, le recrutement, la production de contenu sur les médias sociaux, la collecte de fonds, l’entraînement, la logistique ou la transmission de messages. »

Ces vétérans revenus au pays, s’ils ne prennent pas forcément part à des activités terroristes, peuvent néanmoins y retourner « munis d’un éventail de compétences, de croyances et de relations qui sont dangereuses », préviennent encore les Nations unies. « Ils peuvent avoir appris à se servir d’armes, à fabriquer des bombes et à planifier avec précision des attentats. Leur expérience les a parfois aussi radicalisés davantage ou traumatisés. Enfin, nombre d’entre eux tissent des liens sociaux intenses, créant des réseaux d’amitié et un sentiment de loyauté mutuel qui peuvent donner naissance ultérieurement à des cellules terroristes autonomes et transnationales. »

Et l’Onu de conclure avec une prescience glaçante : « La menace stratégique est même plus grande en 2015 et pour les années à venir. »

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