Jonathan Holslag

« Qui sommes-nous pour dire à d’autres qu’ils ne peuvent chercher leur bonheur ailleurs? »

Jonathan Holslag Jonathan Holslag est professeur en relations internationales à la VUB.

Il n’est pas étonnant, estime Jonathan Holslag, que beaucoup de gens adoptent une attitude réservée à l’égard de l’afflux massif de réfugiés.

Qui sommes-nous pour dire que d’autres ne peuvent pas chercher leur bonheur ailleurs?

Il y a un peu de migrants en chacun de nous. L’Europe est le résultat de déménagements séculaires et il est pratiquement certain que votre arbre généalogique possède au moins une branche à l’étranger.

Qui sommes-nous alors pour dire que d’autres ne peuvent pas chercher leur bonheur ailleurs ? À présent, il y a déjà 25 millions de personnes déplacées autour de l’Union européenne. Notre société vieillissante est située entre deux continents où la population augmentera de 1,8 milliard au cours des trente prochaines années. Il ne fait aucun doute que la violence, la pauvreté et les catastrophes naturelles pousseront une bonne partie d’entre eux vers nos contrées. Ceux qui pensent stopper ce flux en modifiant le traité de Schengen ou la Convention de Genève sur les réfugiés ou en mettant du barbelé se leurrent. On ne peut arrêter la réalité démographique.

Cependant, si nous comprenons que les gens cherchent leur avenir en Europe, nous devons également essayer de comprendre pourquoi beaucoup d’Européens s’inquiètent que beaucoup de réfugiés restent ici. En Europe occidentale, une moyenne de 46% de la population estime que la migration issue de pays pauvres doit être arrêtée. En Allemagne, environ la moitié de la population s’inquiète de l’afflux de réfugiés. Nous risquons une nouvelle montée d’extrémisme et même de conflits ethniques si on n’explique pas mieux les causes de cette attitude.

Un premier facteur, c’est que nous avons évidemment très mal géré la migration dans le passé. Même après plusieurs générations, l’écart avec des millions de personnes étrangères est toujours phénoménal et celui-ci correspond en grande partie avec une ligne de rupture religieuse. Il n’y a pas grand-chose qui indique que l’Europe évitera la polarisation, et c’est pourquoi on ne peut reprocher aux gens leur réserve spontanée à l’égard du nouvel afflux de migration.

Cette attitude est renforcée par un manque de solidarité au sein de la majorité blanche. Si les globe-trotters sûr d’eux n’éprouvent pas de problèmes, pour beaucoup de gens la perte de la vie de quartier, l’isolement et la disparition de valeurs communes, vont de pair avec un sentiment de vulnérabilité vis-à-vis des nouveaux venus qui en apparence, sont attachés les uns aux autres. Le manque d’une forte identité positive pousse les gens à se réfugier dans une identité négative. Là aussi, il s’agit d’un mécanisme de défense naturel.

De plus, on oublie que la migration constitue bien un défi économique. Souvent, on entend que tout nouveau travailleur apporte de la croissance. Contrairement au pic de migration des années 60, la montée actuelle survient à un moment où le chômage est gigantesque, où il y a de plus en plus d’emplois sous-payés et où l’automatisation risque de faire encore plus de victimes. Il n’est donc pas étonnant que les gens qui perçoivent un petit revenu estiment que l’impact de la migration sur l’économie est négatif.

Évidemment, on ne peut comparer un carnage au Moyen-Orient aux inquiétudes économiques d’un grand nombre de personnes ici. Et si les opportunistes politiques jettent de l’huile sur le feu, l’insécurité et l’incertitude jouent un rôle important. Cependant, en ce qui concerne l’Europe, on peut améliorer la situation. Il faut bien répartir les nouveaux venus et leur offrir un trajet clair vers la citoyenneté européenne tant convoitée. Il faut construire une société dans laquelle nous sentons à nouveau chez nous, transformer les villes pour que nous nous sentions plus à l’abri, créer une économie qui donne plus de chances à tous et formuler des ambitions pour l’avenir plébiscitées par tous. Quand on aura fait de l’Europe une maison sécurisée, heureuse et juste, on pourra vraiment fait preuve d’hospitalité.

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